Inattendu dans le transport maritime, ayant suscité de la perplexité dans le landerneau, le leader mondial des pneumatiques a prouvé, depuis qu’il a dévoilé en juin 2021 le concept de son aile gonflable automatisée et entièrement rétractable, qu’il était sérieux dans son projet. L’AiP que la société norvégienne de classification DNV a accordée à la conception de son système Wisamo vient confirmer qu’il est techniquement au point et qu'il n'existe aucun obstacle significatif empêchant la réalisation du concept. Une validation primordiale, certes pour l'équipe du projet et la direction de l'entreprise, mais encore davantage pour envoyer un signal au marché, investisseurs potentiels et autorités de réglementation.
Elle intervient alors que Michelin mène depuis fin 2022 des essais de son système dans des conditions de navigation maritime réelles à bord du MN Pélican, un roulier de 155 m de long et de 8 600 tpl de la Compagnie Maritime Nantaise. Affrété par Brittany Ferries, le ro-pax opère entre Poole (Grande-Bretagne) et Bilbao (Espagne).
Au service des mobilités vertes
Embarqué dans le verdissement de sa supply chain en confiant notamment une partie de ses 270 000 conteneurs expédiés chaque année au futur roulier à voile de Neoline et en faisant partie d’une grande coalition de chargeurs s’engageant à ne plus embarquer de marchandises sur des navires propulsés aux énergies fossiles, Michelin est allé plus loin en mettant sa R&D au service du développement d’une aile qui s’intègre plug and play sur des navires en équipement d'origine ou en rétrofit.
Cette proposition de valeur adressée au transport maritime est en fait indexée à une stratégie de diversification sachant que l’entreprise réalise aujourd’hui 90 % de son chiffre d’affaires dans les pneumatiques. L’entreprise de Clermont-Ferrand a décidé il y a quelques années de « mettre son savoir-faire et son innovation » au service de toutes les mobilités vertes, tous transports confondus.
Entre le lancement en interne du projet le 1er mars 2020 et le sommet Movin’On en 2021 au cours duquel le groupe clermontois a présenté son concept, il a déroulé très vite. En signant avec les « inventeurs du concept », Laurent de Kalbermatten et Edouard Kessi, ceux qui ont aussi développé les fameuses « voiles noires » utilisées par l’équipe de l’un des Coupes de l’America, puis avec Michel Desjoyeaux pour intégrer un prototype d’une surface de voile de 100 m2 sur son monocoque.
Un concept léger et simple
La Wisamo de Michelin se gonfle à l’air à basse pression (15 millibars), est pilotée de façon automatique et est connectée. Son mât télescopique haut de 17 m lui permet de se rétracter dans un « nest » capotable. Elle est orientable à 360 °.
Sa structure est faite des matériaux appartenant au savoir-faire cœur de Michelin. Dans son jargon, ils sont nommés MHT. Ce sont des tissus enduits souples brevetés par l’entreprise offrant une résistance à l’abrasion. La pression à l’intérieur de l’aile tend tous les tissus de manière complètement isotrope, qui est de ce fait moins sujet aux sollicitations mécaniques (fatigue, abrasion...), contrairement à une toile tendue par exemple. Le système plug and play est en outre léger, de 140 kg avec la structure gonflable et le Nest.
Les ingénieurs défendent en outre leur parti pris de l’avoir voulue symétrique prenant le risque de se voir opposer un argument de manque de puissance par rapport à un profil asymétrique. Par rapport aux rotors, la Wisamo oppose deux faits : son faible poids et l’absence de prise au vent.
Une énergie en complément
Quant à la promesse environnementale, elle est déterminée par le niveau d’hybridation souhaité par le client et la puissance du navire qui décidera de la surface de la voile. Michelin conçoit l’énergie du vent comme un mode de propulsion en complément des autres énergies, de préférence vertes. Il défend une réduction de carburant de 10 à 20 % dont la seule économie « paie » l’aile.
« La meilleure garantie d’un retour sur investissement, c’est la simplicité, défendait le porteur du projet dans un entretien pour le JMM. En l’occurrence, nous sommes sur un mât, un nest et un tissu avec deux automatismes ultra simples : gonfler/dégonfler. Et une seule rotation, celle du mât. » Le fait qu’il soit rétractable lui permet en outre de naviguer sur toutes les routes, de pallier les obstacles tels que les ponts et d’accéder aux ports sans contraintes.
Michelin a rejoint l’association Wind Ship et avait participé au premier événement dédié au transport maritime propulsé par le vent « Wind for Goods » à Saint-Nazaire. Il a été l’un des lauréats du troisième appel à manifestation d’intérêt du Conseil d’orientation pour la recherche et l’innovation des industriels de la mer (Corimer)
Adeline Descamps