Mer Rouge : les effets notables liés aux déroutements de navires

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Augmentation de la demande de navires, de la consommation de carburant, de la vitesse des navires, report du recyclage et impact sur les taux de fret. Cinq mois après le début des attaques des Houthis contre les navires marchands en mer Rouge, sans désescalade notable, plusieurs effets sont particulièrement remarquables. Aussi temporaires soient-ils.    

La crise de la mer Rouge, expression passée dans le langage courant, entame son cinquième mois mais les attaques des Houthis en mer Rouge contre les navires marchands à l'aide de drones et missiles restent une constante. En dépit de la multiplication des missions internationales pour y mettre un terme, les nouvelles du front ne font état d'aucun progrès notable dans la désescalade même si de nombreuses agressions sont déjouées.

Le mouvement d'opposition yéménite, soutenu financièrement et armé par le Hezbollah libanais et le Corps des gardiens de la révolution islamique (Force Qods), s'autorise même quelques fanfaronnades, ayant récemment affirmé détenir un nouveau missile hypersonique. Outre la revue de ses moyens stratégiques, la tête du mouvement houthis, Abdul Malik al-Houthi, a par ailleurs menacé d'intervenir dans le cap de Bonne-Espérance en Afrique, par où transite actuellement le trafic maritime Est-Ouest.

Augmentation de la consommation de carburants

En plus des jours de navigation supplémentaires (jusqu'à 10 jours) et les délais d'acheminement allongés en conséquence, le détournement a eu pour effet immédiat une augmentation de la consommation de carburants. Ce que l'Agence internationale de l'énergie prend très au sérieux au point de relever ses prévisions quant à la demande de pétrole pour 2024 de 110 000 b/j pour atteindre 1,3 million de b/j.

L'AIE mentionne une économie américaine plus forte mais aussi une « utilisation accrue de carburant par les navires détournés en raison des attaques de la mer Rouge ». Alors que les stocks terrestres de pétrole restent à leur plus bas niveau (et ce, depuis au moins 2016), les détours ont conduit à une augmentation des stockages flottants.

Les exportations de diesel du Moyen-Orient (notamment depuis l'Arabie saoudite et le Koweït) vers l'Europe ont atteint le niveau record de 374 000 b/j en février. Depuis l'interdiction des produits pétroliers russes en février 2023, l'Europe est plus que jamais dépendante des importations de diesel du Moyen-Orient et des États-Unis. L'Afrique et l'Amérique latine, quant à elles, ont absorbé une grande partie des produits pétroliers russes déplacés, y compris les excédents européens.

« La question clé est maintenant de savoir si les récentes attaques de drones [menées par les forces ukrainiennes, NDLR] contre les raffineries russes vont réduire leurs exportations de diesel. Cela pourrait inciter les pays d'Afrique et d'Amérique latine à chercher d'autres sources d'approvisionnement au Moyen-Orient et aux États-Unis, ce qui risquerait de resserrer l'approvisionnement en diesel de l'Europe », réagit le courtier maritime Xclusiv.

Trois effets immédiats selon le Bimco

Autres effets à court et moyen terme, estime de son côté le Bimco, l'une des plus représentatives associations de l'industrie maritime (2 100 exploitants ou propriétaires de navires, courtiers et agents, 60 % du tonnage maritime mondial) : l'augmentation de la demande de navires d'environ 10 %, le report du recyclage de certains navires en 2025 et l'augmentation de la vitesse moyenne des porte-conteneurs. 

Pour Clarksons, la demande mondiale supplémentaire de navires générée par les détournements est l'équivalent d'une année de croissance typique du commerce maritime, soit 3 % voire de 11 % pour le seul secteur du conteneur.

Les premiers effets de sidération, qui se sont matérialisés par une désertion de la région en guerre et un rebond des taux de fret, sont désormais aplanis.

Au cours des sept premières semaines de 2024, les volumes à destination et en provenance des ports du golfe d'Aden et de la mer Rouge ont en effet diminué de 21 % en glissement annuel, selon les données de l'association.

En février, le nombre de navires transitant par le golfe d'Aden et le canal de Suez était inférieur de 50 % et de 37 % à celui de l'année dernière. Particulièrement remarquable pour les transits de porte-conteneurs en chute de 70 % dans le golfe d'Aden et le canal de Suez.

Par conséquent, les expéditions au Soudan, en Somalie, en Érythrée et au Yémen avaient chuté de 25 % en février par rapport à l'année précédente. Non sans conséquence pour la stabilité de la région, en proie à des conflits armés

Rebond des taux de fret, des tarifs et des périodes d'affrètement

Le réacheminement de la mer Rouge, qui a resserré l'équilibre entre l'offre et la demande, a pour l'instant, permis au secteur du conteneur de sortir des creux de l'offre excédentaire, avec des taux de fret spot doublés par rapport aux niveaux de début décembre et des gains plus progressifs dans les taux d'affrètement, en hausse de 37 % par rapport à début décembre selon Clarksons et de 41 % selon le Bimco.

Les taux de fret moyens pour les conteneurs chargés en Chine étaient à l'issue du Nouvel an chinois (fin février) encore supérieurs de 52 % à ce qu'ils étaient en décembre 2023. Mais la bulle a rapidement éclaté.

Au 18 janvier, les taux spot, sur la base de l'indice de Drewry World Container Index (WCI), avaient en effet bondi de 173 % en une quinzaine de jours, suite à une escalade des attaques.

L'indice de Freightos pour le trade Asie-Méditerranée, le plus exposé à la crise de la mer Rouge, était à la mi-janvier, 2,4 fois plus élevé qu'au 31 décembre et pour la route Asie-Europe du Nord, 3,6 fois supérieur.

Mais passé le rush, l'autre indicateur du marché pour le conteneur, le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI) avait déjà chuté de 60,5 % entre le 19 et le 26 janvier, passant de 2239 à 2179 points. Le 24 mars, il était à 1 739 points, sixième baisse hebdomadaire consécutive et une chute de 23 % par rapport aux sommets de début janvier. Cependant, l'indice est toujours en hausse de près de 95 % par rapport au 1er octobre.

Jusqu'à présent, en 2024, le SCFI a atteint une moyenne de 2 035 points, contre 1 004 points en 2023 et 811 points en 2019.

Taux d'affrètement en hausse

 « Les taux d'affrètement pourraient rester élevés pendant un certain temps, les opérateurs de lignes régulières cherchant à obtenir un tonnage suffisant pour maintenir leurs services malgré l'allongement des distances de navigation », juge le Bimco.

Jusqu'à présent, les prix des navires d'occasion n'ont augmenté que de façon marginale, bien qu'une augmentation des taux d'affrètement à temps se répercute d'ordinaire sur ces prix. L'inflation n'est pas à l'ordre du jour. En principe, les armateurs préfèrent couvrir l'augmentation de la demande en prenant du tonnage affrété à temps plutôt qu'en achetant du tonnage de seconde main.

Les tarifs des pétroliers profitent, lui, de façon plus nette de la situation, avec des revenus moyens supérieurs de 40 000 $/jour par rapport il y a six mois selon Clarksons. La faible croissance de la flotte et l'allongement des distances, effet cumulé des sanctions russes et des perturbations de la mer Rouge, ont entraîné un pic du marché au premier trimestre.

Accélération de la vitesse des navires de 4 %

La situation améliorera donc temporairement le ratio, particulièrement déséquilibré, entre l'offre et la demande. La flotte de porte-conteneurs devrait augmenter de 9,5 % en 2024 et de 4,9 % en 2025, alors que le recyclage est toujours attendu à 720 000 EVP pour les deux années.

La situation en mer Rouge aurait également un impact sur les vitesses moyennes de navigation, « principalement des grands navires de ligne ». La vitesse moyenne pondérée en fonction de la capacité a jusqu'à présent augmenté de 4 % par rapport à l'année dernière à la même époque, précise le Bimco.

« Nous supposons que la situation sera résolue d'ici le premier semestre et que les navires ralentiront au cours du second semestre de l'année pour terminer avec une vitesse moyenne de navigation similaire à celle de 2023 ». Si la fin de la crise de la mer Rouge n'est pas... retardée.

Adeline Descamps

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