Mer Rouge : la capacité des Houthis à accéder aux câbles sous-marins est-elle surestimée ?

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Installation d'une extrémité de câble

Crédit photo ©Tyco Communication
Quelques semaines à peine après que trois câbles traversant la mer rouge ont été endommagés, de nouveaux dégâts ont été observés sur ces routes numériques assurant 99 % du trafic Internet, mais qui pourraient être liés au naufrage du Rubymar et non pas à un acte de sabotage. Les experts ne sont pas tous d'accord sur la réalité de la menace houthie. Les cables sous-marins, des cibles de grande valeur accessibles à un coût relativement faible ?

« Nous estimons actuellement que les dégâts aux câbles sous-marins (...) sont le résultat de l'attaque au missile lancée par les Houthis le 18 février contre le Rubymar, qui a coulé depuis », a déclaré le 7 mars un responsable du Pentagone, en référence au naufrage du vraquier chargé de quelque 21 000 t d'engrais à base de phosphate et de sulfate d'ammonium et qui menace actuellement d’un lourd préjudice environnemental.

« Les premières évaluations montrent que l'ancre a vraisemblablement, en raclant les fonds, sectionné les câbles sous-marins qui fournissent des services de communication au monde entier », a-t-il ajouté.

Le réseau de ces infrastructures en fibre optique – dont le nombre est estimé à environ 400, cumulant plus d’1,2 million de km –, est particulièrement vulnérable aux phénomènes naturels. Mais ce sont en effet les accidents causés par des ancres de navires ou des filets de pêche qui sont la cause de la majorité des sectionnements (en moyenne, 150 défaillances par an).

À vrai dire, depuis janvier, compte tenu du contexte en mer Rouge où le mouvement d’opposition au gouvernement légitime du pays (reconnu par l’ONU) attaque des navires marchands en guise de soutien au Hamas palestinien, ce n'était pas vraiment l'aléa accidentel qui est redouté mais l'acte avec l'intention de nuire et de compromettre les échanges d’informations, y compris financières, voire de brouiller « les communications militaires ou gouvernementales », comme l'indique un rapport récent du Gulf International Forum. 

Les câbles sous-marins sont des actifs critiques, assurant 99 % du trafic de données numériques dans le monde, permettent les échanges bancaires et toutes autres communications.


Crédit photo : ©TeleGeography

Carte réalisée par TeleGeography dressant le réseau des routes numériques

Menace latente

La probabilité d'un acte malveillant n'est pas une vue de l'esprit. Les entreprises de télécommunications yéménites ont tiré la sonnette d'alarme début février, craignant une action de sabotage du groupe militant proche de l'Iran sur les câbles sous-marins de la mer Rouge.

L'avertissement a été lancé après qu'une chaîne Telegram aux intérets liés aux Houthis a publié une carte des fonds sous-marins accompagnée d’une déclaration implicite : « Il existe des cartes des câbles internationaux reliant toutes les régions du monde à travers la mer. Il semble que le Yémen se trouve dans une position stratégique, car des lignes internet qui relient des continents entiers – et pas seulement des pays –, passent près de lui. »

La mer Rouge est parcourue par seize de ces gros tuyaux en fibre optique (et six autres sont prévus) sur quelque 2 000 km, avant de rejoindre la mer Méditerranée par voie terrestre en passant par l'Égypte, reliant ainsi l'Europe à l'Inde et à l'Asie de l'Est, signale la société de télécoms du Yemen (General Telecommunications Corporation).

L'un des plus importants est le câble AAE-1 Asie-Afrique-Europe, long de 25 000 km.


Crédit photo :

La mer Rouge est concernée par trois des grands itinéraires numériques, reliant notamment l'Europe à l'Asie

Trois réseaux endommagés en février

Selon HGC Global Communications, qui les exploite, les câbles appartenant à trois grands réseaux de télécommunicationsAsia-Africa-Europe 1 (AAE-1), TGN Atlantic, Europe India Gateway et Seacom –, ont été endommagés au cours des derniers mois affectant 25 % du trafic numérique transitant par la mer Rouge. La cause des dommages n’a pas été pour autant formellement établie.

Les représentants du Seacom, qui relie Madagascar, la Mozambique, la Tanzanie, le Kenya, l’Afrique du Sud et l’Égypte depuis 2009, ont confirmé l’incident du 24 février et indiqué qu’une enquête était en cours. « Notre équipe pense qu'il est plausible que le navire ait été affecté par le frottement de l'ancre, compte tenu de l'importance du trafic maritime dans la région et de la faible profondeur des fonds marins dans de nombreuses parties de la mer Rouge ».

La mer Rouge a une profondeur moyenne de 490 m mais certains câbles se trouvent à seulement 100 m et pourraient donc être relativement accessibles. Au-delà, il faudrait des submersibles dont ne semblent pas disposer les Houthis. Jusqu’à présent, on les a surtout vu opérer au moyen de drones et missiles et menacer les navires au moyen d’embarcations d'attaque rapides.

Le porte-parole du mouvement, dont la communication elle-même dépend des infrastructures numériques est-on tenté d'ajouter, ont nié être responsables de ces actes, imputant les interruptions aux opérations militaires britanniques et américaines. Les câbliers entrant dans les eaux yéménites sont, eux, soumis à un permis, dit « par souci de sécurité ».

Menace surestimée ?

Dans un communiqué en date du 28 février, le Comité international de protection des câbles (ICPC), alerté par « les rapports faisant état de dommages causés à des câbles sous-marins en mer Rouge », demande instamment aux opérateurs de faire part aux gouvernements des conclusions de leurs enquêtes tout en exhortant ces derniers à « accélérer la délivrance des permis et à assurer la sécurité des navires engagés dans ces réparations ».

Les experts ne sont pas tous d’accord sur la réalité de la menace. Certains estiment que la capacité des Houthis à accéder aux câbles Internet en haute mer et à les endommager est surestimée. D’autres qu’ils sont des « cibles de grande valeur accessibles à un coût relativement faible », a fortiori à l’aide d’alliés, notamment équipés de submersibles. En l’occurrence, les Houthis sont surtout soutenus par l’Iran dont la flotte ne comprend pas a priori les navires nécessaires, et pas davantage des sous-marins.

Pour d'autres observateurs, la maturité des technologies à portée rend désormais possibles des actions autrefois inaccessibles à un acteur non étatique.

« Les domaines cybernétique et maritime sont de plus en plus des espaces de guerre en zone grise et de menaces hybrides », peut-on lire dans un rapport sur les câbles sous-marins, établi en juin 2022 par l’Union européenne (Security threats to undersea communications cables and infrastructure – consequences for the EU), qui mentionne la Russie et la Chine.

« L’immensité des espaces et le grand nombre d'acteurs publics et privés impliqués rendent plus difficile l'attribution des attaques ou des dommages ainsi que leur contrôle ou leur surveillance », est-il indiqué.

Pouvoir de nuisance

Pas de dommage vital mais des impacts forts sur l'économie, assure de son côté le député varois Yannick Chevenard dans le rapport que le gouvernement a missionné pour faire aboutir le concept de flotte stratégique (la France dispose de la plus grande flotte de navires câbliers du monde).

« Les grandes puissances sont connectées entre elles par de nombreux câbles, la coupure de l’un d’eux ne remettrait donc pas en cause leurs infrastructures vitales. En revanche, la coupure simultanée de plusieurs d’entre eux pourrait fortement impacter les économies et toutes les activités dépendantes des communications », écrit-il.

« Ces câbles sont fragiles et représentent un véritable enjeu de souveraineté. L’actualité nous a prouvé que les sabotages en mer étaient possibles, que ce soit pour des câbles sous-marins ou des gazoducs. Il est donc vital d’assurer le maintien et l’entretien de notre flotte de câbliers afin de pouvoir rétablir très rapidement les fonctionnements de nos communications en cas de conflits, à défaut de pouvoir les surveiller », préconise le parlementaire.

Résilience pas assurée ?

Dans la plupart des pays, une redondance d’au moins deux câbles est systématiquement respectée pour assurer une résilience aux aléas accidentels (tremblements de terre, séismes sous-marins, tsunamis, éruptions volcaniques) mais certains experts estiment que cette configuration n’est pas suffisante face à un acte de sabotage. D’autant qu’ils sont souvent disposés en faisceaux le long du fond marin, ce qui signifie que les dommages sont souvent subis par plus d'un câble.

Le plus grand danger ne réside-t-il pas dans l'invisibilité de l'infrastructure des câbles, interroge le rapport européen visant à analyser les menaces pour la sécurité des câbles et des infrastructures de communication sous-marins. Le fait que ces actifs stratégiques soient enfouis dans les profondeurs des mers, dissimulés à la vue de tous, les rend d'autant plus vulnérables.

« Les câbles sous-marins de transmission de données n'ont que très récemment fait l'objet d'une attention croissante de la part des politiques et des chercheurs. Au cours des cinq dernières années, les préoccupations relatives à leur protection sont apparues de plus en plus clairement dans les débats publics. En particulier, les dirigeants militaires ont exprimé publiquement leurs inquiétudes quant aux vulnérabilités du réseau câblé. Malgré une prise de conscience croissante, les décideurs politiques et les régulateurs font toujours preuve d'un manque d'attention », relève la note de l'Union européenne.

Critique pour les territoires d'outre-Mer

Si le rapport exclut un scénario de black out total au sein de l'UE ou de l'un de ses États membres, l'évaluation est plus alarmiste en ce qui concerne les territoires d'outre-mer (La Réunion et Mayotte), ultra-dépendants des câbles sous-marins pour leurs accès à une connectivité mondiale, et d'autres cibles extérieures.

« L'océan Indien, par exemple, est une région où les organisations extrémistes sont particulièrement actives. Cela soulève la possibilité que les attaques sur les câbles sous-marins soient menées dans le but de nuire aux bases navales des États membres à Djibouti ou à Bahreïn, qui sont essentielles pour mener les opérations navales actuelles dans la région », poursuit le rapport, faisant référence à l'opération Atalanta (piraterie maritime dans le Golfe Guinée) ou EMASOH (European Maritime Awareness Strait of Hormuz).

« La mer Rouge et la situation politique en Égypte, l'un des goulets d'étranglement de la connectivité de l'UE avec l'Asie, requièrent également une attention particulière car il s'agit de terrains d'opération connus des organisations radicales », pouvait-on encore lire dans cette étude de vulnérabilités, avant de conclure : « au moment de la rédaction du document, il n'existe aucun rapport vérifié faisant état d'attaques délibérées contre le réseau câblé par un acteur quelconque, qu'il s'agisse de la Russie, de la Chine ou d'un groupe non étatique ». Nous étions alors en juin 2022.

Adeline Descamps

 

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