Il y a un an, les armateurs de porte-conteneurs sortaient d’un second semestre, ragaillardis, et la trésorerie plus confortable grâce à des taux de fret stimulés par une demande de consommation inédite et subite. Aux dernières heures de l’année, certains d’entre eux avaient fait des emplettes de Noel en passant commande de grands navires qui ont tant manqué ces derniers mois. Cette année, après une année où les prix du transport maritime ont explosé, additionnant des semaines de hausse consécutive, à la seule exception du mois d’octobre, ils ont les caisses pleines de liquidités. Mais cette fois, leurs investissements se portent sur des opérations de croissance externe.
En ce seul mois de décembre, les trois premiers leaders mondiaux du transport maritime de conteneurs se montrent près à débloquer ensemble près de 15 Md$ pour trois acquisitions. En début de mois, CMA CGM a mis sur la table 3 Md$ pour le rachat à l’entreprise américaine Ingram Micro de son activité Commerce & Lifecycle Services, qui pourrait hisser sa filiale Ceva Logistics à la quatrième place mondiale dans le secteur de la logistique contractuelle. Il y a quelques jours, de façon plus inattendue, le numéro deux mondial du secteur MSC, qui semblait plus affairé ces derniers temps à ravir à Maersk la première place mondiale, a soumis une offre au groupe Bolloré pour ses activités portuaires africaines sur la base d’une valeur d’entreprise de 5,7 Md€.
Temasek au capital
Le 22 décembre, Maersk a annoncé un accord d’une valeur de 3,6 Md$ pour racheter les 223 entrepôts du hongkongais LF Logistics. Le groupe spécialisé dans la logistique contractuelle est actuellement codétenu par la société Li & Fung, actionnaire majoritaire avec 78,3 %, et par le fonds souverain singapourien Temasek (actionnaire notamment de la compagnie PIL mais aussi de chantiers navals du pays) qui avait acquis 21,7 % de la société en 2019.
La transaction devrait être finalisée en 2022 après avoir obtenu les approbations réglementaires. LF Logistics, qui emploie 10 000 personnes et opère dans 14 pays d'Asie et de la région Pacifique, offre au groupe danois une porte d’entrée vers le marché asiatique de la logistique. Fondé en 1999, le chinois, positionné dans les secteurs de la vente au détail, en gros et de l’e-commerce, totalise une capacité de 2,7 millions de m2. Il a enregistré un chiffre d'affaires d'environ 1,3 Md$ en 2020 et un Ebitda ajusté d'environ 235 M$.
L’opération exclut toutefois l’activité de gestion globale du fret (commission de transport), qui pèse dans le chiffre d’affaires du groupe chinois. Maersk, qui a intégré à sa division logistique sa filiale dédiée à cette activité (Damco) en fin d’année dernière, dispose de 326 hubs d’expédition dans le monde, dont 57 aux États-Unis et 89 en Asie, dont 12 en Chine et 13 en Inde. LF Logistics lui en apporte 49 en Chine, selon les informations de Maersk.
Valorisation élevée
L’action d’A.P. Moller-Maersk a cédé 0,1 % à 20,76 couronnes danoises le jour de l’annonce. Manifestement, les marchés sont sceptiques et les analystes s’inquiètent du prix élevé de l'acquisition. Temasek avait acquis sa participation de près de 22 % en 2019 pour 300 M$, valorisant la branche logistique à environ 1,4 Md$ à l'époque.
Avec les rachats de LF Logistics et du commissionnaire de transport allemand dans l’aérien Senator International (pour une valeur de transaction de 644 M$), particulièrement établi dans l’industrie automobile et pharmaceutique, le leader mondial du transport maritime de conteneurs devrait booster son chiffre d'affaires logistique, d'environ 2 Md$ par an. Au troisième trimestre, sa division Logistique et Services était en croissance de 38 %, à 2,6 Md$.
Intégration aval
Ces derniers mois, le danois, qui porte une stratégie de logistique intégrée de façon à apporter un service de porte-à-porte, a multiplié les opérations de croissance externe. Il avait jusqu’à présent réservé son cash à des acquisitions de taille moyenne dans l’entreposage et la distribution. Le dernier investissement en date a pris la forme d’une prise de participation, via Maersk Growth, au capital de la start up portugaise Huub (solutions logistiques pour les e-commerçants du secteur de l’habillement). Début août, il avait avalé deux entreprises de la logistique BtoC, l’américaine Visible Supply Chain Management pour 838 M€ et la néerlandaise B2C Europe Holding B.V pour 86 M€.
Ces derniers jours, on lui a prêté un vif intérêt pour le commissionnaire allemand DB Schenker, filiale de l’entreprise publique Deutsche Bahn, lourdement endettée (32 Md$). Plusieurs analystes soutiennent que le troisième commissionnaire de transport mondial (2,05 MEVP, 1,094 Mt en aérien), serait proche de la mise en vente, ce qu’ont également rapporté les médias allemands. Le groupe danois a pourtant indiqué à plusieurs reprises qu’il était intéressé par les acquisitions mais tout en excluant les grands transitaires.
Maersk peut se permettre à peu près tout. Le leader de la ligne régulière sort du troisième trimestre avec un chiffre d'affaires en hausse de 68 % (16,6 Md$), un Ebit multiplié par près de cinq, à 5,9 Md$, et un résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement (Ebitda) qui a triplé pour atteindre 6,9 Md$. Le groupe a réitéré ses prévisions pour l'ensemble de l'année, telles qu'annoncées le 16 septembre, avec un Ebitda de l'ordre de 22 à 23 Md$, un Ebit de l'ordre de 18 à 19 Md$ et un flux de trésorerie d'au moins 14,5 Md$.
Pour 2021-2022, le danois s'était réservé une enveloppe de 7 Md$ pour les investissements.
Adeline Descamps