Le rejet au projet de fusion entre les deuxième et quatrième constructeurs navals mondiaux par les autorités européennes de la concurrence est tout sauf une surprise. L’opération notifiée depuis 2019 prenait de plus en plus l’eau si bien que HHI avait été contraint de repousser à cinq reprises le délai légal pour réaliser la fusion avec sa compatriote DSME dont la situation financière ne cesse de se détériorer (perte estimée par les analystes boursiers à 126 M$ en 2022, un taux d’endettement supérieur à 310 %). La concurrence excessive entre les deux mastodontes sud-coréens pèse sur les performances du secteur national.
L’opération, par laquelle Hyundai Heavy Industries Holdings doit acquérir 55,72 % du capital de DSME pour 1,8 Md$, est en suspens depuis 2019. C’est à cette date que le constructeur sud-coréen avait notifié son projet aux pays susceptibles d’être affectés par son rapprochement avec l’autre grand constructeur du pays. Loin d’être anodine, l’union pourrait remodeler le secteur mondial de la construction navale en conférant à l’ensemble une part de marché de 21 %.
« Un risque trop important pour la concurrence »
Bruxelles avait mis sa décision en suspens en décembre 2018 pour « enquête approfondie », indiquant alors que la fusion posait problème sur quatre marchés : les grands porte-conteneurs, les pétroliers, les transporteurs de gaz de pétrole liquéfié (GPL) et de gaz naturel liquéfié (GNL).
La direction générale de la concurrence européenne a récemment indiqué avoir repris l’enquête, après une interruption de plus d'un an, fixant au 20 janvier la date butoir pour faire connaître sa décision. Mais l’issue européenne en forme de non-recevoir ne faisait plus de doute. Les révélations dans les médias se multipliaient dans ce sens.
Bruxelles rejette une opération qui « comporte un risque trop important pour la concurrence », a déclaré le 13 janvier la danoise Margrethe Vestager, commissaire européenne en charge de la concurrence, étant donné « la position excessivement dominante sur le marché de la construction de grands méthaniers et des porte-conteneurs. Cela conduirait à restreindre les choix et à pousser les prix vers le haut ».
La Commission européenne estime que l’opération conférait une part de marché cumulée d'au moins 60 % aux sud-coréennes dans la construction des méthaniers.
C’est la deuxième fois en un an que l'UE rejette un grand projet de construction navale, après s'être opposée à la reprise par Fincantieri des Chantiers de l'Atlantique. En juin 2019, elle avait également opposé son véto au projet d'entreprise commune des sidérurgistes indien Tata Steel et allemand ThyssenKrupp.
Projet devenu difficile
Bien qu’elle ne soit pas rédhibitoire à l’opération, le rejet de l’UE complique grandement l’accès des constructeurs sud-coréens à ce marché clé qu’est l’Europe. Pour atténuer les craintes européennes de monopole, HHI avait fait quelques contre-propositions en forme de concession, proposant le gel du prix des méthaniers pendant une certaine période, le partage de licences sur certaines technologies jusqu’à la vente de deux de ses chantiers, Hyundai Mipo Dockyard et Hyundai Samho Heavy Industries. Manifestement, cela n’a pas convaincu.
Selon Clarksons, la Chine (40 %), la Corée du Sud (31 %) et le Japon (22 %) assurent 93 % des livraisons de navires neufs.
Des réponses qui ont tardé
Sur les six pays ou régions susceptibles d’être impactés par l’opération – Chine, Kazakhstan, Singapour, UE, Japon et Corée du Sud – seuls la Chine, Singapour et le Kazakhstan ont donné leur feu vert. Le Japon a terminé son premier examen de la proposition en mars 2020 mais n’a notifié aucune décision. La Korea Fair Trade Commission (KFTC), sans voix aussi, planche sur le projet depuis juillet 2019.
Adeline Descamps