Adoptés en 2010 en réponse à la crise financière de 2008, les accords de Bâle III, qui visent à renforcer la solidité du système bancaire, sont sur le point d’être entièrement transposés dans le droit de l’Union européenne. Ils font suite aux accords dits de Bâle I (1988) et Bâle II (2004).
Un accord provisoire a été conclu le 27 juin entre le Parlement et le Conseil européens dans le cadre de procédure dite de trilogue. Il révise la directive d’octobre 2021 portant sur les exigences en fonds propres.
Le texte fixe notamment les modalités de mise en œuvre d’un plancher pour les banques. Il comporte aussi des dispositions dans le domaine du risque de crédit.
Quelles conséquences pour le transport maritime ?
L’ESCA, association qui représente les armateurs au niveau de l’Union européenne, accueille très favorablement cet accord, qu’elle considère comme une avancée pour le financement bancaire de la construction des navires.
« Il s'agit d'une avancée positive, mais il reste encore beaucoup à faire pour rétablir l'accès des compagnies maritimes à un financement adéquat en Europe et soutenir la compétitivité de l'industrie », indique le communiqué des armateurs européens.
« Le rôle stratégique du transport maritime pour la sécurité énergétique, alimentaire et de la chaîne d'approvisionnement de l'Europe doit également être dûment reconnu dans les conditions de financement des navires », défend son secrétaire général, Sotiris Raptis.
Traitement préférentiel pour les prêts
L'accès au crédit est crucial dans un contexte où la transition énergétique va nécessiter de très importants investissements pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Parmi les nouvelles règles comprises dans l’accord issu du trilogue entre les institutions européennes, un traitement préférentiel est prévu pour les prêts concernant les actifs maritimes en ce qui concerne la pondération des risques et les exigences de fonds propres (les banques demandent aux armateurs 20 % de fonds propres pour financer par la dette le solde du navire).
Le texte provisoire doit encore être ratifié par le Parlement et formellement adopté par le Conseil.
Étienne Berrier
Le problématique financement du transport maritime
Le financement de navires, actifs risqués, n'est pas naturel pour toutes les banques. Ces dernières années, de nombreuses banques européennes ont déserté.
Dans le dernier baromètre annuel de la société grecque Petrofin sur le financement du shipping, publié en septembre 2022 mais portant sur les données de 2021, les prêts accordés au shipping par les 40 premières banques s'étaient élevés à 290,12 Md$ et à près de 500 Md$ avec l’ensemble des fonds accordés, prêts bancaires, leasing et autres. Depuis 2010, date à laquelle les montants alloués s’établissaient à 449,76 Md$, les financements au transport maritime se sont effilochés chaque année un peu plus à une ou deux exceptions près.
En 2021, les circuits européens de financement n’étaient toujours pas revenus dans le jeu, amputant encore leur enveloppe de 10 Md$ pour s’établir à 157,22 Md$. Depuis 2010 (374 Md$), les crédits sont plus de deux fois moins conséquents. Elles ont laissé le champ libre aux institutions asiatiques qui assurent en moyenne un tiers du financement du secteur depuis près d’une décennie. Leurs représentantes occupaient en 2021 les premières marches du podium, à l’instar de China EXIM et Bank of China avec 18,5 Md$ pour la première et 17,15 Md$ (vs 15 Md$) pour la seconde. Le leasing chinois s’est aussi imposé dans le domaine du transport maritime, représentant un quart de l’enveloppe mondiale.
Le retraits des banques allemandes est le plus stupéfiant avec des montants alloués passés de 154 à 22 M$ entre 2010 et 2021. Les britanniques (- 37 Md$) et scandinaves (- 50 Md$) ont également drastiquement restreint leurs apports ou se sont désengagés totalement durant la dernière décennie. Ainsi de la DVB, Commerzbank, Deutsche Bank, DVB et Nord LB en Allemagne ou de la Royal Bank of Scotland et de la Lloyd’s Bank au Royaume-Uni.
Les établissements bancaires français ont en revanche maintenu leur présence, BNP Paribas (19,8 Md$ en 2021 vs 21,5 Md$ en 2020) et le Crédit agricole CIB (13,5 Md$, niveau stable) figurent même parmi les six premiers bailleurs mondiaux.
Le Credit Suisse, pris dans la tourmente provoquée par la faillite de la Silicon Valley Bank et de Signature Bank en mars et reprise par UBS, figure parmi les plus grands prêteurs aux armateurs pour le financement des navires. La banque suisse avait octroyé 10 Md$ pour le financement du shipping.
En France, les armateurs ont milité ces deux dernières années et obtenu la possibilité d’utiliser conjointement le crédit-bail, qui facilite le financement de l’achat d’un navire, et la « garantie projet stratégique » lorsque les projets visent à recourir au pavillon français [garantie de la BPI à hauteur de 80 %]. Le suramortissement vert [financement jusqu'à 40 % des surcoûts liés à ces technologies] a également été validé mais sur le papier.
Ils défendaient aussi des circuits de financement alternatifs tels que le certificat d’investissement maritime, contribuant à réduire les apports nécessaires en fonds propres de la part des armateurs. Un outil qui pourrait être utile pour faire face à la « montagne d’investissement requis » pour décarboner d’ici 2050 toute la flotte. S’il fallait renouveler la totalité de la flotte française, il faudrait trouver 25 Md€ selon les données d'Armateurs de France et 2 400 Md€ pour les 70 000 navires au niveau mondial. Mais ils n'ont pas obtenu gain de cause sur ce point.
Adeline Descamps