Le transport maritime face au rebond économique avorté de la Chine

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Sortie de sa mise sous cloche sanitaire, la République populaire de Chine a trompé les attentes d’une reprise économique forte. Or, aucune autre région du monde n'offre un relais d’activité susceptible de compenser le moteur chinois. Face à la faiblesse de la demande de transport, les vraquiers entrent en concurrence.

L'inoxydable croissance chinoise a créé un halo de lumière autour du secteur du transport maritime. Depuis des années, l’usine du monde, stakhanoviste, remplit des boîtes de biens de consommation et fait tourner les porte-conteneurs à travers la planète. Ses aciéries et ses raffineries consomment à plein régime charbon, pétrole, gaz et minerai de fer pour la fortune et infortune des vraquiers et des pétroliers.

Après deux années de pandémie, la consommation dite de rattrapage après des mois de frustration s’est essoufflée à l’Ouest tandis qu’à l’Est, le lent réveil de la Chine, guetté par certains pans de l'industrie du transport, a douché tous les espoirs de forte reprise.

La seconde puissance économique mondiale s'embourbe dans de réelles difficultés liées à la structure même de son économie, basée sur des investissements alimentés par de la dette.

Quelles pressions pour le transport maritime de matières premières d'ici la fin de l'année ?

Si la Chine est un moteur pour le transport maritime, elle donne le tempo au vrac sec, qui dépend en grande partie de ses arbitrages.

La fin d’année va-t-elle prolonger la mise en attente de la demande de transport, faible pour les capesize et les panamax qui ont cherché un emploi ces derniers trimestres, exacerbant la concurrence entre eux.

La résorption de la congestion, qui entretenait artificiellement la demande de navires, et le retour de l’offre sont de nature à tirer les taux de fret vers le bas.

« Compte tenu de l'incertitude entourant la croissance économique de la Chine et la reprise du secteur immobilier, tout fléchissement de ses importations de produits de base pourrait compromettre les perspectives de reprise des taux de fret du vrac sec », a récemment indiqué la banque HSBC dans une note d’analyse sur le transport.

La faiblesse macroéconomique mondiale pourrait exercer une pression supplémentaire au cours du troisième trimestre sur un marché qui doit faire sans le moteur chinois.

Toute la question de savoir si la consommation d'acier va être aidée par les mesures de relance (tardives et très limitées) adoptées par Pékin, ou si les difficultés actuelles de la construction vont peser davantage sur le secteur.

Pourquoi la Chine n'a-t-elle pas redémarré comme prévu ?

Ces derniers mois, la République populaire de Chine a débité en série des indicateurs négatifs sur son état de santé économique. Le pic a été enregistré cet été, marqué par la remarquable déconfiture d'Evergrande, grand promoteur immobilier à la dette colossale de 300 Md$ placé sous la protection du chapitre 15 de la loi sur les faillites. Un mauvais signal dans une économie dont le quart du PIB repose sur ce secteur.

Les investissements dans le secteur immobilier ont connu, pour la première depuis 1997, une baisse de 10 % en 2022 à nouveau de 7,9 % au cours du premier semestre de cette année.

Quant à son commerce extérieur, qui sert aussi d'étai à son développement, il est contrarié. À l’export, la demande adressée à la Chine par ses partenaires commerciaux reflète leur morosité, alimentée par une inflation difficile à maîtriser.

À l’import, la Chine n'est pas en condition de pouvoir importer autant de matières premières que d’ordinaire compte tenu de la lenteur de la reprise et de la crise immobilière.

Si le Fonds monétaire international (FMI) maintient sa prévision de croissance à 4 % entre 2022 et 2027, elle devra reposer sur la consommation intérieure, indiquent les économistes, qui guettent désormais des mesures de soutiens dans ce sens (réductions d’impôts, augmentation des salaires, des pensions et allocations sociales, etc.).

Pourquoi Pékin a tardé à programmer ses mesures de relance habituelles ?

Depuis des mois, les exploitants de navires ont les yeux rivés sur le PMI chinois, l’indice manufacturier. Pendant des mois, ils ont guetté les mesures de relance publiques en faveur de secteurs à « haute intensité d'acier », ceux qui stimulent précisément les importations de minerai de fer et de charbon métallurgique et donc la demande de navires.

Depuis la crise financière de 2008, la politique des grands travaux a toujours eu un effet immédiat sur la demande de transport de matières premières.

« Nous ne devrions pas nous attendre à un méga-stimulus cette fois-ci », répètent en chœur les économistes dans des colloques, cochant les différentes cases qui empêcheraient « le gouvernement d'appuyer sur les pédales de relance traditionnelles » : l'endettement au risque d’aggraver sa stabilité financière et les difficultés structurelles de l'immobilier qu'il devient problématique de « stimuler », la nécessité d'urbaniser se justifiant aussi de moins en moins.

Ils ne sont pas trompés. Les mesures de soutien à l'économie de l'exécutif chinois ont été plus que limitées, davantage orientées vers d'autres secteurs que ceux à « haute intensité d'acier » et quand elles s'adressent aux infrastructures, cela relève des réseaux électriques. « Rien de trop "cray-cray" », selon les termes de la société de courtage maritime BRS, pour les perspectives des taux de fret.

« Les compagnies de transport maritime de vrac sec devront encore attendre pour bénéficier de l'essor de la Chine », indique la banque norvégienne DNB dans sa récente analyse sur des perspectives qu’elle estime tendues pendant encore un temps.

Est-il surprenant que les importations mondiales de la Chine restent fortes ?

Les importations chinoises de la plupart des principaux produits de base ont encore rebondi en août mais la vigueur des arrivées de pétrole brut, de minerai de fer et de charbon est plus probablement liée à des facteurs temporaires qu'à un signal de reprise pour la deuxième économie mondiale (cf. plus bas).

Pour autant, les importations chinoises de minerai de fer ont augmenté de 7,7 % entre janvier et juillet, soit de 96,9 Mt, pour atteindre 656,6 Mt.

« La demande a été faible partout, sauf en Chine », note le courtier Banchero Costa dans son dernier rapport établi sur la base des données de suivi des navires de Refinitiv.

Dans le même temps, les importations ont baissé de 17,2 % (40,7 Mt) vers l'Union européenne, de 10,3 % vers le Japon (50,1 Mt) et de 10,9 % vers la Corée du Sud (38,4 Mt).

Avec ses quelque 657 Mt, la Chine continue de représenter la majeure partie des volumes mondiaux transportés par la mer (892,6 Mt, en hausse de près de 4 % au niveau mondial) et à 91 % chargés sur des capesize, précise le courtier.

Selon les analystes, la plupart des aciéries chinoises ont maintenu une production normale avant que Pékin ordonne un plafonnement de la production à l'échelle nationale pour limiter les émissions de carbone.

Aussi, les usines s'appuient davantage sur le métal chaud, un précurseur de l'acier qui consomme plus de minerai de fer, étant donné que la ferraille d'acier est en pénurie dans le contexte du ralentissement de l'immobilier.

Les prix, eux, se maintiennent, soutenus par les faibles stocks de minerai de fer dans les usines et les ports. Les stocks de minerai de fer importés par 247 aciéries chinoises s'élevaient à 85,39 Mt le 25 août, correspondant à une baisse de 13,5 % par rapport à l'année précédente, selon les données de la société de conseil Mysteel. Dans les principaux ports chinois, ils étaient à cette date estimés en chute de 15,5 %, à 118,6 Mt.

Les stocks étant faibles, les aciéries doivent acheter sur le marché au comptant pour répondre à leurs besoins, ce qui soutient une forte demande de vraquiers à court terme et a alimenté un rallye de capesize ces dernières semaines.

Qu'est-ce qui va déterminer la dynamique des capesize, panamax et handysize d'ici la fin de l'année ?

Le segment des capesize pourra peut-être s’appuyer sur l'augmentation des cargaisons de minerai de fer en provenance du Brésil, dont les volumes s'accélèrent généralement au cours du troisième trimestre.

Mais l'absence de demande concurrente pour ces navires en raison de la réduction des mouvements maritimes de charbon reste une source d'inquiétude pour les acteurs du marché.

La reprise plus lente que prévu de l'activité manufacturière et de la production en Chine a aussi réduit la demande de charbon thermique (celui qui sert à produire l'électricité).

L'augmentation de la production nationale de charbon en Chine et en Inde n'est pas non plus une bonne nouvelle pour les vraquiers.

Aussi, selon les courtiers, les taux de supramax et panamax souffrent depuis le début de l’année en raison du retour du fret conteneurisé aux sources alors que la pénurie de porte-conteneurs avait permis aux vraquiers de siphonner une partie des cargaisons ces deux dernières années.

Les handysize et les supramax se sont retrouvés, eux en en concurrence pour les volumes de charbon alors que le combustible était principalement transporté sur des panamax en 2021.

Par effet domino, ces derniers se trouvent privés de la ressource, engendrant une âpre concurrence dans le bassin pacifique.

Quel segment du transport maritime est épargné par les déboires de la Chine ?

Si les perspectives des exportations de conteneurs au départ de la Chine ne sont guère encourageantes et celle des importations de vrac sec, pas exceptionnelles, les vracs liquides ont en revanche surperformé durant le premier semestre.

Les transporteurs de produits pétroliers ont été très demandés sur les routes entre les États-Unis et le Moyen-Orient vers la Chine. Mais là encore, la dynamique semble fragile. La Chinese National Petroleum a réduit ses prévisions de croissance quant à la demande de pétrole en Chine sur l'ensemble de l'année à 3,5 % contre 5,1 % auparavant.

Adeline Descamps

Pétrole, charbon, minerai de fer : des dynamiques distinctes par rapport à la conjoncture de l'économie chinoise

Selon les données publiées le 7 septembre par l'Administration générale des douanes chinoises, les importations de pétrole brut ont atteint 12,43 millions de barils par jour (Mb/j) en août, en hausse de 20,9 % par rapport à juillet et de 14,7 % par rapport à la même période en 2022, lorsque la Chine a levé ses restrictions sanitaires,

Plusieurs facteurs ont été à l'œuvre pour stimuler les importations de brut de la Chine. Le premier d'entre eux est que la Chine a constitué des stocks pendant une grande partie de l'année, ajoutant environ 950 000 b/j au cours des six premiers mois de l'année.

Les raffineurs ont inversé cette tendance en juillet, en puisant dans les stocks pour environ 510 000 bpj, car ils ont traité plus de brut que ne le permettaient la production intérieure et les importations de brut, qui ont été particulièrement faibles en juillet avec 10,29 Mb/j, soit le niveau le plus bas depuis six mois.

Les raffineurs chinois ont réduit leurs achats de pétrole pour les livraisons de juillet, parce qu'au moment où les cargaisons ont été négociées, les prix de référence mondiaux avaient considérablement augmenté, l'Arabie saoudite, le principal producteur du groupe OPEP+, et la Russie, deuxième plus grand producteur du groupe OPEP+, ayant élargi leurs restrictions. Le Brent a atteint son niveau le plus élevé jusqu'à présent en 2023, à savoir 91,02 $ le baril, le 8 septembre.

Inversement, la vigueur des importations de brut de la Chine en août est probablement due au fait qu'au moment où les volumes ont été contractés, les prix du brut avaient chuté, étant donné le décalage entre l'achat et la livraison qui peut s'étendre jusqu'à trois mois.

Les raffineurs chinois ont tendance à réduire leurs importations et à puiser dans leurs stocks quand les prix sont élevés. Le recours aux stocks permet de continuer à faire tourner les usines à un rythme élevé et d'accroître les exportations de produits raffinés à un moment où la marge sur le diesel est élevée. En réduisant la demande, ils exercent en outre une pression à la baisse sur les prix mondiaux.

Les importations chinoises de charbon ont atteint le niveau record de 44,33 Mt en août, représentant une augmentation de 12,9 % par rapport à juillet et de 51 % par rapport au même mois de l'année précédente. Au cours des huit premiers mois de l'année, les importations ont augmenté de 82 % pour atteindre 306 Mt métriques, selon les données officielles.

Le boom du charbon est liée à une production nationale trop faible pour répondre à la demande alors que la consommation d'électricité au charbon a bondi faute d'une production hydroélectrique suffisante.

Aussi, les prix du charbon transporté par mer ont fortement baissé cette année (le choc énergétique provoqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie absorbé), rendant le charbon importé plus compétitif que les approvisionnements nationaux.

Le charbon étranger a été aidé par Pékin, qui a levé les quotas d'importation pour exercer une certaine pression à la baisse sur les prix nationaux.

Les importations de minerai de fer ont atteint 106,42 Mt en août (+ 13,8 % par rapport à juillet), les aciéries s'efforçant de reconstituer des stocks portuaires plus bas que d'habitude tandis que les prix au comptant de la matière première de l'acier étaient faibles quand les volumes ont été fixés.

Toute la question de savoir si la consommation d'acier va être aidée par les mesures de relance (limitées) adoptées par les autorités de Pékin, ou si les difficultés actuelles de la construction immobilière commencent à peser davantage sur le secteur (cf. plus haut).

 

 

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