Le Shanghai International Port Group, qui agglomère notamment les ports de Yangshan et Waigaoqiao, réaffirme à l’envi que les affaires continuent, mais le terrain envoie des signaux moins convaincants. Le premier port mondial est l'épicentre du rebond épidémique en Chine depuis une dizaine de jours. Les autorités sanitaires y ont détecté plus de 130 000 cas depuis le 1er mars et 21 000 tests positifs quotidiens y ont encore été décelés ces trois derniers jours.
Pour minimiser les impacts sur l’activité économique, l’approche du confinement par alternance décidée dans un premier temps par les autorités locales n’aura même pas eu le temps d’être éprouvée. Le virus résiste à la stratégie d’endiguement depuis une dizaine de jours si bien qu’un verrouillage strict et unilatéral sur tout le territoire a finalement été décrété avec sa batterie de restrictions, y compris pour les entreprises et personnels autorisés à poursuivre leurs activités.
Les indicateurs économiques décrochent
Au total, selon le décompte de la banque japonaise Nomura, vingt trois villes chinoises font actuellement l’objet de mesures de confinement total ou partiel. Elles représentent 193 millions de personnes et contribuent à 22 % du PIB de la Chine. L'indice des directeurs d'achat (PMI) Caixin pour la Chine, baromètre de l'activité du secteur manufacturier, a enregistré en mars la pire contraction depuis début 2020.
Si le confinement de Shanghai se poursuit tout au long du mois d'avril, à prévenu la banque d'investissement ING, la mégapole portuaire devra concéder six points de PIB, ce qui coûtera deux points de croissance au géant du continent asiatique. Le CCFI, qui suit les taux de fret au comptant et contractuels à partir des ports à conteneurs chinois pour douze routes maritimes, sur la base des données de 22 transporteurs internationaux, a chuté de 4,9 % en mars sur une base annuel pour s’établir à 3 332,65 points.
Enfin, plus inquiétant, le confinement a engendré des pénuries alimentaires, nourrissant au passage un sentiment de mécontentement croissant.
Problématique du transport routier
La fermeture de points d'entrée et de sortie des autoroutes entre provinces, la mise sous cloche de nombreuses usines et entrepôts, les contraintes des transports routiers… pèsent sur la disponibilité et libre circulation des marchandises et entravent la dépose et l’enlèvement des conteneurs. Or, le transport routier est un élément crucial des chaînes d'approvisionnement en Chine, car il transporte les matières premières des ports côtiers vers les usines situées plus à l'intérieur du pays, notamment de/vers les provinces voisines de Shanghai, Zhejiang et Jiangsu, importants centres manufacturiers qui produisent environ un tiers des exportations totales de la Chine.
Les camions ne peuvent entrer et sortir de la ville sans une autorisation, qui n'est valable que pendant 24 heures et uniquement sur des itinéraires spécifiques, pointe Seko Logistics dans une note à ses clients. « Même avec cette autorisation, il est possible que des camions réservés soient réquisitionnés par le gouvernement pour transporter de produits de première nécessité ».
Les équipes locales du transitaire ont observé une baisse de 80 % des enlèvements de conteneurs en raison de la pénurie de personnels et des restrictions imposées aux chauffeurs astreints à se munir d’un laissez-passer spécial et de résultats négatifs à des tests d’acide nucléique d’une validité de 24 heures.
Renoncer à Shanghai
Selon l’indicateur de FourKites, une société qui tire des enseignements de l’analyse en temps réel de données, les volumes de marchandises transitant par le port ont chuté d'environ un tiers depuis le 12 mars. La situation est tellement tendue que CMA CGM et MSC recommandent désormais à leurs clients de réacheminer leurs conteneurs dans d’autres ports.
« Nous observons un impact massif à la fois sur la rotation des mouvements de camions et sur les capacités de transport disponibles. Ces facteurs ont un impact majeur sur le fret à l’importation qui subit des temps d'enlèvement drastiquement plus lents et donc des temps de séjour excessivement allongés », indique CMA CGM dans un avis à la clientèle. L’armateur français a décidé de renoncer aux frais liés au changement de destination (COD) si les clients acceptent de dérouter les boîtes vers des ports alternatifs.
Problème de prises reefers
ONE a sonné pour sa part l’alerte concernant les marchandises dangereuses et les produits sous température dirigée. « Bien que le port fonctionne normalement, un nombre extrêmement élevé de conteneurs réfrigérés et de marchandises classées dangereuses s’entassent dans les zones stockage, ce qui signifie que certains navires transportant ces types de marchandises pourraient ne plus être autorisés à décharger », a indiqué la compagnie japonaise.
MSC fait état pour sa part d’une « faible disponibilité des prises pour les conteneurs frigorifiques ». Une situation qui n’est pas sans précédent : la problématique s’était posée en 2020 au plus fort de l’épidémie en Chine.
L’armateur suisse a déclaré en fin de semaine dernière qu'il commencerait à décharger les boîtes sous température dirigée dans d'autres ports à moins que les clients ne demandent un changement de destination spécifique dans un délai de sept jours. Des frais peuvent cependant s'appliquer.
Entre guerre et Covid
Sans le Covid, le transport maritime frigorifique était déjà sous pression en raison de la guerre en Europe de l’Est. La Russie et, dans une moindre mesure, l'Ukraine sont des acteurs importants sur le marché des reefers. Drewry estime qu'ensemble, les deux pays représentent environ 4,5 % du trafic maritime réfrigéré annuel global.
À elle seule, la Russie a importé près de 4 Mt de produits frais par voie maritime en 2021, dont 40 % de bananes, principalement en provenance d'Équateur. Le consultant britannique estime qu'environ 50 % du volume de bananes à destination de la Russie est transporté par des porte-conteneurs, ce qui équivaut à quelque 600 boîtes frigorifiques de 40 pieds par semaine en moyenne.
« Si ce commerce s'arrête ou ralentit, il y aura un excédent d'équipements et d'espaces, ce qui apportera probablement un répit à court terme aux exportateurs de produits saisonniers de la côte ouest de l'Amérique du Sud, qui se battent actuellement pour trouver des capacités vers l'Europe et l'Amérique du Nord ». Mais des « implications plus larges » se feront sentir très rapidement, car les marchés traditionnels seront surchargés de produits, ce qui exercera une pression sur les prix, aura prévenu le consultant britannique.
Adeline Descamps