Le marché du conteneur n'envoie aucun signe d'apaisement

La Golden Week, traditionnelle saison morne, n'a eu aucun probant sur la congestion portuaire. Le marché du conteneur reste sous tension alors que le président américain Joe Biden a accentué la pression à l’approche des fêtes de fin d’année. Et certains de s’interroger déjà : les arriérés seront-ils suffisamment résorbés pour le Nouvel an chinois alors que les chargeurs, échaudés par les précédents, anticipent déjà leurs commandes.

« Imagine-t-on un seul instant » le chef de l’État français convoquant les directeurs des ports du Havre et de Marseille, les représentants de leur vaste communauté portuaire et maritime ainsi que les partenaires sociaux pour leur intimer l’ordre de trouver au plus vite des solutions à la pagaille qui règne dans leur pré carré, amoncellement de conteneurs sur les quais et de navires au mouillage ? 

C’est pourtant ce à quoi ont assisté les importateurs et exportateurs américains : voir le président de la plus grande économie du monde s'impliquer dans la résolution d’un phénoménal bouchon à l’entrée de ses ports et demander à toutes les parties prenantes de la chaîne d'approvisionnement « qu’on n’​appelle pas ainsi pour rien » de faire du « non-stop » 24h/24, 7j/7. Également concernés par cette solution jusqu’au boutiste, les grands chargeurs (Walmart, Samsung, Target et Home Depot), les transitaires (FedEx, UPS), les chauffeurs routiers et les syndicats des personnels portuaires, ferroviaires et routiers. 

« Je veux être clair. Il s'agit d'un engagement général à passer à un fonctionnement en continu. L'administration invitera le secteur privé à agir s'il ne le fait pas », a-t-il appuyé tout en faisant lourdement pression pour que soit enrayée, aussi, la hausse des prix avant le Black Friday, marquant les débuts de la saison commerciale avant Noël.

Long Beach s’y est mis, Los Angeles a rechigné

Le mois dernier, Long Beach avait déjà lancé son programme pilote de prise en charge des marchandises 24h/24 à son terminal Pier T, devenant ainsi le premier terminal à faciliter l'accès des camions aux installations pour la prise en charge des marchandises pendant la nuit. Après s’y être engagé, Los Angeles avait fait volte-face.

Une fois le projet adopté, l'extension des heures d'ouverture du port de Los Angeles devrait se traduire par une augmentation du traitement de conteneurs de l’ordre de 3 500 EVP par semaine alors que Los Angeles recevrait en moyenne 145 000 EVP par semaine et que la demande américaine reste ferme. La National Retail Federation, puissante fédération des détaillants américains, n’a de cesse de revoir à la hausse ses prévisions concernant les importations de conteneurs du pays, qui devraient atteindre 6,5 MEVP au quatrième trimestre. Elle prévoit également que le volume augmentera de 5,3 % et de 1,6 % respectivement, pour atteindre 2,2 et 1,9 MEVP en janvier et février prochains.

 Les ports américains vont tester l'ouverture 24h/24 et 7j/7

Nuée de navires inactifs

La situation reste critique sur le front portuaire. Entre mi-mai 2021 et début octobre 2021, le temps de transit moyen entre les ports chinois et ceux de la côte ouest américaine est passé de 19 à 36 jours, selon une estimation du transitaire numérique Shifl, quand il faut habituellement compter entre 16 et 18 jours pour qu’un navire en provenance de Shanghai ou Ningbo débarque ses conteneurs à Los Angeles et à Long Beach. C’est dire que les leurs clients peuvent être soumis à un délai allant jusqu’à une vingtaine de jours avant de réceptionner leurs marchandises.

Ces derniers jours, la nuée de navires inactifs au large des ports de la baie de San Pedro, dans l’attente de pouvoir décharger, est reparti à la hausse. Avec les 57 à quai, il y a au total de 157 navires dans l’environnement des deux premières portes d’entrée américaines pour les importations conteneurisées alors qu’une petite cinquantaine sont attendus dans les jours qui viennent, selon les données de Shifl.

Faire parler les boîtes

Le nombre de ceux qui ne peuvent même pas atteindre le mouillage a augmenté de 10 unités pour atteindre un total de 43 dont 33 porte-conteneurs. Il y aurait, toujours selon le transitaire, 70 porte-conteneurs en attente à l'extérieur des ports jumeaux, dont 23 de plus de 10 000 EVP ainsi que quelque 250 000 conteneurs empilés sur les quais américains, traduction manifeste des 25 % de marchandises en plus expédiées de l'Asie vers les États-Unis au cours des huit premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2019, selon Container Trades Statistics. Les importations de jouets, de jeux et d'articles de sport ont bondi de 74 % et les appareils ménagers de 49 % d’après Capital Economics, qui a voulu faire parler les boîtes.

La congestion a gagné du terrain. Seattle et Tacoma, qui élargissent aussi leurs plages d’ouverture pour remédier à l’empilement des boîtes sur les quais, connaissent une recrudescence du trafic maritime. Une quinzaine de navires attendaient d'accoster. À Savannah, la forte congestion lui vaut la perte de trois services alors qu’une trentaine de navires attendent actuellement au mouillage et les délais d'attente sont déjà de huit à dix jours en moyenne. Plusieurs transporteurs de Ocean Alliance (CMA CGM, Cosco/OOCL) et membres de THE Alliance (Hapag-Lloyd, ONE et Yang Ming) ont détourné leurs navires vers Charleston et Jacksonville. Avec un volume de 4,6 MEVP, le port de l'État de Géorgie est la deuxième porte d'entrée pour les conteneurs sur la côte Est américaine, derrière les ports siamois de New York et Newark (7,6 MEVP).

Énergie : le nouveau point de blocage des circuits d'approvisionnement

Réaction des marchés

Étonnamment, les cours des actions de Cosco, cotée à Shanghai et à Hong Kong, ont plongé de 6,4 % et de 10 %, à l’issue du discours du président Biden sur le fonctionnement en continu alors même que le leader chinois du transport maritime présentait le même jour ses performances du troisième trimestre (4,73 Md$ et 4,31 milliards pour OOCL).

Les actionnaires du numéro quatre mondial du transport de conteneurs ont-ils un doute sur l’issue, dans des délais raisonnables, des négociations qui vont se jouer sur le front américain, notamment avec les dockers, les chauffeurs routiers et les employés ferroviaires ? La nouvelle organisation suppose de nouvelles équipes de nuit en dehors des heures de pointe et des heures de week-end. Ou est-ce au contraire la crainte que les taux de fret ne s’effondrent si une solution est trouvée, un plafonement s’étant déjà profilé ? Ou encore des préoccupations en lien avec la crise de l’énergie ? La flambée des prix du pétrole, du gaz et de l'électricité ne fait qu'aggraver la situation, en pesant de plus en plus sur les consommateurs. Les économistes estiment que la situation de grande confusion pourrait saper la croissance économique mondiale à laquelle n’est pas étrangère celle de la demande de marchandises conteneurisées.

L'indice PMI de l'industrie manufacturière chinoise s'est en effet contracté en septembre pour la première fois depuis l’émergence du virus, ce qui a douché les sentiments les plus optimistes sur l’évolution des tarifs de conteneurs. Pékin avait alors commencé à rationner l'électricité dans les usines. Nombre d’entre elles ont déjà annulé leurs expéditions en raison de retards de production. Si les usines retrouvent leur pleine capacité, les taux pourraient rebondir dès le mois prochain car, nourris de l’expérience passée, les détaillants américains vont relancer la machine, en anticipant leur sourcing en prévision du Nouvel An lunaire qui commence le 1er février.

Saisons pulvérisées

La saisonnalité traditionnelle du transport maritime par conteneurs veut que l’activité se calme pendant et après la semaine (d’or) fériée en Chine début octobre. Or la pandémie a littéralement pulvérisé les saisons qui rythmaient d’ordinaire le transport maritime. La Golden week n’a pas été et ce pour la seconde année consécutive.

Selon les données d’Alphaliner, l’événement n'a eu aucun effet sur l'(in)activité des porte-conteneurs. La flotte inactive est restée stable, à un niveau très bas, celui qui la caractérise depuis la fin de l'année dernière. Les navires sans emploi s'élevaient, le 11 octobre, à  173 navires pour une capacité de 593 828 EVP, soit 2,4 % de la capacité mondiale (4,67 MEVP). Près d’une cinquante d’entre eux étaient en attente de commercialisation et 125 en entretien.

Stablisation des taux de fret, pour combien de temps ?

Si le marché de l'affrètement est faible, c’est en raison du manque de tonnages disponibles car la demande est persistante. Et les rares navires qui se libèrent le sont à des prix astronomiques mais la tendance au « plafonnement » observée par Alphaliner il y a quelques semaines semble se confirmer, après une brève remontée.

« La stabilisation des taux d'affrètement reflète celle des taux de fret par conteneur, le SCFI ayant baissé de 1,3 % la semaine dernière à 4 588 points, une baisse sans précédent depuis des mois, qui peut être attribuée – au moins en partie – à la fin imminente de la haute saison », assure le spécialiste de la ligne régulière, qui partage les inquiétudes de l’OCDE sur le retour de l'inflation dans de nombreux pays. L'Organisation de coopération et de développement économiques attribue en effet la bête noire des banques centrales à la pénurie des marchandises et à la hausse rapide des coûts de transport, conséquences des chaînes d'approvisionnement gravement perturbées.

Les avions décollent aussi

En attendant, la crise du transport maritime stimule la demande de fret aérien, les détaillants désespérés faisant grimper le prix des freighters à des niveaux records. Selon Air Charter Service, un affrètement transpacifique sur un B777 coûterait quelque 2 M$ par vol alors qu’avant la pandémie, les 750 000 $ auraient déclenché l’incrédulité chez les exploitants.

Le fret aérien et le fret maritime sont en passe d’être sur la même ligne… Il n’y a pas si longtemps, grand était l’écart.

Adeline Descamps

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