La stratégie de DP World intrigue

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L’opérateur portuaire émirati a poursuivi cet été ses emplettes dans le feeder et le transport à courte distance, après avoir déjà réalisé ces deux dernières années quelques opérations de croissance externe dans ces domaines. Les efforts de DP World déroutent les observateurs de ces manœuvres. Le PDG de DP World cache de moins en moins sa volonté de capter plus de valeur dans la supply chain. Il restreint toutefois son appétit aux échanges régionaux. Non sans raison...

Curieux mouvement de balancier que celui de DP World. Alors que les compagnies maritimes lorgnent sur l’arrière-pays, de la mer vers la terre, en investissant dans la logistique terrestre, l’opérateur portuaire émirati DP World regarde la mer. Longtemps, DP World – 15 ans d’expérience dans la logistique du fret – n’a pas semblé intéressé par l’activité maritime. La situation a changé en 2018 lorsque l’émirati a racheté l'opérateur intra-européen de feeders Unifeeder (dont la flotte ne se compose toutefois que de navires affrétés) au fonds d’investissement de Nordic Capital Fund VIII pour la modique somme de 660 M€. Depuis, le n°2 mondial de la manutention portuaire, avec 48,2 MEVP traités en 2019 (Dynamar), a multiplié les opérations visant à monter dans la chaîne de valeur du transport maritime et de la logistique.

Ainsi, il a réintégré dans son giron en février 2019 la compagnie de rouliers et de ferries P&O Ferries opérant à courte distance entre le nord-ouest européen et les îles britanniques ainsi que sa branche logistique P&O Ferrymasters (l’ensemble était depuis 2006 rattaché à la maison-mère de DP World, Dubaï World, dont l’actionnaire unique est le gouvernement de Dubaï). Il a ensuite acquis, via Unifeeder, 77 % du capital de Feedertech (avec le NVOCC Perma Shipping), un groupe dans le short sea et feeder basé à Singapour. 

DP World/Unifeeder : Quand un opérateur portuaire prend le contrôle d'un armateur

Prise de contrôle de Transworld

Cet été, toujours via la compagnie danoise Unifeeder, il a pris le contrôle de plusieurs unités du groupe promu par l'homme d'affaires indien Ramesh Ramakrishnan, Transworld : Transworld Feeders FZCO, Avana Logistek (y compris sa filiale Avana Global FZCO), Transworld Feeders Pvt ainsi que les activités de transport maritime côtier indien et de transbordement de conteneurs en Inde (sous la marque EXIM) de Shreyas Shipping and Logistics. La transaction exclut toutefois la division propriétaire des porte-conteneurs et les activités de transport de marchandises en vrac. Shreyas revendique une part de marché de plus de 90 % dans le transbordement (la plupart des opérateurs de navires de ligne font appel à ses services pour le transbordement dans les ports indiens) et de plus de 52 % dans le conteneur sur le marché indien.

Shreyas Shipping exploite la plus grande flotte de navires côtiers et de feeders sous pavillon indien avec 12 porte-conteneurs de 670 à 4 200 EVP (le holding de Transworld contrôle près de 69 % de la compagnie tandis que les 31 % restants sont cotés à la Bourse de Mumbai). Elle assure notamment des liaisons avec des plateformes régionales telles que Colombo au Sri Lanka ou Jebel Ali, fief de DP World aux Émirats arabes unis. Après la scission, l’activité d’exploitation des porte-conteneurs de Shreyas Shipping & Logistics sera transférée à Transworld Feeders Pvt qui, à son tour, sera vendue à Unifeeder. La compagnie devrait toutefois rester une société indienne cotée en bourse avec une flotte sous pavillon indien.

Unifeeder acquiert Feedertech et DP World accroît son influence

Sultan Ahmed Bin Sulayem et Ramesh Ramakrishnan, PDG de DP World et de Shreyas Shipping and Logistics (Transworld Group).

Pallier les défaillances de la supply chain

Quant à Transworld Feeders et Avana Global, elles agissent en tant qu’opérateurs de feeders non exploitants (NVOCC), assurant la tournée du laitier entre les ports du Moyen-Orient, du sous-continent indien et de l'Extrême-Orient et rayonnant notamment à partir de Jebel Ali. Ensemble, elles assurent une desserte de 113 ports et traitent environ 1,2 MEVP par an. 

« Avec cette expansion, nous allons augmenter les capacités logistiques des deux groupes, ce qui apportera une plus grande flexibilité et efficacité à nos clients », a déclaré Jesper Kristensen, le PDG du groupe Unifeeder alors que l'opération devrait être finalisée d'ici la fin de l'année. Grâce à Shreyas Shipping et Avana Logistek, Unifeeder est désormais en mesure de proposer une gamme plus large de solutions porte-à-porte basées en Inde, poursuit le dirigeant.

« Ces opérations sont en phase avec notre stratégie et complètent nos récentes acquisitions de Feedertech et de Perma ShippingElles nous permettent d'avoir une couverture complète des marchés à forte croissance entre l'Afrique de l'Est, le Golfe et le sous-continent indien et d’offrir sur ce réseau une connectivité supérieure », a déclaré pour sa part dans un communiqué séparé Ahmed Bin Sulayem, le PDG du groupe DP World.

Autre étape stratégique

Le 27 juillet, DP World a révélé par ailleurs qu'il était entré au capital, à hauteur de 60 %, de Unico Logistics, un transporteur multimodal basé en Corée du Sud avec une position forte sur le marché du fret ferroviaire transcontinental entre l'Asie de l'Est, l'Asie centrale et la Russie. La transaction, soumise aux autorisations réglementaires, devrait être conclue au quatrième trimestre 2020. Créé en 2002, Unico dispose de 25 filiales dans 20 pays et est l'un des plus grands transporteurs non exploitants de navires (NVOCC) en Corée du Sud. Avec cette nouvelle emplette, DP World s’ancre un peu plus dans les régions Asie-Pacifique et Europe, tout en renforçant son portefeuille logistique, Unico ayant une expertise spécifique dans la logistique automobile.

« Il s’agit d’une autre étape stratégique visant à hisser le groupe en tant que fournisseur de solutions de bout en bout grâce à une suite intégrée de services en liaison directe avec les chargeurs : des capacités logistiques, des services maritimes et un réseau mondial de ports et de terminaux », expose le PDG de DP World qui entend pallier les inefficacités de la chaîne d'approvisionnement.

La première incursion de DP World dans le secteur offshore

Parmi les 20 premiers transporteurs mondiaux

Avec toutes ses acquisitions dans le short sea et le feeder, DP World alignerait ainsi une flotte de quelque 80 navires et une capacité de 140 000 EVP. En quelques années, il s’est hissé dans le top 20 des transporteurs mondiaux d’Alphaliner et posé en concurrent sérieux du leader mondial du feeder, X-Press, dont la flotte de 71 navires représente 107 100 EVP, avec un avantage toutefois pour ce dernier en termes de dessertes.

Ces dernières années, le manutentionnaire a également tenté à plusieurs reprises d'acquérir une participation dans l'entreprise russe Fesco (Far Eastern Shipping Company), spécialisée dans le transport maritime (15 porte-conteneurs totalisant 16 300 EVP), la logistique et les opérations portuaires, mais a toujours achoppé au stade des négociations.
 

P&O Ferries va perdre 1 100 emplois

Pas de renflouement de P&O Ferries

En revanche, en tant que maison-mère de P&O Ferries, DP World a refusé de mettre la main à la poche pour renflouer sa filiale transmanche, pour laquelle il avait déboursé 322 M£ (371 M€). Celle-ci faisait valoir un besoin de trésorerie de 257,5 M£ (291,5 M€) pour assurer sa pérennité. Tout en refusant d’utiliser les bénéfices d'une filiale du groupe pour en renflouer une autre, Sultan Ahmed Bin Sulayem ne s’est pas privé de déplorer le manque de soutien du gouvernement britannique, soulignant que DP World, qui exploite les terminaux portuaires de Londres et de Southampton, avait énormément investi au Royaume-Uni.

Pour s’affranchir d’un secteur portuaire saturé, DP World ne cherche pas seulement à accroître son influence dans le maritime. En 2017, il déboursait 450 M$ pour Maritime World Logistics et Drydocks World, « le plus grand chantier de construction navale du Moyen-Orient ». Il s’est offert la société offshore Topaz Energy & Marine en 2019.

Irréversible évolution de la structure du commerce international

Pour l’heure, la croissance externe de DP World dans le maritime vise principalement le feeder. L’émirati a montré jusqu’à présent peu d’appétit pour d’autres opérations d’envergure en dehors de la collecte régionale. Ce faisant, il se poserait en concurrent frontal des compagnies maritimes qui sont aussi les clientes de ses installations portuaires. Ses intentions n’en intriguent pas le moins le secteur en dehors de la justification plus primaire de ces agissements : une utilisation accrue de ses installations 

Quoi qu’il en soit, la guerre douanière entre les États-Unis et la Chine ou la perturbation des échanges commerciaux induite par la pandémie tendraient à lui donner raison sur un point : l’irréversible évolution de la structure du commerce international avec des échanges régionaux gagnant de plus en plus de terrain sur les flux transcontinentaux Est/Ouest.

Bien que quelques opérateurs soient spécialisés dans les échanges régionaux, DP World pourrait toutefois être en mesure d'obtenir une part significative du gâteau régional, s’émeuvent certains…

Adeline Descamps

 

33,9 MEVP traités au premier semestre, en baisse de 5,3 %

 

DP World a traité 33,9 MEVP dans l’ensemble de son parc de terminaux à conteneurs au premier semestre 2020. En glissement annuel, il s’inscrit en baisse de 5,3 % par rapport à l'année précédente à périmètres constants dans un marché en baisse de 15 % au 2e trimestre 2020 et de 10 % au sur les six premiers mois de l’année, selon le groupe émirati. « Cette surperformance démontre une fois de plus que nous sommes aux bons endroits », a commenté Sultan Ahmed Bin Sulayem, le PDG du groupe basé à Dubaï.

Au niveau consolidé, les terminaux dans lesquels DP World détient une participation de contrôle conformément aux normes IFRS ont traité 20 MEVP sur les six premiers mois de l’année, en hausse de 2,4 % en données brutes mais en chute de 5,4 % d'une année sur l'autre à périmètre constant. Le volume consolidé a été stimulé par Caucedo (République dominicaine), l'acquisition de terminaux à conteneurs au Chili et le début des opérations à Posorja en Équateur. Avec 6,7 MEVP, le terminal phare de DP World Jebel Ali est en revanche en baisse de 6,8 % par rapport à l'année précédente. Mais cela fait quelques années que le manutentionnaire pâtit de ses résultats à domicile.

La société a néanmoins déclaré que ses résultats étaient « meilleurs que prévu compte tenu de l'impact implacable du Covid-19 sur le commerce mondial » et reste confiante quant aux fondamentaux de l'industrie à moyen et long terme bien que les perspectives soient incertaines

En dépit d’une croissance de ses revenus de 17,7 %, à 4,07 Md$, l'opérateur a déclaré un bénéfice attribuable aux propriétaires de 313 M$ pour le premier semestre 2020, soit une baisse de 58,5 % par rapport au premier semestre 2019. « Notre Ebitda, à périmètres constants, hors vente de terrains d'Emaar en 2019, a augmenté de 1,1 % [1,53 Md$, NDLR] au cours de cette période, ce qui démontre que nous avons géré les coûts de manière efficace », indique le CEO.

Au cours de la période, la société a levé 1,5 Md$ grâce à l'émission d'obligations pour rembourser par anticipation la dette envers Port and Free Zone World (PFZW), société mère de DP World, après le semestre.

Les dépenses d'investissement de l'opérateur portuaire ont représenté 552 M$ « investis dans le portefeuille existant ». Les efforts budgétaires pour l’année s'élèvent toujours à 1 Md$, avec des investissements prévus aux EAU, à London Gateway (Royaume-Uni), à Berbera (Somaliland), à Sokhna (Égypte) et à Caucedo (République dominicaine).

Les flux de trésorerie provenant des activités d'exploitation restent élevés, avec 1,124 Md$ au premier semestre 2020 contre 1,046 milliards au premier semestre 2019. La note de crédit de DP World reste fixée à BBB- avec perspective stable par Fitch, et à Baa3 avec perspective stable par Moody's. 

A.D.

 

 

 

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