La députée Sophie Panonacle a remis à la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne un rapport établi au nom de l’ensemble de la communauté maritime. Le document porte le paraphe d’une centaine de représentants de toutes les filières composant le transport maritime. Les 618 pages présentent l’état des lieux post Covid-19 et dressent la liste des 150 mesures nécessaires pour assurer une relance compétitive et décarbonée.
Le gouvernement n’a sans doute pas assez de la fin de sa mandature pour lire la somme de 618 pages qui vient de lui être remise par la députée de Gironde, Sophie Panonacle, bien connue des professionnels du secteur pour mener au sein de l’Assemblée nationale un vrai lobbying en faveur du transport maritime aux côtés d’une dizaine de députés des bords de mer. Intitulé « Happy blue day », le rapport a été rédigé sous la houlette du président du Cluster maritime français Frédéric Moncany de Saint-Aignan et a embarqué toutes les filières composant la vaste communauté maritime, de la marine marchande à la pêche en passant par les ports et la supply chain, le yachting, la plaisance, le fluvial, la construction navale, les énergies renouvelables...
Par sa valeur testimoniale, il intéressera sans doute les économistes, historiens et autres consultants qui chercheront un jour à décrypter cet improbable « moment » que fut la traversée du Covid-19. Car on assiste rétrospectivement, avec les compte-rendu des visioconférences initiées dès avril, à l’émergence des problématiques telles qu’elles se sont posées au fur et à mesure. À ce propos, cet ouvrage dit aussi toute la résilience d’un secteur qui, de visio en visio, fait part des solutions ou des propositions pour colmater, ici et là, les percées aux endroits de la chaîne logistique.
Au-delà du bilan des dégâts économiques, il propose un « carnet de bord » de 150 mesures consensuelles puisque portées par les organisations professionnelles et leurs partenaires sociaux (SNIPECT/FO, FOMM/UGICT/CGT, UFM/CFDT/FGTE, CFE-CGC Marine, FNSM CGT). Mais on y trouve en outre les contributions des corps intermédiaires, des associations et ONG de la protection de l’environnement marin (Tara Expéditions ; Surfrider Foundation Europe, Expédition 7e Continent, WWF France, France Nature Environnement, Institut océanographique Paul Ricard, Fondation de la Mer) ainsi que des organismes de recherche (CNRS, Ifremer, Nausicaa, Oceanpolis, Isemar)…
Vague verte
« Les régions et les collectivités locales, sont prêtes à coconstruire avec l’État la politique maritime de la France (…). Protéger du chômage 400 000 femmes et hommes est l’enjeu immédiat. Pour l’avenir, nous avons l’ambition de faire de la filière maritime un gisement de nouveaux emplois. Nous proposons un plan de relance exigeant et ambitieux », écrit en préambule Sophie Panonacle. « L’ensemble des acteurs de la mer ont été consultés en vue de poser un diagnostic précis sur les impacts de la crise et mieux scruter les horizons maritimes de la France archipel », signifie Frédéric Moncany de Saint-Aignan, jamais avare d’une métaphore filée, dans son éditorial. Ce dernier avait commis il y a quelques jours une adresse au président de la République Macron, conjointement avec Philippe Louis-Dreyfus, président du Groupe des conseillers du commerce extérieur experts de l’économie maritime (GEEM). Tous deux insistaient sur la nécessité d’une relance forte pour le transport maritime.
Le secteur français de la mer entend prendre la vague verte, celle qui concilie écologie et économie. Les auteurs du rapport ne s’attendent sans doute pas à ce que l’exécutif valident sans retouche les 150 mesures. Certaines sont opérationnelles relativement rapidement mais d’autres nécessiteront sans doute une intervention plus lourde, avec ajustements réglementaires ou législatifs.
La filière ferroviaire plaide pour un plan d'investissement massif
Compétitivité et souveraineté
Réparties en huit grandes thématiques*, les contributions placent en haut de la pile la compétitivité des activités portuaires, des industries navales et du transport maritime. Des investissements en R&D dans les domaines numérique et environnemental sont sollicités mais c’est surtout la souveraineté qui est convoquée dans ce chapitre : relocalisation de capacités technologiques en France (moteurs, navires autonomes, filière des batteries...), filtrage des investissements directs étrangers, priorité aux approvisionnements locaux sur les importations, préférence nationale et européenne dans les appels d’offre, aides publiques conditionnées à des critères (social ou contenu local).
Dans le détail, pour les ports, il s’agit de combler le grand retard par rapport à ses grands voisins nord-européens, de régler une bonne fois pour toutes leur problématique de compétitivité et de repenser les chaînes logistiques en accentuant le report modal et en faisant du rail un outil de renforcement de l’hinterland. Les demandes à ce niveau rejoignent celles que vient de formuler la coalition 4F en appelant à un investissement public massif.
Extension de la flotte stratégique de la loi de 1992 et loi Girardin sur l’Outre-mer de 2003 revisitée »
« Charger français »
Pour asseoir la compétitivité du transport maritime, le document fait état de quatre grands « packs ». Le premier (« investissement productif ») comprend un ensemble de mesures financières ciblant le financement des navires ou renouvellement de la flotte existante en élargissant les bases fiscales afin de ne pas compter uniquement sur les banques mais sur une population bien plus large d’acteurs disponibles à l’investissement maritime. L’asséchement des crédits maritimes est une problématique structurelle, les critères imposés par les règles européennes de Bâle n’ont pas non plus aidé. « L’idée est de revisiter les dispositifs existants pour les rendre plus attractifs. Les financements ne sont pas uniquement bancaires mais incluent aussi des possibilités d’épargne d’entreprises ou de particuliers susceptibles d’investir dans la flotte française », est-il indiqué.
Le second (« solidarité économique ») s’adresse à l’ensemble des grands chargeurs et logisticiens pour les inciter à privilégier la flotte française. Derrière cette invitation au patriotisme économique, une extension de la flotte stratégique de la loi de 1992 concernant les quotas d’armements français pour les produits pétroliers ou pour le brut est envisagée. Il s’agirait de l’élargir à un certain nombre d’autres produits tout aussi stratégiques que le pétrole. Dans la même veine de revoyure législative, les auteurs du rapport propose de revisiter la loi Girardin sur l’Outre-mer de 2003. « Les territoires ultra-marins, dont les recettes reposent sur le tourisme et la croisière, sont particulièrement affectés par la crise. Il faudra engager un effort particulier. »
Conversion des navires
Le troisième « pack » social et sociétal consiste à « repenser avec les marins et les organisations syndicales le code du travail maritime pour la modernisation dont il a besoin. Il apparaît également nécessaire de réfléchir à la manière dont les organisations publiques comme l’ENSM ou l’ENIM pourraient s’associer avec des acteurs privés pour accroître le potentiel de ces structures. » Peu explicite.
Quant au « pack environnemental », ils évoquent des pistes qui relèvent à la fois du normatif, de la fiscalité et de l’opérationnel : établissement de zones de contrôle des émissions atmosphériques (ECA), accélération de la R&D sur les questions de motorisation et de carburant de demain, amélioration du suramortissement vert (qu’ils veulent ouvrir à toutes les innovations et technologies mises en œuvre pour le verdissement des navires avec prise en compte d’une assiette égale à 100 % de la valeur du navire), développement des branchements électriques dans les ports français et des infrastructures d’avitaillement en ship-to-ship sous pavillon français...
Sans nul doute, Armateurs de France a tenu le crayon et le projet de mandature de Jean-Emmanuel Sauvée, qui doit être présenté à son comex très prochainement, ne devrait pas être très éloigné des propositions émises dans ce document. « Nous devons mettre la barre haute. La transition énergétique sera primordiale dans ce qui se construira la marine française de demain. Il faudra utiliser tous les leviers à notre disposition aujourd’hui. Ils sont nombreux, mais les investissements sont très lourds et nécessitent des dispositifs incitatifs pour les conversions des navires » mentionne le rapport. Est suggérée la possible d’élargir l’accès aux Certificats d’économie d’énergie (CEE) aux navires. Aujourd’hui ne sont éligibles que les navires exploitant des lignes directes sans escale entre deux ports du domaine national, métropole et outre-mer si bien que peu d’armateurs peuvent en bénéficier de ce dispositif.
Décarboner le GNL
Outre le développement de la filière GNL, la filière cite l’hydrogène, l’ammoniac et la propulsion vélique parmi ses choix de développement. Pour décarboner le GNL fossile, « le moyen le plus immédiatement disponible demeure le méthane de synthèse. Il apparait indispensable de lancer des appels à projet tel que prévu dans la Loi d’orientation des mobilités pour le biométhane non injecté ». Le secteur craint en fait que le dispositif soit réservé au gaz en canalisation, non liquéfié et inutilisable dans le maritime.
L’accès aux garanties d’origine des biométhanes liquides (biogaz) est donc un point clé pour les armateurs : presque 10 % de la flotte française va être équipée de GNL. Le biométhane est une solution prometteuse dans le maritime, non seulement pour répondre aux premiers objectifs 2030 de l’OMI mais aussi pour tendre vers la neutralité carbone à 2050, soutiennent les armateurs français. Or, la production française de biométhane liquide est aujourd'hui nulle.
Un décret relatif à la mise aux enchères des garanties d’origine biométhane est en cours**. « Ce projet pourrait avoir de lourdes conséquences sur le développement du GNL dans le transport maritime s’il conduisait à interdire l’accès aux garanties d’origine de l’état liquide des produits ». Patrick Corbin, le président de la plateforme GNL et de l’Association française du gaz précise à ce propos que « la position consiste aujourd’hui à dire oui au bioGNL pour le transport maritime à condition qu’il le soit à l’origine et non sous forme de biométhane gazeux ».
Mettre les voiles
Dans le rapport, la propulsion vélique est enfin considérée comme une alternative crédible selon certains segments de marché et typologies de fret. Les navires peuvent, selon leurs contraintes, déjà avoir recours à des technologies éoliennes différenciées, soutiennent ses promoteurs. Propulsion principale ou auxiliaire, retrofit ou construction neuve, la jeune filière propre se dit prête. Mais elle attend « un geste clair de la part du gouvernement et des autorités » car à ce jour, « il faut se tourner vers les fonds européens ».
La France tient pourtant avec la quinzaine d’entreprises pionnières dans ce domaine – armateurs, fournisseurs de technologie et architectes navals fédérés au sein de l’association Wind Ship – « une considérable concentration à l’échelle mondiale, qui doit permettre au pays de devenir leader sur ce marché d’avenir ».
Là encore, l’État est appelé à la manœuvre. Il pourrait mettre en œuvre des mécanismes, du type garantie d’État non rémunérée, pour asseoir la crédibilité des start-ups et des PME, souvent considérées comme risquées du point de vue des investisseurs. Il pourrait aussi faire en sorte que « les commandes publiques intègrent une forte part de transition énergétique et ainsi que la flotte gérée par l’État puisse avoir une composante environnementale très forte. Cela permettrait d’apporter des premiers revenus à des entreprises qui ensuite seraient en mesure de se positionner auprès du secteur privé », émet Florent Violain, le président de Wind Ship.
Ordre de priorité et méthodes
Si tant est que les 150 mesures soient reprises, quels seront l’ordre de priorité et les méthodes de travail à adopter pour mettre en œuvre ce plan de relance multi secteurs, pluridisciplinaire, aux diverses temporalités et enjeux multiples ?
« Dans le cadre du plan de relance en lien avec la transition énergétique, quelles sont les entreprises et activités essentielles à préserver et à sauver en priorité ? Il est primordial de s’assurer que ces activités critiques, au service de la transition énergétique, puissent maintenir de l’emploi et du savoir-faire », indique un des auditeurs du rapport, représentant du Cluster maritime français.
Adeline Descamps
*Mettre le cap vers des activités portuaires, des industries navales et un transport maritime compétitifs et résilients ; Faire progresser le dialogue social, améliorer la formation et l’attractivité des métiers ; Approfondir la connaissance de l’Océan par la recherche et encourager la « maritimisation »; Soutenir nos pécheurs et aquaculteurs et valoriser les produits français de la mer ; Réaffirmer nos ambitions environnementales et nos engagements pour la protection du milieu marin ; Accélérer la transition énergétique des filières et encourager l’émergence des énergies renouvelables et des projets décarbonés ; Accompagner les filières des industries nautiques, de la plaisance et du yachting ; Soutenir nos territoires ultra-marins en tenant compte de leur diversité et de leurs spécificités.
** La traçabilité de méthane décarboné, qu’il soit d’origine biomasse ou de synthèse, est un autre point clé. Le projet pilote Jupiter 1000 à Marseille pourrait produire du méthane de synthèse à la fin de l’année.
Dans la construction navale
Les principales mesures résident aussi dans des positions de marché : la lutte contre le dumping social au niveau européen avec en fond sonore, l’espoir de relocaliser les emplois et d’améliorer la compétitivité des conditions des marins français. Pour asseoir la souveraineté dans la filière, il est question entre autres de développer des offres françaises de navires autonomes et de navires propres sachant que « les États-Unis, la Norvège et la Corée investissent fortement aujourd’hui dans le développement de technologies pour l’autonomie des navires ». Il s’agit par ailleurs de structurer une filière autour des technologies des batteries et de la gestion de l’énergie et de reconstituer une filière motoriste française et européenne. Pour ce faire, il est proposé de réaliser un inventaire de ces dépendances vis-à-vis de pays comme la Chine ou les États-Unis (ITAR free) et de surveiller le tissu de sous-traitance de capacité. « Parmi ces sous-traitants, quelques entreprises sont déjà sous contrôle étranger telles que Thermodyn, Nexeya, Arcelor Mittal, MAN ES. Il est essentiel de les suivre avec attention, notamment pour protéger le savoir-faire français contre des arbitrages de portefeuille que pourraient faire leurs actionnaires étrangers, dont les situations financières se sont potentiellement dégradées dans la crise actuelle. Ces arbitrages iraient à l’encontre des intérêts stratégiques français (fermeture ou revente d’un site, pertes d’emplois...) ». Les chantiers français doivent s’appuyer sur une position dominante sur leur marché intérieur afin de conquérir des marchés à l’exportation, dans les domaines civil, AEM, et militaire. Dans le domaine civil, le pavillon français est pillé par des chantiers étrangers, est-il avancé. Au sein de l’UE, la concurrence espagnole pourrait être réduite par la mise à niveau de la compétitivité du « Tax Lease » français, incitant ainsi les armateurs français à privilégier l’écosystème français (réglementaire et fiscal, financier, industriel et social), propose le chantier Piriou. |
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