Étape stratégique franchie pour Neoline, qui a signé avec Neopolia une lettre d’intention pour la construction de deux voiliers cargos de 136 m. La ligne transatlantique reliant Saint-Nazaire aux États-Unis doit entrer en service en 2021. Technologie, marchés, méccano industriel, financements... Explications.
Neoline se rapproche un peu plus du lancement de son premier navire, avec la signature le 5 juillet 2019, à Nantes, d’une lettre d’intention avec le groupement d’entreprises Neopolia pour la construction d’un navire et une option pour un second. D'un genre pas tout à fait comme les autres puisqu'il s'agit de cargos rouliers dont la voile constitue la principale propulsion, alors que le moteur n’est qu’auxiliaire, réservé au chenalage et aux manœuvres portuaires. L’objectif de l'entreprise nantaise est désormais de lancer la construction du premier Neoliner fin 2019, et celle du deuxième six mois plus tard. Ils seront exploités sur une ligne reliant Saint-Nazaire à Charleston, sur la côte Est des États-Unis, et desservant aussi Baltimore, Bilbao et Saint-Pierre-et-Miquelon. La rotation étant prévue pour durer 30 jours, deux navires sur la ligne offriront une fréquence de deux semaines.
« Un projet d’armateur basé sur la transition énergétique », souligne Adrien Simonet, le directeur général adjoint de cette société fondée en 2015 par neuf associés, issus pour la plupart de la marine marchande. C’est son cas, capitaine ayant arrêté de naviguer en septembre dernier pour se consacrer à l'entreprise. « En tant qu’armateur, nous n’avons pas vocation à développer de nouvelles technologies, mais à assembler des technologies existantes, éprouvées, pour créer un navire constructible aujourd’hui, explique-t-il. La lettre d’intention nous permet de valider un projet de construction et un prix ».
Alain Simonet, directeur général adjoint de Neoline
Recherche de financements
Entre la signature de la lettre d’intention, la commande et le début de la construction qui doit intervenir à l’automne, Neoline dispose de l’été pour boucler le financement de son projet, estimé pour les deux navires, fonds de roulement compris, à quelque 100 M€. Neoline entame donc à présent une phase de levée de fonds. « Nous devons d’abord constituer nos fonds propres, apportés pour 25 % par Neoline et le reste par des investisseurs. Nous aurons ensuite recours à l’emprunt bancaire », indique le président de Neoline, Michel Péry, 25 ans de commandement dans la marine marchande, dont celui du voilier Belem.
Neoline affirme avoir recueilli une quinzaine de lettre d’intentions de chargeurs, dont Renault pour le transport de voitures, Manitou, installé à Ancenis, et Bénéteau, en Vendée, qui pourra embarquer en roro des bateaux jusqu’à 9,8 m de haut, sans démonter les parties aériennes. « Nous leur apportons, pour le même prix de transport, une amélioration logistique pour du matériel hors gabarit, qu’ils sont aujourd’hui obligés d’acheminer par la route vers les ports du Nord de l’Europe, explique Michel Péry. L’argument environnemental est aussi très fort pour un nombre croissant de chargeurs, à condition que notre solution ne soit pas plus chère. » Neoline se targue en effet d’offrir aux chargeurs un taux de fret compétitif et ne dépendant ni des cours du pétrole ni de l’évolution de la réglementation OMI sur les carburants maritimes.
Un puzzle industriel original
Pas moins de 17 chantiers à travers le monde ont été consultés, avant que ne soit retenue la société Neopolia. Issue du pôle marine créé à Saint-Nazaire en 1999, Neopolia est née en tant qu'association en 2007. Fédérant 146 industriels de la région Pays-de-la-Loire, elle se compose de six réseaux thématiques d’entreprises habituées à travailler ensemble sur les gros projets industriels dans les domaines du maritime, de l’aéronautique, du rail, des hydrocarbures, du nucléaire et des énergies marines renouvelables. En juin 2018, l’association avait lancé la société Neopolia SAS, destinée à devenir l’interlocuteur unique des clients industriels pour ensuite redistribuer auprès des entreprises adhérentes.
Pour les Neoliner, la construction de la coque et la grosse chaudronnerie seront effectuées dans un chantier européen, puis la coque sera remorquée jusqu’aux bassins du port de Saint-Nazaire. « Des discussions sont encore en cours avec trois chantiers européens, précise Alain Leroy, président de Neopolia. Les finitions, qui représentent 60 % du coût total du navire, seront réalisées dans la région de l’estuaire de la Loire. Entre 20 et 25 entreprises adhérentes interviendront. »
Le groupement, qui porte le contrat vis-à-vis de Neoline, contracte avec ses entreprises membres, choisies suite à un appel à manifestation d’intérêt. Une solution attractive pour le client par rapport à la sous-traitance classique, puisque Neopolia ne prend pas de marge sur ses adhérents.
Le cargo à voiles a été conçu par Neoline en collaboration avec le Bureau Mauric. Le navire comporte quatre mâts disposés non pas en une seule ligne, mais sur deux rangées. Ce gréement permet par exemple de doubler la surface de voile sans augmenter le tirant d’air. ©Mauric
Gréement duplex
Le cargo à voiles a été conçu par Neoline en collaboration avec le Bureau Mauric. Les plans ont été pré-approuvés par DNV-GL. Le navire comporte quatre mâts disposés non pas en une seule ligne, mais sur deux rangées. Ce gréement de type « duplex » a déjà été expérimenté dans le domaine de la plaisance ou de la course, mais était trop complexe pour ces usages. Il présente, en revanche, plusieurs avantages dans le cas d’un cargo, à bord duquel les voiles sont télécommandées par hydraulique, et non réglées avec des cordages. Ce gréement permet par exemple de doubler la surface de voile, atteignant 4200 m², sans augmenter le tirant d’air. Il situe aussi les pieds de mâts sur les murailles du navire, point naturellement fort de la structure, ce qui préserve la capacité de cale qui n’est ainsi pas encombrée par un mât la traversant.
Les mâts culminent à 67 m mais peuvent être rabattus pour ramener le tirant d’air à 41,5 m, ce qui permet de franchir la plupart des ponts des grands estuaires. La coque de 136 m de long pour 24 m de large et 5 000 tonnes de port en lourd est dotée de plans anti-dérives, dont la conception est identique à des stabilisateurs anti-roulis, mais disposés verticalement. Une motorisation diesel-électrique de 4000 kW est aussi prévue.
Quant à l’équipage, il est composé de 14 membres (identique à un navire classique de cette taille), les compétences étant remontées depuis la machine vers le pont, car le moteur tournera peu alors que la manœuvre et l’entretien du gréement nécessitera du personnel.
Neoline table sur une vitesse commerciale de 11 nœuds, alors que la vitesse de pointe, au moteur ou à la voile, devrait être de 15 nœuds. À la clé, une réduction de 80 à 90 % de la consommation de carburant. « Les simulations d’un départ tous les trois jours, menées avec la société D-ICE et basées sur des données météo historiques, ont permis de calculer cette vitesse commerciale et cette consommation de carburant, précise Adrien Simonet. Cela montre que nous pouvons naviguer sous voile seule à 12 nœuds la moitié du temps, et que la moitié du gasoil consommé servira à la consommation électrique du bord ».
Le choix du gasoil est lié à la faible consommation du navire, qui ne rentabilise pas un système de nettoyage du soufre nécessaire avec l’utilisation de fioul. Le GNL a vite été écarté, le stockage de ce carburant prenant trop de place à bord et le dessin de la carène étant contraint par la recherche d’hydrodynamisme.
Le choix d’une motorisation diesel électrique permet cependant de faire évoluer le navire, avec par exemple l’ajout de batteries pour faire face aux pics de consommation, voire le tout-électrique pour les chenalages avec davantage de batteries, sous réserve de bénéficier de branchement à quai pour la recharge. L’utilisation d’une pile à combustible à hydrogène pourra aussi être envisagée.
Les mâts culminent à 67 m mais peuvent être rabattus pour ramener le tirant d’air à 41,5 m, ce qui permet de franchir la plupart des ponts des grands estuaires. ©Mauric
Vers une nouvelle filière
Au-delà des deux navires qui doivent être construits dans les deux ans à venir, Neoline a le projet d’étoffer son offre. « Nous pourrions augmenter le nombre de navires, rechercher un effet d’échelle avec des navires plus grands, ou encore construire un navire dédié pour un seul chargeur industriel », explique Michel Péry. Renault, par exemple, serait intéressé par un navire à la capacité de 4 000 voitures.
Le transport de marchandises à la voile comporte cependant des limites : la zone de navigation doit être régulièrement ventée et les trajets d’une distance suffisante, ce qui exclut par exemple la Méditerranée. Le fret doit être adapté, ce qui interdit a priori le transport de conteneurs, les mâts interdisant la manutention verticale. Enfin, les cargos à voile resteront limités en longueur, signale Michel Péry, la tonnage du navire augmentant d’un facteur trois avec sa longueur, alors que la surface de voile, que d’un facteur deux.
La flotte de cargos à voile pourrait atteindre 250 à 350 unités d’ici 15 ans, estiment les fondateurs de Neoline. Sur ce marché spécifique, où les Neoliner ne resteront pas seuls longtemps, Neopolia voit « une vraie opportunité de construction d’une nouvelle filière en France, à condition que les financements et garanties bancaires suivent. »
Étienne Berrier