Cinq constats, une cinquantaine de mesures déclinées en trois grands axes d’engagements pour un shipping responsable sur le plan social, sociétal et environnemental. Armateurs de France a présenté, à l’issue de son Comité exécutif tenu exceptionnellement à Montpellier le 5 décembre, une version renouvelée de sa Charte bleue qui entend « approfondir les efforts et les engagements ».
Il s’agit de la seconde modification depuis la première mouture initiée en 2003 sous la mandature de Philippe Louis-Dreyfus. L’organisation professionnelle représentant les intérêts maritimes avait alors déjà tissé sa trame autour de cinq grands engagements : « Améliorer la sécurité et la qualité des navires », « protéger l’environnement marin et le littoral », « garantir de bonnes conditions de vie et de travail aux équipages », « diriger ses entreprises avec transparence et déontologie », « affirmer sa solidarité avec la communauté maritime ». Pour lui assurer de la visibilité, l’astucieux président de Louis Dreyfus Armateurs avait réussi à l'époque à accrocher l’intérêt de Nicolas Hulot, qui n’avait pas le CV aussi long qu’aujourd’hui, mais n’en était pas moins la « personnalité préférée des Français » grâce à l’émission emblématique Ushuaïa.
Cette fois, le document, particulièrement engageant sur un plan environnemental, a été paraphé par 49 signataires. Il va bien au-delà des réglementations en vigueur, considérant le cycle du navire, de l’écoconstruction au démantèlement, l’ensemble de sa navigation pour limiter les impacts dans l’air et sous l’eau, favorisant l’intermodalité et le report modal à chaque fois que possible…
Changer l'image
« L’armateur n’est toujours pas considéré dans sa dynamique réelle et continue de véhiculer une image clichée du passé, celle de pollueur, alors que nos adhérents mènent beaucoup d’initiatives et en tout genre », a introduit Jean-Marc Lacave, le délégué général d’Armateurs de France.
Le document arrive à point nommé, à quelques heures de l’ouverture des Assises de l’Économie de la mer par le président Emmanuel Macron au Corum. C’est l’occasion d’appuyer sur le fusain alors que le secteur (une cinquantaine d’entreprises, 1 000 navires opérés dont environ 400 sous pavillon français), ne présente pas toujours des contours très nets pour ceux qui le méconnaissent. Avant de s’engager, les armateurs rappellent donc quelques « faits » : ils sont soucieux du dialogue social et des conditions de travail, sont pourvoyeurs d'emplois, sont conscients de l’impact environnemental de leurs activités bien que le shipping ne représente « que » 2,8 % des émissions totales de gaz à effet de serre alors qu’il assure 90 % du transport mondial de marchandises, créé des emplois…
Pour autant, c’est bien à cet égard que les exigences sont les plus nombreuses : adopter une attitude proactive à l’égard de la réduction des émissions polluantes des navires (dans leur globalité) ; favoriser la mise en place des technologies permettant de minimiser l’empreinte environnementale (dans leur diversité : GNL, hydrogène, carburants biosourcés ou issus des énergies renouvelables, scrubbers, propulsion hybride, branchement à quai, propulsion ou assistance vélique, écodesign…) ; s’équiper de dispositifs de prévention des collisions pour les navires évoluant dans une zone de présence connue de mammifères marins ; participer à la recherche sur la réduction des bruits sous-marins ; développer une démarche participative, collective et proactive avec les différents acteurs (publics et privés) du secteur pour promouvoir l’instauration de filières « vertes », contribuer aux réflexions et aux travaux visant à réduire encore davantage les différents types d’émissions et de rejets autorisés...
Financer les bonnes intentions
Les enjeux environnementaux ne sont pas sans poser des problèmes. À l’heure où les crédits s’assèchent et les conditions d'octroi de prêts se durcissent, le verdissement du secteur appelle de véritables ruptures technologiques. Pour permettre cette transition énergétique, Armateurs de France milite depuis quelque temps en faveur de la mise en œuvre d’un dispositif de garantie publique ou de couverture de risques (inspirée de celle dont bénéficient les entreprises étrangères qui font construire leurs navires en France) en bénéficiant d’outils tels que la BPI, la Coface ou la Caisse des dépôts.
À cet effet, le député des Bouches-du-Rhône Saïd Ahamada avait présenté l'an dernier un amendement à la loi des Finances 2019 visant à soutenir les investissements dits verts des armateurs, Armateurs de France tenant le crayon en partie. Le texte avait été adopté en décembre par l'Assemblée nationale mais a dû être revu à la demande de la Commission européenne qui l’estimait non conforme aux règles en matière d’aides d'État. Le texte revu, en navette parlementaire ces dernières semaines dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF 2020), a été approuvé par l’Assemblée nationale (en octobre) et par le Sénat (fin novembre). Une fois validée définitivement, les contrats de construction conclus entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2022 devraient être éligibles au dispositif. L’avantage fiscal (article 39C du code général des impôts) se calcule sur la base de la différence de la valeur avec un mode de propulsion classique et avec une propulsion alternative.
Où mettre le curseur ?
Reste à savoir où les armateurs mettront le curseur de la satisfaction, une fois le discours d’Emmanuel Macron prononcé. Si le simple fait de l’entendre dire qu’il charge quelques-uns de ses ministres de plancher sur des instruments de financement accompagnant le secteur dans le verdissement sera suffisant pour les contenter. Ou s’ils attendent d’autres mesures pour remédier, par exemple, à la pénurie de navigants qui fait peser un risque à terme pour le le pavillon national ou s’ils espèrent des garanties sur la préservation de certains acquis qui permettent de jouer « à armes pas trop inégales » avec la concurrence internationale...
Quoi qu'il en soit, le secteur maritime offre au président de la République un socle pour s'exprimer sur des sujets à la fois régaliens (sécurité maritime, souveraineté de la France, puissance maritime...) et environnementaux, dont Emmanuel Macron revendique avoir fait le ciment de l'acte II du quinquennat...
Adeline Descamps
* organisé par nos confrères, le groupe Ouest France et Le Marin, en partenariat avec le Cluster maritime français.