DSV n’a pas l’appétit contrarié et reste à l’affût d’opportunités une fois que le virus aura jeté tous ses feux. Kuehne+Nagel a opté pour la stratégie défensive pour ménager ses coûts d'exploitation. DHL, revigoré par son activité fret au troisième trimestre, se prépare pour la saison de Noël.
Sur l’échelle des crises économiques, Jens Lund, directeur financier de DSV Panalpina, ne place pas à la même magnitude celle de 2008 aux origines financières et celle de 2020 de source sanitaire. Pour le représentant d’un des grands « faiseurs »de la commission de transport, qui s’est confié au quotidien danois Børsen, la première fut « pire » que la seconde, bien qu’elle ait provoqué des perturbations majeures sur terre, sur mer et dans les airs. Notamment parce que l’économie mondiale fonctionne toujours plus ou moins, certes avec moult incertitudes, alors que la crise financière, estime-t-il, ne laissait guère espérer un retour plus rapide à la normale.
Les commissionnaires de transport ont eu, ces derniers mois, l’occasion de tester la résilience de leurs plans de transport pour assurer la continuité d’exploitation contrariée par les blank sailing en maritime et la quasi-disparition des vols passagers long-courrier. Ils viennent d’encaisser des mois de gros temps, avec des modifications brutales de l'offre, mais aussi de la demande quand il a fallu mobiliser rapidement des capacités aériennes pour répondre à des « besoins spots exceptionnels », tels que les importations massives d’équipements sanitaires, à un moment où toutes les pays les sollicitaient.
Ces opérations ont sans doute contribué à limiter la casse des résultats du second trimestre, du moins pour les grands acteurs du marché, bienheureux, qui avaient investi dans des capacités logistiques et un réseau mondial. Ceux-là ont pu offrir aux PME et grands chargeurs une capacité de fret maritime et aérien dans un marché extrêmement tendu.
Des résultats bien positifs au 3e trimestre
Au cours du troisième trimestre, plusieurs des plus grands transitaires se sont nettement mieux comportés malgré la crise. Certains ont d’ailleurs revu à la hausse leurs prévisions pour l'ensemble de l'année 2020. DSV Panalpina prévoit désormais un résultat d'exploitation (Ebit, bénéfice avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts), indicateur phare pour le secteur, de 9,2 milliards de couronne danoises (1,46 Md$) contre 8,2 à 8,7 milliards de DKK lors de sa dernière présentation. Pour le troisième trimestre, DSV Panalpina a enregistré un bénéfice d'exploitation de 2,7 milliards de DKK (362,5 M€) contre 1,8 milliard de DKK l'année précédente. Le chiffre d'affaires a également augmenté et s'est élevé à 28,1 milliards DKK (3,7 Md€) contre 24,5 milliards DKK au cours du même trimestre 2019. Au final, DSV est dans le vert avec un résultat net positif de 1,7 milliard de DKK (228 M€) au cours du trimestre, en sensible amélioration par rapport aux 1,4 milliard de DKK enregistrés au troisième trimestre de l'année dernière.
DHL a également relevé ses orientations pour l'ensemble de l'année. Les activités de fret du groupe allemand de transport et de logistique devraient désormais générer un excédent brut d'exploitation (Ebitda, résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement) de l'ordre de 3,3 à 3,6 Md€. Il s'attendait précédemment à un résultat de 2,8 à 3,1 Md€.
Kuehne+Nagel, la logistique maritime bienfaisante
Malgré un chiffre d'affaires plus faible qu’au second trimestre de 2019 (5 milliards de francs suisses versus 5,2 milliards, soit 4,6 Md€ pour 4,8 Md€), Kuehne+Nagel a également réussi à augmenter son résultat net au troisième trimestre, au cours duquel la société a gagné 266 millions de francs suisses (248,6 M€). Au cours de la même période de 2019, le résultat net s'est élevé à un peu plus de 200 M€. Le résultat d’exploitation s'est également amélioré de 31 % par rapport à l'année dernière, s'établissant à 346,8 M€. La société a en outre prolongé d'un an sa facilité de crédit de 701 M€, qui doit arriver à échéance en avril 2023, de façon à garantir un accès rapide à des capitaux supplémentaires
L’évolution de la logistique maritime du grand groupe de logistique suisse reflète bien le renversement de tendance très positif, lié notamment à l'augmentation des importations en Europe et en Amérique du Nord en provenance d'Asie. Au troisième trimestre, le volume des conteneurs a augmenté de 10,4 % par rapport au deuxième trimestre pour atteindre 1,2 MEVP. Le chiffre d'affaires s'est élevé à près de 1,6 Md€ et l'Ebit s'est amélioré de 12,3 % par rapport à l'année précédente pour atteindre 128 M€.
DSV Panalpina : Naissance d'un géant de la commission de transport aérien et maritime
Un sens de l’adversité en contraste
Voiles hissées pour profiter du rebond si tant qu’il puisse se matérialiser en présence d’une deuxième vague scélérate, les trois grandes entreprises du transport et logistiques ne partagent pas tout à fait la même stratégie face à l’adversité. Du moins, dans les propos tenus devant les micros ouverts.
Loin d’être refroidi par l'acquisition et intégration du commissionnaire suisse Panalpina, objet de longs mois de tractations avec un actionnaire réticent (l’actionnaire majoritaire de Panalpina, la Fondation Ernst Goehner, était en divergence de point de vue avec les autres principaux actionnaires, le fonds d’investissement suédois Cevian Capital et Artisan Partners), le n°8 mondial des commissionnaires internationaux (dans le fret maritime, en termes d'EVP transportés, selon Dynamar) reste à l’affût.
Si la crise a conduit DSV Panalpina à réfréner son appétit, ce dernier n’est pas pour autant restreint d’autant qu’il a désormais digéré Panalpina, non sans aigreurs d’ailleurs. « Il y a une série d’opportunités spécifiques qui semblent très intéressantes. Mais souvent, le problème est que la structure de propriété de ces entreprises rend difficile leur acquisition », a reconnu Jens Bjørn Andersen, PDG de DSV Panalpina, dans une interview au média spécialisé ShippingWatch, tout en précisant ne pas être en négociation avec une quelconque cible à l’heure actuelle. Mais en établissant un profil ADN de « l’opportunité spécifique » – « une entreprise qui dispose d'un certain volume de fret aérien et maritime et d’une couverture mondiale » – ce qui ne se trouve guère que dans le TOP 10. Il n’est pas seul à le penser sur son marché.
Kuehne+Nagel pourrait supprimer 20 000 emplois
Sur le plan social, les trois majors européennes n’ont pas non plus la même vision des choses. Alors que DSV Panalpina s'est empressée de dire qu'elle allait devoir licencier plus de 3 000 employés, DHL a en revanche déclaré qu'elle ne procéderait pas à des plans sociaux massifs.
Chez Kuehne+Nagel, Klaus-Michael Kühne, héritier et principal actionnaire du groupe, a également fait des annonces tonitruantes, chiffrant le coût social à 25 % de ses effectifs en moins. À la fin du troisième trimestre, le groupe suisse affichait 92 183 salariés à temps plein, dont 20 403 en CDD. À l’issue du trimestre précédent, ils étaient 87 494 employés à temps plein, dont 18 092 de façon temporaire. Donc en hausse !
Kuehne + Nagel affirme néanmoins avoir économisé 77 millions de francs suisses en ayant recours aux dispositifs publics du chômage partiel proposés dans plusieurs pays, peut-on lire dans le rapport d’activité du troisième trimestre.
Et la fin d’année ?
Si tous s’en sortent mieux que prévu au sortir du troisième trimestre, ils le doivent en particulier à l'industrie pharmaceutique et au reefer également, « emballage » par excellence des denrées périssables. La fin d’année risque d’être tendu surtout sur le marché aérien alors que les avions restent encore majoritairement cloués au sol. En mer, si les lignes sont réactivées les uns après les autres, elles sont surtout concentrées sur le transpacifique, là où se porte la demande dans des termes exceptionnels. Si bien que c’est la pénurie de conteneurs vides qui guettent. Le degré élevé de volatilité reste donc l’une des rares certitudes. Et cela, tous les grands transitaires le partagent volontiers.
Adeline Descamps