Pourquoi la criminalité augmente-t-elle dans les ports européens selon vous ?
Henri de Foucauld : Plusieurs types d’activités criminelles existent dans le domaine maritime : trafics illégaux, piraterie et brigandage. Mais d’autres formes sont aussi recensées comme le contournement de sanctions ou la manipulation d’opérations, le pillage des ressources, les atteintes aux installations, entités et personnes. Ces activités augmentent. Les ports restent des cibles privilégiées pour les trafiquants mais les armateurs sont souvent instrumentalisés à leur insu. Le conflit ukrainien a amplifié ce phénomène. Ainsi, les yachts d’oligarques russes, sujets à sanctions, ont disparu et des navires fantômes sont apparus.
Les méthodes employées sont de plus en plus sophistiquées. Comment déjouer l’ingéniosité des trafiquants ?
H.de F. : Les méthodes criminelles ont recours aux technologies d’information et de communication. Pour contourner les sanctions sur l’exportation de produits pétroliers, la Russie a créé une flotte fantôme par l’intermédiaire de sociétés écrans. Plusieurs techniques sont utilisées. L’une consiste à effectuer des transbordements illégaux, l’autre à falsifier les données AIS afin de tromper les algorithmes de recherche.
Les tensions géopolitiques croissantes et les conflits armés dans le monde exacerbent-ils le phénomène ?
H.de F. : Les navires marchands sont de plus en plus exposés. Le pavillon français ne fait pas exception à la règle. L’ingéniosité des contrevenants est sans limite et ils sont parfois soutenus par les États à des fins politiques ou économiques. La Chine a ainsi « militarisé » sa flotte de pêche et soutient de façon ostensible ses chalutiers dans les ZEE contestées des Spratley et Paracels. Au large de l’Afrique et de Galápagos, ces mêmes navires pillent les ressources de pays incapables de surveiller leur zone économique exclusive (ZEE). Les navires de commerce voient également une politisation du pavillon et deviennent une arme permettant aux uns de se protéger et aux autres de se cacher.
Avec les sanctions contre la Russie, la flotte fantôme a fait son grand retour. Comment la qualifieriez-vous ?
H.de F. : La flotte fantôme fait référence à des navires qui naviguent sans être enregistrés et suivis à des fins d'utilisation souvent illégales. Elle nuit à l'économie en générant une perte de revenus fiscaux et en réduisant la capacité des opérateurs légitimes à opérer.
Pour s'en prémunir, il est important de renforcer la surveillance maritime sans perdre de vue que les systèmes sont falsifiables. Comme à terre les navires sont victimes d’usurpation d’identité.
Qui sont les auteurs de ce type d’actes. Quels en sont les enjeux ?
H.de F. : L’usurpation d’identité a pour enjeu de falsifier les données du navire émises par l’AIS, souvent pour leurrer les satellites. C'est fréquemment utilisé sur les chalutiers et les navires de commerce. Elle sert aussi à discréditer l’État du pavillon. Ces modes actions ont été observés à de nombreuses reprises en mer Noire et en Baltique sur des navires de guerre.
A bord des navires, l’ECDIS remplace désormais totalement les cartes papier du Shom. Progrès ou danger ?
H.de F. : Si l’ECDIS permet de s’affranchir de l’entretien fastidieux de cartes, en revanche, il est vulnérable aux menaces cyber. Des expérimentations de « pentesting » [tests d’intrusion pour juger de la fiabilité d’un système, NDLR] ont révélé plusieurs vulnérabilités ayant permis de manipuler des fichiers de données. La Norvège a réalisé une démonstration particulièrement convaincante en produisant un malware résistant aux antivirus, capable de fausser la navigation.
Propos recueillis par Nathalie Bureau du Colombier
Mieux détecter les marchandises illicites
Smart Maritime and Underwater Guardian (SMAUG) est un projet de la Commission Européenne porté par un consortium de sociétés privées dont Athanor Engineering. Ce démonstrateur doit permettre de détecter les menaces pour les infrastructures et les navires qui traitent ou transportent des cargaisons illicites à leur insu. Un réseau connecté d’hydrophones et de sonars à haute résolution, embarqués sur un essaim de véhicules sous-marins autonomes, permettra d’inspecter en temps réel les coques en eau trouble. Les informations seront analysées par des modules d’intelligence artificielle optimisés pour la détection de marchandises illicites.
N.B.C