Quelques jours avant de publier ses résultats financiers pour le troisième trimestre et les neufs premiers mois de l’année, le conseil d'administration de Hapag-Lloyd, qui a notamment à son board Klaus-Michael Kühne (Kuehne+Nagel) et la compagnie maritime chilienne CSAV, avait revu à la hausse ses bénéfices estimés pour l’ensemble de l’année sur la base d’un troisième trimestre meilleur que prévu et d’un quatrième trimestre s’annonçant solide.
La marche actuelle des affaires dans le transport maritime de conteneurs – une demande plus élevée que prévu, la nette amélioration des taux de fret et les perturbations continues de la mer Rouge –, devrait rendre le second semestre de cette année nettement plus rentable que le premier. Envers et contre l'augmentation des coûts d’exploitation (+ 518,2 M€ sur un an, entre le troisième trimestre de 2023 et 2024, et + 671 M€ sur neuf mois), liées au détournement de ses navires autour du cap de Bonne-Espérance. Ces dépenses se sont matérialisées par une facture élevée de 9,5 Md€ depuis le début de l’année, dont 4,59 milliards acquittés en coûts de manutention (transbordement supplémentaire), soit un surcoût de 313 M€ (en glissement annuel), 1,99 Md€ en soutes (consommation en hausse de 17,5 % sur neuf mois), ce qui représente une addition supplémentaire de 322 M€.
Explosion des coûts d'exploitation
Il faut y ajouter les 1,21 Md€ payés en équipements et repositionnement, résultant des affrètements supplémentaires. La compagnie allemande, qui exploitait 292 porte-conteneurs au 30 septembre totalisant une capacité de transport de 2,3 MEVP, a étoffé sa flotte en un an de 15,4 %. L’envolée des charges locatives est à mettre en lien avec le réacheminement des navires par l’Afrique australe, nécessitant d’aligner plus de navires pour un même service, et avec les « préparatifs » de sa future coopération avec Maersk au sein de leur nouvelle alliance Gemini, qui devrait débuter en février 2025. Parallèlement, la société a réduit sa part en propriété (59 % aujourd’hui contre 61 %).
Hapag-Lloyd a conclu les neuf premiers mois de l’année avec un résultat opérationnel avant amortissement sur immobilisations (Ebitda) de 3,3 Md€ et un excédent brut d'exploitation (Ebit) de 1,78 Md€. Mais la bonne tenue du troisième trimestre n’a pas permis de compenser l’orientation du premier semestre si bien que, comparé à la même période de l’an dernier, le 5e armateur mondial de porte-conteneurs voit tous ses ratios nettement inférieurs. Son résultat net (1,68 Md€) est en perte de 1,47 Md€ et son Ebit, indicateur clé dans le conteneur, affiche un manque à gagner de près de 1 Md€ (cf. plus haut). À 14,1 Md€, les recettes du groupe ont été inférieures de 0,5 % à celles de l'année précédente, résultant de deux courbes qui ne vont pas le bon sens : baisse des taux de fret au premier semestre et augmentation des dépenses de transport.
« Cependant, la demande plus forte de transport et les taux de fret plus élevés au troisième trimestre ont conduit à une augmentation significative des bénéfices par rapport aux trimestres précédents de l'année 2024 », nuance la direction d’Hapag-Lloyd. Le premier trimestre avait en effet dégagé un Ebit d’à peine 396 M€ et un résultat net de 325 M€. L’exercice notait toutefois un redressement par rapport au quatrième trimestre, lui, en perte (- 251 M€ pour l’Ebit).
Volumes en hausse de 5 %
En ce qui concerne l’activité de la flotte, qui pèse 5,16 des 5,25 Md€ du chiffre d’affaires du troisième trimestre (et 13,78 Md€ des 14,06 Md€ sur neuf mois), la trajectoire est donc la même : un bon troisième trimestre mais un bilan sur neuf mois en repli par rapport à la période comparable de 2023. Les recettes sont en retrait de 2 % (- 270 M€) bien que les volumes de transport aient augmenté de 5 % (8,9 MEVP sur neuf mois, et 3,22 MEVP entre juillet et septembre). En cause, le revenu moyen par EVP qui aura perdu 155 $ sur un an (1 467 $/EVP versus 1 604 $). Le résultat brut d’exploitation (1,73 Md€) a perdu 999 M€.
Les terminaux, activité marginale
La division des terninaux (qui opère sous la marque Hanseatic Global Terminals) reste au contraire marginale dans les affaires du groupe. L’unité est récente (2023) pour Hapag-Lloyd, qui dans un temps court a pris le contrôle de plusieurs groupes portuaires et logistiques (SAAM, Spinelli, JM Baxi) basés en Amérique latine, en Inde, et en Italie. Les opérations portuaires ont généré un résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement de 105,3 M€ et un excédent brut d’exploitation de 51,2 M€ au cours des neuf premiers mois.
Hapag-Lloyd a opéré dans le même environnement mondial que Maersk et CMA CGM mais ne réalise pas les mêmes performances. Les volumes mondiaux de transport de conteneurs ont augmenté de 6,7 % entre janvier et août (à période comparable de 2023) selon les données mises à jour en octobre par CTS, tirés par le trade transpacifique (+ 17 %) et dans une moindre mesure par le marché entre l’Asie et l'Europe (+ 7,7 %). Le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), qui reflète les prix spot sur les routes commerciales les plus importantes au départ de Shanghai, en témoigne. À la fin septembre, l'indice s'élevait à 2 135 $ contre 887 $ l’année précédente.
Bénéfices en hausse en 2024
Compte tenu de la demande plus élevée que prévu et de l'amélioration des taux de fret – et malgré l'augmentation des dépenses de transport –, le conseil d'administration a relevé ses prévisions pour l'exercice en cours. L'Ebitda du groupe devrait se situer entre 4,2 et 4,6 Md€ (contre 3,2 et 4,2 Md€ précédemment) et l’Ebit entre 2,4 et 2,8 Md€ (versus 2,2 et 2,6 Md€). « Compte tenu de l'évolution très volatile des taux de fret et de la persistance de défis géopolitiques majeurs, ces prévisions restent incertaines », indique Hapag-Lloyd. La formulation connaît plusieurs variantes selon les armateurs mais elle sert actuellement, et depuis plusieurs exercices, de joker.
Il faudrait ajouter à la liste des défis celui qui consistera à surmonter la surcapacité. Les transporteurs n’en font pas abstraction mais la mentionnent comme un phénomène étranger (celui qui commande est-il toujours l’autre ?). Ils ne sont pas pour autant désarmés. Selon MDS Transmodal, un total de 361 porte-conteneurs d'une capacité de transport d'environ 2,4 MEVP ont été mis en service au cours des neuf premiers mois de 2024 alors que seuls 47 petits porte-conteneurs ont été envoyés à la ferraille. Dans le même temps, des commandes ont été passées pour la 248 unités de plus qui ajouteront 2,9 MEVP.
Hapag-Lloyd de retour aux commandes
Au cours des neuf premiers mois de l'exercice 2024, Hapag-Lloyd a mis en service les six porte-conteneurs qui lui ont été livrés. Son carnet de commandes, qui jusqu’à fin septembre ne comprenait que cinq navires, a été très récemment porté à 35 unités, soit plus de 464 000 EVP avec la commande toute fraîche de 24 porte-conteneurs qui seront livrés entre 2027 et 2029. Un investissement de 4 Md$.
Il reste à interpréter une donnée : le pourcentage de soutes à faible teneur en soufre et de GNL, en principe plus cher que le fuel plus fossile, a bien baissé, passant de 82 % au cours des neuf premiers mois de l'exercice 2023 à 77 % pour l'exercice 2024. Le rapport d’activité ne le justifie pas par une volonté d’économie mais en raison de l'équipement d'un plus grand nombre de navires avec des scrubbers…
Adeline Descamps
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