Sa précédente prestation sur la scène du Corum de Montpellier, à l’occasion des Assises de l’Économie de la mer 2019, avait galvanisé la communauté maritime. Le président de la République avait même eu devant lui un océan d’écoute tant son discours avait donné des gages sur sa conscience du caractère stratégique de leurs activités. Le chef des armées avait parlé de souveraineté nationale sans la dissocier de la marine marchande, un thème cher aux armateurs français. Au-delà, c’était sa vision grand large du maritime qui avait (d)étonné.
Il a honoré à Nice le 14 septembre, pour la deuxième fois, le grand rendez-vous annuel de la profession, confirmant à nouveau ainsi son intérêt pour le transport maritime.
Entre les deux rendez-vous, deux années se sont écoulées. Elles ont été jalonnées par une épidémie planétaire qui a cruellement révélé la perte d’autonomie stratégique de la France dans ses approvisionnements. Les acteurs portuaires et maritimes sortent rudoyés par cette crise sanitaire durant laquelle ils ont pourtant assuré, dans des conditions d’exploitation dégradées, les besoins impérieux de millions de Français.
Des rendez-vous manqués
Ces deux dernières années ont été aussi marquées par quelques actes manqués. La stratégie nationale portuaire présentée lors du CIMer 2021, qui ne s’attarde pas, loin s’en faut, sur les « difficultés économiques et opérationnelles » du transport maritime, a désarçonné. En revanche, elle a doté, pour la période 2021-2027, de 1,45 Md$ l’établissement public unique Haropa, issu de la fusion des trois ports de l’axe Seine (Le Havre, Rouen, Paris).
Le secteur n’a pas non plus bénéficié de la générosité des plans de relance, excepté quelques subsides pour les ports (175 M€). Enfin, le Fontenoy du maritime, vaste consultation « inédite » initiée par le ministère de la Mer, a tardé avant d’aboutir.
Maritime, outil de reconquête de la souveraineté maritime
L’initiative, qui devait aboutir à des mesures fortes pour faciliter le financement des navires, rendre plus écologique la flotte contrôlée par les compagnies françaises, soutenir le pavillon national et améliorer le parcours et la carrière des marins français, avait rencontré de l’écho chez Armateurs de France. L’organisation professionnelle, aujourd’hui présidée par Jean-Emmanuel Sauvée, milite depuis des années pour une réforme du cadre dans lequel opèrent ses membres alors que d’autres pavillons européens en profitent déjà depuis des années. Leurs demandes consistaient, pour la plupart, en la consolidation et l’amplification du trépied fiscal et social qui sert actuellement d’étau au dispositif maritime : 39C, taxe au tonnage, exonération de charges, registres d’immatriculation français (dont le Rif).
Après des centaines d’heures d’entretien et de réunions, les arbitrages très attendus ont enfin été présentés et le président de la République a tenu à les dévoiler. Ils contiennent des mesures déjà annoncées et toutes ne concernent pas exclusivement le transport maritime. Ils portent aussi des engagements sur la protection des mers, la recherche sur les fonds marins, la pêche, l’économie bleue, la sécurité dans des espaces maritimes sous souveraineté française. Pour ce qui est du transport maritime, il a répondu plutôt favorablement à une partie des demandes, y compris fiscales, censées maintenir à flot la compétitivité d’un secteur ouvert à tous les vents de la mondialisation. Ou, du moins, il leur a offert une plus grande visibilité.
Surarmortissement vert étendu
Alors que le verdissement de la flotte et des ports va nécessiter un engagement financier de 100 Md€ par an sur les dix prochaines années selon les données du ministère de la Mer, l’évolution des critères du suramortissement vert était très attendue. « Le gouvernement fera la proposition au parlement dans le cadre de la présentation du projet de loi des finances 2022 [les mesures sont donc à inscrire d’ici le 23 septembre, NDLR] dans quelques jours », a garanti Emmanuel Macron. Ses critères seront alignés sur ceux de la taxe au tonnage avec la mise en place d’un plafond pour abattement fiscal. Il sera en outre simplifié pour en faciliter l’accès et « ainsi accélérer la transition énergétique des navires ».
Pour aider le pavillon français et la construction nationale sera introduite la possibilité d’utiliser conjointement le crédit-bail, qui facilite le financement de l’achat d’un navire, et la « garantie projet stratégique » lorsque les projets visent à recourir au pavillon français et/ou à des constructeurs français.
À l’étude, des alternatives au crédit bancaire
Des outils de financement alternatifs au crédit bancaire, au profit de la flotte de transport et de services maritimes, sont encore à l’étude. Ils pourraient notamment prendre la forme de certificats d’investissement maritimes (permettant de drainer des capitaux en dehors du système bancaire). Ils doivent être finalisés avant la fin de l’année. Quant à la taxe au tonnage, l’évolution du dispositif d’imposition forfaitaire doit encore être arbitrée. Grâce à ce dispositif, le secteur ne paierait en moyenne que 7 % d'impôts (période 2005-2019) selon un rapport publié en fin d’année dernière par l’International Forum of Transport (OCDE).
Lutte contre le dumping social maritime
Le président français s’est aussi engagé à ce que « des travaux » soient lancés dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne « pour lutter contre le dumping social maritime en 2022 : c’est un point clé pour la construction et la réparation. Mais aussi, nous avons travaillé ce que j’appellerai pudiquement la convergence européenne pour éviter de se faire tailler des croupières ». Le groupe de travail qui va plancher sur ce sujet central pour la compétitivité du secteur a été confié à Jean-Baptiste Djebbari, Ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, chargé des Transports.
Sur le sujet délicat de l’emploi maritime, les armateurs bataillent depuis des années pour ancrer définitivement le net wage. Accordée en 2021, l’exonération de charges salariales pour les armements effectuant du transport de passagers à l’international sous pavillon français et communautaire a été prolongée pour trois ans supplémentaires et étendue à d’autres catégories d’emplois (officiers, personnels d’exécution) et à d’autres secteurs, hors DSP. Les compagnies méditerranéennes ne pourront pas être éligibles, excepté peut-être sur la desserte du Maghreb.
Emmanuel Macron a aussi annoncé que le nombre d’officiers sortant de l’ENSM sera doublé d’ici 2027, en partie en réponse aux statistiques qui prévoient une pénurie de 35 000 marins dans les années à venir.
Un accord à signer
Armateurs de France et le Cluster maritime français devaient signer avec le gouvernement le 15 septembre « un accord de performance et de compétitivité ». « La mise en œuvre sera déclinée à partir de cette date, mais des propositions complémentaires seront élaborées d’ici la fin de l’année 2021 et après, car le Fontenoy doit rester une dynamique qui s’adapte dans le temps », précise Annick Girardin.
« Les attentes ont été entretenues pendant de longs mois. On croit que l’on a obtenu quelque chose. Il n’en est rien », a réagi Philippe Louis Dreyfus, président du groupe éponyme, dans le cadre d’une des sessions des Assises. « Les mesures techniques sont bonnes à prendre mais ne sont pas à la hauteur des enjeux. On a besoin d’un grand coup de pouce politique pour protéger et développer le pavillon français », a-t-il insisté, regrettant que le caractère éminemment stratégique de la maritimisation ne soit pas encore suffisamment ancré dans les politiques.
Sans ces mesures, pas de commandes pour Bourbon
« Malgré la crise, on est resté leader sur notre marché et surtout leader en termes d’emplois de marins français avec 600 officiers français et 70 navires sous pavillon français », rappelle Gaël Bodénès, qui a récemment pris la direction de Bourbon. L’entreprise sort à peine d’un long processus de restructuration visant à sauvegarder l'entreprise. « Nous devons renouveler 40 navires de transport de personnels dans un délai de trois ans. Sans ces mesures, nous n’aurions pas pu les commander en France. Ce package global, portant à la fois sur l’emploi et les navires, va permettre en outre de les armer sous le RIF. »
L’entreprise, qui a entrepris un virage stratégique dans l’éolien offshore, a profité de sa tribune au côté du président de la République pour rappeler qu’il y a « de vrais champions français dans l’éolien (...) Pourtant, les premières commandes françaises semblent partir à l’étranger. De notre côté, on est en train de répondre à des appels d’offres en Corée où il est vivement recommandé que le navire soit construit en Corée, armé coréen et opéré 100 % par les Coréens. Peut-on imaginer des engagements concrets des donneurs d’ordre français ? », pose le dirigeant.
Une voie à suivre
« On ne peut pas faire comme les Coréens car nous sommes dans un marché intégré », rappellera Emmanuel Macron. « En revanche, je défends une stratégie d’autonomie européenne pour que nous ne soyons pas un marché pour les autres. »
Face à la vive concurrence et à l’âpre compétition internationale, le président de la République trace la voie : « Nous avons en France un exemple à suivre, c’est le secteur aéronautique français, et un à ne pas suivre, l’automobile français. La différence entre les deux tient dans leur tissu industriel. Pendant des décennies, les donneurs d’ordre de l’automobile ont maltraité leurs sous-traitants en baissant les prix et en délocalisant. Au final, on a perdu beaucoup d’emplois industriels. À l’inverse, dans l’aéronautique, la filière a donné de la visibilité à son réseau et a financé chez les plus fragiles la capacité à innover. Des emplois industriels ont ainsi été préservés dans les temps difficiles. »
Dans une projection à dix ou vingt ans, la « seule chose qui marche », a conclu Emmanuel Macron, « c’est le jeu collectif, l’approche groupée et la logique de filière. Cela vaut toutes les réglementations du monde, croyez-moi. »
Adeline Descamps
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