Le secteur du ferry et les exploitants du transmanche apprécieront. Ils ont été sévèrement secoués par la crise sanitaire et par des années de cabotage au gré des valse-hésitations ainsi que d’interminables négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Certains d’entre eux, dont le chiffre d’affaires repose en premier lieu sur le passager et le tourisme, ont vu leur trafic littéralement pulvérisé. Et voilà des mois que leur flotte est tantôt assignée à quai, tantôt autorisée à opérer à jauge réduite.
Différentiel de coût de 20 à 30 %
Ancien président d’Armateurs de France et président de la compagnie transmanche bretonne Brittany Ferries, Jean-Marc Roué s’est époumoné à réclamer le dispositif dans les hautes instances où sa voix pouvait porter. « Sans exiger de modifications particulières, un net wage durable nous mettrait à un niveau de compétitivité équivalent à un pavillon danois, chypriote ou italien… Une directive européenne, en date de 2004, le permet », répétait-il.
Les armateurs français attendaient le dispositif comme une des mesures, parmi d’autres, pour révolutionner le cadre dans lequel ils opèrent à armes pas tout à fait égales avec la concurrence selon eux. Le dirigeant de DFDS France faisait observer lors de rencontres parlementaires sur le transmanche qu’il y avait un différentiel de coût de l’ordre de 20 à 30 % pour armer un navire. Il doit toutefois encore être validé par la Commission européenne au regard du droit de l’UE en matière d’aides d’État.
Aide exceptionnelle
En France, sa mise en place prendra la forme d’une aide correspondant à la part salariale des charges dont s’acquitteront en 2021 les entreprises pour les marins affiliés à l’ENIM qu’elles emploient. La mesure ne devrait du reste pas peser sur les comptes publics, à en juger par le PLF rectificatif 4 (19 M€).
Le dispositif est centré sur les liaisons internationales de transport de passagers mais ne concernent naturellement pas les lignes sous délégation de service public ni les croisières. Le versement de l’aide pour le premier trimestre 2021 démarrera à compter de juin (les modalités seront mises en ligne prochainement sur le site du ministère de la Mer).
« Il faut bien comprendre que ce qui se joue, au-delà de l'avenir de ces opérateurs, c'est bien la compétitivité des entreprises françaises de transport et de services maritimes et la préservation de nos compétences. C’est ce qui m’a poussé à vouloir renforcer de manière significative notre marine marchande. Cette aide exceptionnelle doit permettre aux opérateurs de transport de passagers d’affronter plus efficacement la concurrence et de traverser cette période difficile. Elle vient s’ajouter aux dispositifs génériques que l’État a mis en place dans l’accompagnement des entreprises et aux réflexions plus globales menées dans le cadre du Fontenoy du maritime », indique Annick Girardin, ministre de la Mer, dans le communiqué.
De cette vaste consultation de toutes les parties prenantes qui porte le nom de Fontenoy du maritime, Annick Girardin veut faire le cadre et l'espace d’une « grande réflexion » sur le pavillon national, la compétitivité du registre français, son rayonnement et sa capacité d'influence… La démarche a trouvé de l’écho chez les armateurs alors qu’ils avaient eux-mêmes longuement mûri un projet dans l’enceinte de leur organisation professionnelle Armateurs de France pour « redonner de la vigueur au pavillon national » (cf. « Plan stratégique pour la marine marchande française »).
Compétitivité à restaurer
Cela fait plusieurs années déjà que le mouvement patronal milite pour des outils de compétitivité, défendant l’idée que la puissance maritime d’un État ne se mesure pas seulement en fonction d’une géographie favorable ou d’une surface maritime conséquente, ce dont peut se prévaloir l’Hexagone. Mais « qu’elle dépend aussi de l’importance de sa flotte et de la compétitivité de son pavillon ». C’est une ligne directrice du syndicat patronal qui résiste aux présidents de passage, plus ou moins convaincants et persuasifs.
Ils ont obtenu entre autres, la consolidation de la taxe forfaitaire au tonnage, l’abattement sur les plus-values de cession de navires (incitatif pour les investissements et le renouvellement de la flotte), s’appliquant quel que soit le mode d’acquisition du navire (directe ou indirecte) via les titres de la société de portage en cas de crédit-bail, la mise en place d’une garantie publique d’emprunt pour les navires français construits dans des chantiers français, qui était jusque-là réservée aux opérations d’export, c’est-à-dire aux financements de navires étrangers construits en France.
Ils avaient applaudi à certaines propositions de loi relative à l’économie bleue, portée par le député Arnaud Leroy parce qu’elle ouvrait enfin un véritable débat sur l’avenir de la marine marchande française et introduisait le concept de flotte stratégique. « Tout reste à construire puisqu’il faut désormais lui donner un contenu », indiquait en 2016 le président de l‘époque Gildas Maire.
Cinq ans plus tard, ils ont été à nouveau invités à en débattre dans le cadre de cette large consultation-compétitivité qui doit aboutir en juin...
Adeline Descamps