Journée dense pour le Premier ministre qui aura passé ce 22 janvier dans le port normand, où l’a accueilli celui qui lui a laissé les clés de Matignon il y a quelques mois, Édouard Philippe.
Alors Premier ministre, le désormais maire du Havre avait tenu, il y a plus de trois ans, un discours ambitieux sur la stratégie portuaire nationale qu’il avait ensuite développée à l’occasion du CIMer de novembre 2018 à Dunkerque. Depuis, le dossier est en chantier et la communauté portuaire, séduit par la vision qui lui avait été exposée, s’impatiente de la voir un jour se concrétiser.
Avant de présider le Comité interministériel de la mer, aménagé dans les locaux havrais de l’ENSM en présence de trois ministres, Annick Girardin pour la Mer, Jean-Baptiste Djebbari pour les Transports et Olivier Dussopt, délégué à l’Économie, aux Finances et à la Relance, Jean Castex a été reçu à bord du CMA CGM Jacques Saadé par le président du groupe, Rodolphe Saadé, et le commandant du navire Emmanuel Delran. Le Premier ministre a ensuite été reçu à l’hôtel de ville pour des échanges privés avec Édouard Philippe.
Il aura fallu attendre la cinquième minute et quarante-huit secondes d’un discours de clôture, tenu en moins d’une demi-heure, pour que le mot « mer » soit prononcé.
Il s’agissait alors d’évoquer les « gens de mer » et leur « résilience », cette expression que le Covid-19 aura vitrifiée ad nauseam. Et il faudra attendre cinq minutes de plus pour que « l’avenir de l’activité portuaire et maritime » soit abordé, un des sujets à l’ordre du jour du CIMer.
Pendant plus de dix minutes, il ne s’est agi que du bilan sanitaire et du bouclier anti-faillite que le gouvernement a déployé pour prémunir les entreprises des répercussions de la crise sanitaire.
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Gouvernance du futur Haropa et financements
Au final, le temps portuaire aura été exclusivement alloué au futur ensemble portuaire Haropa, vers lequel ont été dirigées toutes les attentions. Au regard du choix de la ville pour la tenue de la rencontre, il ne pouvait certes en être autrement.
Du projet de fusion des trois ports de l’axe Seine – Rouen, Le Havre et Paris –, en un établissement portuaire unique, étaient jusqu’à présent connus le pilote du projet (Stéphane Raison, nommé préfigurateur de l’opération en octobre 2020), la date effective (1er juin) et le lieu du siège (Le Havre).
Le CIMer a levé le voile sur la gouvernance et le niveau d’investissement que l’État est prêt à allouer.
Le futur ensemble portuaire sera régi par une gouvernance portuaire classique avec un conseil de surveillance comme structure faitière dans laquelle seront représentés des personnalités de l’État, des représentants du monde économique, des collectivités territoriales – les deux régions Normandie et Île-de-France et les trois métropoles de Rouen, Paris et Le Havre – ainsi que des salariés des ports.
Pour en assurer la présidence, l’État soutiendra la candidature de Daniel Havis, figure rouennaise du mutualisme au sein de la Matmut, dont il est aujourd'hui le président d'honneur.
Le directoire a, lui, vocation à être dirigé par l’ancien directeur général du port de Dunkerque et actuel préfigurateur de Haropa.
Dans l’armature de gouvernance est prévu un deuxième niveau, un conseil d’orientation de l’axe Seine, sorte de « parlement » composé d’élus des collectivités concernées mais également d’acteurs, tels SNCF Réseau, VNF…
Enfin, un conseil de développement territorial sera prévu dans chaque place portuaire. Le futur objet devra répondre à une double vocation selon la rhétorique du gouvernement : avoir une envergure internationale pour conquérir de grands clients au niveau mondial tout en étant ancré dans les territoires et s’appuyer sur les projets remontés par les acteurs locaux.
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Doublement des investissements dans l’axe Seine
Quant aux moyens consentis pour faire du Havre « un grand axe fluvial et maritime qui relie la capitale, la mer et le fleuve », le Premier ministre a promis la somme de 1,45 Md€. « Pour être à la hauteur, l’État a décidé d’arrêter ce matin un plan d’investissement de 1,45 Md€ sur la période 2020-2017, ce qui va correspondre au doublement des investissements actuels des trois sites. Ainsi avec les volets portuaire et fluvial du plan de relance [71 M€, NDLR], Haropa est appelé à devenir l’une des principales portes d’entrée maritime du pays avec Marseille et Dunkerque. »
Le cumul des investissements dans les trois ports s’était établi à 600 M€ sur la période 2014-2019 et entre 1,2 et 1,3 Md€ pour 2020-2024. « C’est une ambition sans précédent. L’idée est d’investir plus et mieux dans un sens mieux coordonné. Une partie sera autofinancée par de l’emprunt car on est sur des projets qui ont de fortes composantes de rentabilité intrinsèque », décrypte le cabinet ministériel.
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Relocalisation industrielle et souveraineté
Quant à la stratégie nationale portuaire, tant attendue, elle était donc bien à l’ordre du jour mais elle n’a pas fait l’objet d’annonces spécifiques, si ce n’est le rappel de la ligne. « Elle consiste à adopter une démarche très offensive de reconquête des parts de marché sur les ports concurrents. Elle doit s’appuyer sur un développement industriel et logistique durable, rappelle Jean Castex.
Il en va de la survie économique de ces secteurs et du dynamisme de notre commerce extérieur. Pour cela, nous allons amplifier cette stratégie pour renforcer les chaînes logistiques, accélérer la transformation écologique et la transition numérique. La relocalisation industrielle, l’emploi et la souveraineté sont au cœur de notre plan. J’ai demandé aux ministres et acteurs concernés d’ouvrir la réflexion sur les mesures permettant de dynamiser l’activité des zones industrialo-portuaires et d’améliorer leur compétitivité. »
Des zones portuaires spéciales ?
Sans réelle grande surprise, le CIMer 2021 a néanmoins réservé quelques inattendus. « Nous avons engagé un travail pour répondre sans délais aux ports francs que nos amis britanniques entendent développer à la suite du Brexit », a lancé le chef du gouvernement, sans en préciser la forme, le contenu ou même la localisation. Les choses doivent « se paramétrer avec finesse », indique son cabinet, qui semble plus prudent sur la « notion trop vague » de ports francs.
Il s’agirait de créer des zones économiques spécialisées pensées pour attirer des investissements cibles, à valeur ajoutée, et bien cadrées de sorte qu’elles ne permettent pas de créer des effets d’aubaine ou de générer des délocalisations internes au territoire. « Le but est d’attirer des activités qui ne se seraient pas implantées ailleurs et pas des activités qui viennent du territoire », insiste le cabinet ministériel.
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Vigilance sur le Brexit
Le Premier ministre a également réservé quelques mots à la « morsure du Brexit », assurant de la vigilance de la France sur quelques points des négocations entre le Royaume-Uni et l’UE, parmi lesquels la réciprocité dans les eaux territoriales ou le respect des normes environnementales et sanitaires (anti-dumping).
Le Premier ministre a en outre rappelé que le ministère de la Mer « travaillait activement à un plan d’accompagnement des pêcheurs touchés par la baisse des quotas avec des mesures d’aides à la trésorerie qui seront activées dès que les quotas 2021 seront connus. »
Les autres annonces ont été fléchées vers les énergies de la mer. Une exploration des fonds marins est programmée afin de parfaire les connaissances en vue de « créer de nouvelles ressources et énergies ». L’idée est de disposer d’une feuille de route prête dans la perspective où la France voudrait les exploiter. L’idée est de savoir « comment on le fait, dans quelles conditions environnementales et dans quelles zones », détaille un porte-parole de Matignon.
Enfin, et non des moindres pour les acteurs du Cluster maritime français, Jean Castex a lancé la procédure pour un nouveau parc éolien au large d’Oléron (Charente-Maritime) portant sur une zone de 300 km et visant une puissance installée a minima de 500 MW jusqu’à 1 GW. La commission nationale de débat public (CNDP) va être saisie « sans délais » de façon à, sans que cela ait été formulé ainsi, pouvoir l’attribuer avant la fin du quinquennat. Donc avant 2022.
Adeline Descamps