Déroutements : des impacts plus importants que prévu sur toute la chaîne

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Port de Singapour

Les volumes de conteneurs traités de janvier à mai ont augmenté de 7,7 % par rapport à la même période de l’an dernier et les escales de porte-conteneurs de 13 %.

Crédit photo ©Duxton
Défaut de capacités, flambée des taux de fret spot, multiplication des cas de congestion portuaire, manque de conteneurs vides disponibles à l'exportation, escales sautées, retard des navires, stratégie de précaution des stocks ..., la pâle copie d’un film que personne ne pensait visionner à nouveau aussi rapidement. Le point sur la situation.    

En obligeant les navires à se détourner de la plus importante voie de navigation mondiale, reliant les principaux centres de production et de consommation, l’Asie à l’Europe et aux États-Unis, la confluence des perturbations géopolitiques a retourné d'un battement d'aile de papillon la conjoncture du conteneur.

Manque de navires, multiplication des cas de congestion portuaire, baisse de la disponibilité des conteneurs vides à l'exportation, escales supprimées, retards des navires..., tous les éléments sont réunis pour favoriser une nouvelle escalade des taux de fret spot et l'ancrer plus ou moins durablement. Toute tentative pour l'estimer reste très aléatoire dans la mesure où personne ne peut savoir à quel moment et sous quelles conditions la mer Rouge pourrait redevenir plus hospitalière.

La surcapacité structurelle aurait dû mordre les comptes d'exploitation des compagnies et consumer les taux de fret, qui avaient régulièrement baissé entre janvier et avril, passant de 3 964 $ par conteneur de 40 pieds (FEU) à 2 705 $. En lieu et place, les prix du transport ont grimpé de 74 % entre fin avril et début juin selon l'indice Drewry World Container Index, moyenne pondérée des taux au comptant sur huit itinéraires Est-Ouest.

Des hausses spectaculaires en un mois

Toutes les boussoles battent la gigue. Enregistrant sa douzième semaine consécutive de hausse, le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), qui suit les taux spot pour le fret conteneurisé de Shanghai vers une vingtaine de destinations dans le monde, a atteint 3 475 points le 21 juin, soit 93 points de plus que la semaine d'avant. Les augmentations en pourcentage semblent néanmoins ralentir depuis mai (+ 6 % au 14 juin, + 2,9 % au 21 juin).

Le Freightos Baltic Global a, lui, grimpé en mai de 43 % par rapport au mois précédent pour atteindre 3 413 $/FEU, un niveau deux fois et demie plus élevé que celui de 2019.

Les taux de l'Asie vers la côte ouest de l'Amérique du Nord ont bondi de 59 % en un mois, à 4 915 $/FEU, quadruplant presque les niveaux de 2019, et de 48 % vers la côte Est pour atteindre 6 297 $/FEU, de 140 % supérieurs à l'avant-pandémie. 

Les prix de l'Asie vers l'Europe du Nord ont renchéri de 45 % en mai (4 882 $/FEU), de 256 % plus élevés qu'en 2019. À 5 637 $/FEU, les taux vers la Méditerranée déraisonnent également (+ 219 %) par rapport aux niveaux de 2019.

« L'augmentation de la demande de l'Asie vers l'Europe du Nord et la Méditerranée pourrait refléter le début d'un cycle de reconstitution des stocks alors que de nombreuses économies européennes commencent à se redresser », indiquent les auteurs de l'indice.

Livraisons de navires sans effet

L’injection de capacités, qui auraient refroidir les accès de fièvre, n’a eu aucun effet. Sur la route Asie-Europe du Nord, les transporteurs ont augmenté, entre fin avril et début juin, le nombre de navires de 24 % et la capacité totale de 17 % pour compenser les itinéraires plus longs du fait du détournement du canal de Suez. Pour autant, note la société de conseil Drewry, la capacité effective mensuelle (1,1 MEVP) n’a augmenté que de 2 %.  Sur la route Asie-côte est-américaine, la capacité en unités a progressé de 9 % mais là aussi sans réaction particulière.

En clair, l’ensemble des navires livrés au cours des trois à quatre premiers mois de l’année (plus d’1 MEVP) n’a eu aucune incidence sur l’offre alors que la demande sur plusieurs routes est nettement plus importante qu'il y a un an.

Selon la National Retail Federation, qui fédère les gros détaillants américains parmi lesquels les Walmart, Macy's, Amazon, McDonald’s... et autres gros distributeurs, les importations conteneurisées américaines devraient atteindre 2,1 MEVP en mai. Pour mémoire, en mai 2022, qui correspond à un point très haut du trafic pour les ports américains, les entrées s’établissaient à 2,4 MEVP. Ce qui n’est inférieur que de 12 %.

Dégradation de la productivité portuaire

Une enquête menée auprès de plus 100 multinationales par Drewry confirme en effet les stratégies de précaution mises en œuvre pour pallier d’éventuels ruptures de stocks. Un des facteurs qui a contribué à créer une situation de pénurie.

Dans son rapport, l'analyste indique par ailleurs que la productivité portuaire s’est dégradée ces derniers mois. Le temps passé par les navires à attendre avant d'accoster dans les ports à fort trafic a augmenté de 43 % entre le troisième trimestre 2023 et le deuxième trimestre 2024, pour atteindre plus de 400 000 heures.

Une partie de la capacité de la flotte mondiale est désormais immobilisée, soit dans des navires qui attendent d'accoster soit dans les détours pour éviter les terminaux les plus encombrés.

44 porte-conteneurs en attente à Singapour

La situation à Singapour est particulièrement critique. Les volumes de conteneurs traités de janvier à mai (16,9 MEVP) ont augmenté de 7,7 % par rapport à la même période de l’an dernier et les escales de porte-conteneurs de 13 %, a récemment relevé l'autorité maritime et portuaire de Singapour (MPA).

« L'augmentation des temps d'attente a déjà incité PSA [qui exploite tous les principaux terminaux à conteneurs, NDLR], à réactiver certains postes d'amarrage de son terminal Keppel, jusqu'alors mis en sommeil », indique Alphaliner. En outre, le manutentionnaire singapourien chercherait à accélérer la mise en service de nouveaux postes d'amarrage, prévus dans le cadre de l'expansion du terminal PSA Tuas Phase 1.

La situation est telle – quelque 44 navires porte-conteneurs ont dû attendre quatre jours au large de la ville-État le mois dernier –, que les transporteurs ont sauté un certain nombre d'escales dans le détroit pour éviter les terminaux encombrés. Ce qui pourrait expliquer par ailleurs la rapide désescalade. Certains courtiers maritimes font en effet état d’une résorption rapide des effets de congestion.

Le port de Qingdao, dans le nord de la Chine, a également du faire face à un pic d’activité avec près de 100 navires au mouillage. Mais depuis, leur nombre a été divisé par deux.

Les ports malaisiens ont également connu un pic d'activité le mois dernier. Tanjung Pelepas, sur le détroit de Johor, et Port Kelang, près de Kuala Lumpur, ont enregistré des volumes mensuels records en mai.

Des mouvements sociaux en greffes

À la situation liée aux tensions géopolitiques et aux déviations autour de l'Afrique viennent se greffer des problématiques localisées mais non sans effets dominos.

Les principaux ports maritimes allemands, dont Hambourg et de Bremerhaven mais aussi Brême, Brake et Emden, était étaient quasiment à l'arrêt le lundi 17 juin à l’appel du puissant syndicat Ver.di. Le mouvement social a été présenté comme un apéritif à l'approche d'un plat du jour qui affiche au menu un troisième cycle de négociations salariales. Les chargeurs et les transporteurs ont encore en mémoire la grève de 2022, la plus longue depuis des décennies dans les ports allemands.

Sur le terrain portuaire américain, les mouvements sociaux à l'Ouest sont à peine digérés qu’un nouveau front social s’ouvre de l’autre côté du pays. Il aura fallu treize mois de négociations après l'expiration de la convention collective pour que les dockers et les exploitants de terminaux des ports ouest-américains se mettent d'accord il y a précisément un an sur leurs droits et obligations respectifs pour les six prochaines années.

Un nouveau conflit entre les dockers et leurs employeurs sur la côte est des États-Unis pourrait être le prochain coup dur pour les chaînes d'approvisionnement. L'International Longshoremen's Association (ILA) a annulé il y a quelques jours une réunion avec les employeurs regroupés au sein de l'United States Maritime Alliance (USMX) alors que les deux parties doivent s'entendre sur une nouvelle convention collective avant septembre. Un autre point chaud.

Adeline Descamps

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