Suscitant jusqu’alors une molle adhésion, le GNL a connu un engouement de dernière minute en fin d’année dernière. Dans un rapport publié début février, l’association Sea-LNG explique pourquoi il est urgent de ne plus temporiser en attendant l'émergence de l'hydrogène ou de l'ammoniac.
« 2021 doit être l'année où les exploitants de flotte et les fournisseurs de carburant doivent se positionner pour agir. L'attentisme n'est pas une option pour décarboner », presse Peter Keller, président de Sea-LNG, l’association qui regroupe les industriels de la chaîne du GNL marin. Dans un rapport publié début février, intitulé A View from the Bridge (Perspectives 2021 pour le GNL), il invite les armateurs à se positionner rapidement et explique en substance pourquoi il est urgent de ne plus temporiser.
Une invitation intéressée certes mais qui prend aussi racine dans une réalité : le transport maritime n’a même pas trois décennies pour rendre totalement neutre en carbone son empreinte. Il reste moins de dix ans pour atteindre le premier pallier fixé par l’organisation de réglementation du secteur (OMI) : réduire de 40 % les émission de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
Cette injonction climatique – « quatrième révolution de la propulsion », affirment certains –, ne pourra se faire qu’au prix d’une rupture technologique fondamentale et au moyen d'une nouvelle génération de technologies et de carburants. Aucune des options envisagées à ce jour, telles l’ammoniac et l’hydrogène, n’est disponible à la taille et à l'échelle requises. La « révolution énergétique » à venir rend de ce fait les armateurs circonspects quant au choix à opérer d’autant que, dans ce secteur à haute intensité de capital, un navire est un objet financier qui engage sur plusieurs décennies.
Croissance de 20 à 40 % par an
« Au lieu d’esquiver une décision et d'attendre que les technologies se développent à l'avenir, le GNL permet aux propriétaires de navires de réduire les émissions de CO2 dès à présent », pose le président de Sea-LNG. « Il est clair que les autres alternatives en cours de développement ne seront pas disponibles avant une décennie et qu'elles ne sont donc pas viables pour la mise en conformité en 2030. »
C’est bien là le propos du rapport : asseoir le GNL en tant que « carburant ordinaire du futur » dans le sens où il est produit en quantité, ne pose pas de problème de sécurité d’emploi car largement éprouvé et peut s’appuyer sur une filière qui s’est structurée (soutage notamment). Mais il s’agit plus encore de neutraliser les arguments qui en font un carburant de transition.
Depuis 2010, le nombre de navires alimentés au GNL a connu une croissance de 20 à 40 % par an, affirme l’association. Au début de l'année 2020, 175 était en opération (en dehors la flotte de 600 méthaniers, dont la majorité est alimentée au GNL) et 230 en commande tandis que 146 unités étaient comptabilisées en « LNG ready », « prêts pour une configuration » (opération et commandes confondues). L’organisation professionnelle estime que 13 % du total des navires actuellement en commande seront propulsés au GNL.
Accélération dans les commandes
Ces dernières semaines, l’adhésion au gaz naturel semble s’être accélérée alors qu’elle était plutôt molle jusqu’à présent, excepté chez l’armateur français CMA CGM, qui lui a accordé très vite sa confiance en lui réservant une grande place de choix quand il a passé commande il y a quelques années de plusieurs séries de porte-conteneurs. Le GNL propulsera en effet 26 de ses porte-conteneurs une fois toutes les commandes livrées d’ici la fin de l’année. L’année 2020 a été déterminante : la compagnie marseillaise a réceptionné quatre unités sur les neuf de plus de 23 000 EVP ainsi que de deux de 15 000 EVP. La compagnie bretonne Brittany Ferries a également choisi cette énergie pour trois de ses grands E-flexer, qu’elle a réceptionnés en partie.
Le transporteur allemand Hapag-Lloyd s’est positionné sur du « LNG ready » pour ses six porte-conteneurs de 23 500 EVP commandés en fin d’année dernière. Seaspan, l’un des plus grands propriétaires mondiaux de navires vient de passer commande de 10 unités de 15 000 EVP au GNL qui seront affrétés à ZIM.
À partir de 2022, le géant minier australien BHP prévoit de transporter du minerai de fer entre l'Australie occidentale et la Chine avec cinq vraquiers au GNL. Ils seraient alors les premiers vraquiers de cette taille à être alimentés au gaz naturel. Les navires seront affrétés à BHP par le propriétaire de flotte singapourien Eastern Pacific Shipping (EPS). Total a signé en octobre dernier deux accords d’affrètement avec les armateurs Hafnia et Viken Shipping pour deux aframax au GNL chacun.
Selon un sondage d’ABS Future Fuels, cité par Sea-LNG, 47 % des exploitants sondés ont mentionné le GNL comme solution pour atteindre l'objectif d'émissions de 2050 et 64 % comme l'option de carburant dominante.
Faux problèmes
L’immobilisme des armateurs s’explique aussi par le fait que le GNL est régulièrement chroniqué comme un carburant de transition dans la mesure où il ne répond que partiellement à la problématique carbone en n’éradiquant que 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) générées. Son ADN est quasi parfait pour traiter les oxydes de soufre et d’azote, qui ont été réglementés par l’IMO 2020 entré en vigueur en début d’année. Mais peut mieux faire pour les GES.
Mais précisément, dans son rapport, Sea-LNG tend à démontrer que c’est un faux problème dans la mesure où « l’introduction progressive » du bio-GNL (méthanisation de la biomasse ou des déchets) puis du GNL synthétique (clone du GNL mais à partir d’électricité d’origine renouvelable, éolien ou solaire) permettra au transport maritime de répondre graduellement aux objectifs de l'OMI pour 2050.
Le Wes Amelie, un porte-conteneur de 1 000 EVP est à ce titre un navire pilote. Il a été configuré pour être alimenté, en complément du GNL, par du GNL synthétique, à partir de l’électricité d’origine éolienne, produit par Audi. Cette expérimentation a associé le motoriste Man, l’affréteur Unifeeder, le gestionnaire de navire Wessels Reederei et Nauticor, le fournisseur de GNL marin.
« La production de GNL bio a un autre intérêt : il trouve un usage à nos déchets. Il s'agit d'une autre question politique qui ne peut être ni sous-estimée ni rejetée », plaide le rapport. À plus long terme, le GNL synthétique sera disponible en volumes croissants à mesure que la capacité mondiale d'électricité renouvelable augmentera. Le GNL a donc une bonne longueur d'avance. »
Les handicaps des concurrents
Pour défendre sa pertinence par rapport aux autres options, l’avocate du GNL souligne par ailleurs que la prise de décision sur les futurs carburants doit s’appuyer sur une analyse approfondie, en examinant la totalité des émissions émises tout au long du cycle de vie d'un carburant, « du puits à l’échappement des gaz ».
« Les carburants de substitution comme l'ammoniac et l'hydrogène peuvent ne pas émettre de GES lorsqu'ils sont utilisés dans des systèmes de propulsion tels que les moteurs à combustion interne ou les piles à combustible, mais leurs émissions globales, générées tout au long du cycle de vie, dépendent de la manière dont ils sont produits. S'ils le sont à partir de combustibles fossiles, comme c'est le cas actuellement et le sera encore dans un avenir proche, leurs émissions peuvent être bien plus élevées que celles du GNL. »
L’organisation soulève en outre les « défis majeurs non résolus » de ses concurrents en termes d’exploitation en toute sécurité et qui sont régulièrement évoqués : fuite d’ammoniac problématique compte tenu de la toxicité du produit et difficulté de stockage de l’hydrogène du fait de sa très faible masse volumique à température et pression ambiantes. Des deux options possibles – soit le stocker sous pression à l’état gazeux soit le refroidir à -252,85°C, sa température de liquéfaction – c’est la seconde qui est envisagée. Cette solution de stockage à température cryogénique (utilisée dans le domaine spatial) « n’est pas sans poser des problèmes de perméabilité et l'inflammabilité. Ces questions sont souvent négligées dans les discussions actuelles mais doivent être abordées d'urgence et sérieusement prises en compte », assène le rapport.
« L’avenir du secteur maritime, c'est maintenant »
« L’avenir du secteur maritime, c'est maintenant, conclue Peter Keller, qui appelle les pouvoirs publics à reconnaître le GNL sans son profil de carburant zéro carbone et à mettre en œuvre des politiques « qui garantissent des conditions de concurrence véritablement équitables entre les différentes solutions de carburant sur la base du cycle de vie, qui favorisent les investissements dans la production de biogaz pour les secteurs où la décarbonation est la plus difficile à mettre en œuvre comme le transport maritime et de créer un marché unique pour le biométhane et le bio-GNL de façon à ne pas entraver avec des barrières techniques ou politiques. »
C’était donc l’autre motivation plus politique de l’étude. À l’heure où les État sortent les chéquiers magiques pour relancer et verdir leurs économies, il n’est pas vain de rappeler de quel bois l’on se chauffe.
Adeline Descamps