Comment interpréter le relâchement des taux de fret depuis la mi-juillet ?

Comprendre les « perturbateurs » géopolitiques pour en déduire les points de basculement du marché du conteneur donne du fil à retordre aux analystes. Pour la troisième semaine consécutive, les taux de fret ont reflué début août alors que les craintes d’un embrasement régional n’ont jamais été aussi fortes.

Comprendre les « perturbateurs » géopolitiques pour en déduire les points de basculement du marché du conteneur donne du fil à retordre aux analystes tant les événements s’enchaînent à une allure vertigineuse et ne provoquent pas toujours les effets attendus. L’anticipation de la haute saison, combinée aux perturbations persistantes dans la chaîne d’approvisionnement (allongement du transit time en raison des détournements des routes contraints par les attaques en mer rouge et congestion dans les ports clés en conséquence) ont donné ces dernières semaines un coup de fouet au transport maritime de conteneurs.

Toutefois, pour la troisième semaine consécutive, les taux de fret ont reflué début août alors que les craintes d’un embrasement régional n’ont jamais été aussi fortes. Le bombardement par Israël du port stratégique de Hodeïda au Yémen, l’attaque à la roquette attribuée au Hezbollah de la ville druze Majdal Shams, dans le plateau du Golan syrien annexé en grande partie par Israël, le cycle de violences quotidiennes entre l'armée israélienne et le mouvement islamiste libanais Hezbollah, la mort du chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh tué dans sa résidence à Téhéran ou encore celle du chef militaire du Hezbollah libanais, Fouad Chokr, près de Beyrouth, tendent toujours un peu plus cette région aux contours si friables.

Depuis quelques heures, la région est entrée dans une nouvelle gravité, de nombreux pays – la Suède, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Jordanie et l'Arabie saoudite –, ayant appelé leurs ressortissants à quitter le Liban et les instances internationales, à la retenue. Paris a aussi demandé aux Français résidant en Iran de le « quitter temporairement ».

Parallèlement et non sans paradoxes, plusieurs compagnies aériennes ont suspendu leurs liaisons avec Beyrouth, dont certaines jusqu'au 12 août.

Taux de fret spot en repli

Le mois de juillet aura sans doute été le plus meurtrier pour le transport maritime. Les Houthis ont mené 16 attaques le mois dernier, plus qu'au cours de tout autre mois de l'année, et leur portée ne cesse de s'étendre. Depuis que la force d’opposition au pouvoir en place au Yémen manifeste son soutien au Hamas palestinien, les attaques contre les navires marchands se comptent en plusieurs dizaines proches de la centaine si le seuil n’a pas déjà été franchi.

Pour la troisième semaine consécutive, depuis le milieu du mois de juillet,
les tarifs du transport maritime de conteneurs sont en repli après plus de deux mois d'augmentation quasi ininterrompue. Le Shanghai Containerised Freight Index (SCFI), qui reflète les prix du transport depuis Shanghai vers une vingtaine de destinations, a perdu 115 points dans la semaine se terminant le 2 août par rapport à la précédente s’établissant à 3332,67 points.

Si l'indice de la plateforme de réservation de fret Freightos a augmenté de 14 % le mois dernier par rapport à juin, la majeure partie de cette hausse a été observée avant le 9 juillet. Le FBX, dont la moyenne s’est établie en juillet à 5 073 $/FEU (conteneur de 40 pieds), a amorcé juillet à 4 508 $, a culminé à 5 218 $ le 9 juillet avant de décliner régulièrement jusqu'à son niveau actuel de 4 958 $, néanmoins plus de 3,5 fois supérieur au prix moyen d'il y a un an.

Un coup de ciseau dans le mois de juillet

Les prix entre l'Asie et la côte ouest des États-Unis ont clôturé le mois de juillet en hausse de 8 % par rapport au mois de juin, à 7 628 $/FEU. C'est 6 % de moins que le pic de la mi-juillet (8 213 $). Vers l'Est américain, ils ont augmenté de 19 % entre juin et juillet, à 9 824 $/FEU, mais sont stables depuis la deuxième semaine du mois.

De l'Asie vers l'Europe du Nord, les tarifs ont été en surchauffe (+ 17 %) le mois dernier pour atteindre 8 369 $/FEU, dépassant de 53 % leur pic de janvier et de 535 % leur niveau de 2019 mais ont perdu 3 % tout au long de juillet.

Vers la Méditerranée, un pic significatif, à 8 200 $, a été atteint en début du mois, suivi d'une baisse à 7 443 $ au mitan avant de fermer la séquence juilletiste à 7 951 $ à la fin du mois. Il s'agit d'une augmentation de 400 % par rapport à juillet 2023.

« Les taux se sont stabilisés et, dans certains cas, ont baissé vers la fin du mois à mesure que de nouvelles capacités devenaient disponibles », commente le Freight Investor Services. « La situation [pour les chargeurs, NDLR] devrait s'améliorer lorsque la demande en haute saison diminuera et que la capacité sera redirigée vers les trafics régionaux et à faible volume ».

Mesuré par Drewry, son indice composite, le WCI, a aussi baissé de 1 % la semaine dernière, s’établissant à 5 736 $ par conteneur de 40 pieds.
Les prix de Shanghai à Los Angeles ont diminué de 194 $ pour atteindre 6 740 $/FEU. De même, les taux spot du premier port mondial à Rotterdam et New York se sont fixés à 8 200 $ et 9 166 $. En revanche, aucune tendance à la baisse ou à la hausse de Rotterdam à Shanghai, de Shanghai à Gênes, de Los Angeles à Shanghai et de Rotterdam à New York.

Il reste à interpréter les raisons du relâchement des taux alors que l’urgence géopolitique est de plus en plus prégnante. De leur côté, les transporteurs ont encore annoncé en juillet des hausses des tarifs généraux ainsi que des suppléments, en grande partie en raison de la congestion qui s’est déplacée des terminaux à conteneurs du sud-est asiatique vers les hubs clés européens.

Frémissement des taux long terme

« Le marché du transport maritime de conteneurs a atteint un point d'inflexion en juillet, les taux à long terme sur les principaux trafics fronthaul montrant des signes de vie juste au moment où les taux à court terme en spirale commencent à s’aplanir », expliquent les analystes de la plateforme de comparaison des taux de fret Xeneta. Son indice, qui suit les taux contractuels (validés), a légèrement augmenté de 2,5 % en juillet pour s'établir à 151,5 points.

Plus particulièrement, le sous-indice portant sur les exportations vers l’Asie – qui concerne les plus grands trafics fronthaul du monde vers l'Europe et les États-Unis –, a augmenté de 12,6 % en juillet pour atteindre 178,8 points.

Dans le même temps, les taux spot sur ces trade ont commencé à se replier après des augmentations sans commune mesure entre les deux types de tarification : par exemple, les taux à court terme sur le trafic entre l’Asie et la côte ouest-américaine ont augmenté de plus de 140 % entre le 30 avril et le 1er juillet quand le marché à long terme n’a progressé « que » de 20 %.

Pour autant, « l'augmentation des taux à long terme et la diminution des taux à court terme signifient que l'écart se resserre entre les marchés, ce qui représente un équilibre délicat avant les négociations à venir des contrats à long terme entre les chargeurs et les transporteurs », explique Emily Stausbøll, analyste principale chez Xeneta.

Rapports de force imprévisibles

Il y a quelques semaines encore, explique-t-elle, lorsque les taux au comptant étaient encore en hausse, les transporteurs « auraient été confiants dans les négociations de contrats à long terme, mais le sentiment du marché peut changer très rapidement ».

D’autres facteurs pourraient hypothétiquement pousser les taux à la hausse.
Les chargeurs « devraient faire preuve d'un optimisme prudent car, pour le moment, il semble qu'il y ait plus de place pour une baisse des taux spot que pour une hausse des taux à long terme », prévient-elle encore, étayant son analyse sur plusieurs facteurs, ceux que tous les analystes reprennent en boucle.

Elle gage, elle aussi, sur la poursuite des déroutements, rappelle la menace d'une action syndicale dans les ports de la côte est-américaine et du golfe du Mexique à l’appel de l'International Longshoremen's Association (ILA), qui représente les dockers. Enfin, la perspective d’un retour de Trump à la Maison Blanche pourrait en outre engendrer un nouveau rush dans les expéditions avant l'instauration de nouveaux droits de douane, promis par l'ex-président, sur les importations chinoises. Pour autant, les analystes semblent être passés à côté du protectionnisme prononcé de l'actuel locataire du Bureau ovale qui, en la matière, n'a rien à envier à son ex-adversaire.

« Il y a aussi le risque de nouveaux incidents géopolitiques, comme nous le voyons au Bangladesh où les troubles civils ont un impact sur les opérations portuaires.
Il ne faudra pas grand-chose pour que les taux spot repartent à la hausse, ce qui aurait également des conséquences sur le marché à long terme. »

Lisibilité difficile sur l'offre et la demande

Tous les transporteurs insistent sur ce point : une volatilité supérieure caractérise leur marché en raison de l'imprévisibilité de la situation en mer Rouge et du manque de clarté de l'offre et de la demande si bien que toute tentative de prévision est très rapidement démentie.

Sous le covid, plusieurs facteurs ont fait croire à plusieurs reprises que les taux allaient plafonner mais ont grimpé sans discontinuer à des niveaux nettement plus élevés. Cette année, les taux au comptant semblaient avoir atteint leur pic au premier trimestre mais ont ensuite grimpé en flèche. Un effet de traction que d’aucuns attribuent à l'allongement des tonnes-milles pour éviter la mer Rouge alors que ce facteur précède largement l’escalade de mai et de juin.

« Il est possible que nous assistions à un pic de la demande en juillet et en août, et à un certain relâchement de la demande à partir de septembre », estime Judah Levine, responsable de la recherche chez Freightos,

Maersk, qui vient de relever ses prévisions de bénéfices de 2 Md$ pour l’ensemble de l’année, table sur une prolongation des perturbations dues la mer Rouge et sur une extension à l'ensemble de son réseau mondial.

« Les mois à venir seront difficiles pour les transporteurs et les entreprises, car la situation en mer Rouge se prolonge jusqu'au troisième trimestre de cette année », a déclaré Vincent Clerc, PDG de Maersk, dans sa dernière actualisation. « Aujourd'hui, tous les navires en mesure de naviguer et toutes les unités qui n'étaient pas bien utilisées dans d'autres parties du monde ont été redéployés pour combler les trous. Cela a permis d'atténuer une partie du problème, mais pas tous les problèmes, insiste le dirigeant, qui prévient que Maersk ne sera pas en mesure de mettre à disposition la capacité nécessaire pour « répondre à toute la demande », que ce soit en unités ou en taille de navires (l’allongement des distances engendré par le passage du Cap nécessite d’opérer deux à trois navires de plus pour assurer le même service).

La pénurie de capacités, qui a d'abord touché les itinéraires long-courriers, s'étend désormais aux itinéraires régionaux plus courts, assure-t-il.
Les transporteurs se retrouvent confrontés à un choix : donner la priorité au retour des conteneurs vides en Chine ou à l'expédition de conteneurs pleins vers d'autres destinations. Le sujet a animé bien des débats durant la pandémie, les compagnies étant accusées de privilégier les expéditions de conteneurs pleins sur les routes les plus lucratives au détriment de la récupération des boites pour un retour à vide. Quoi qu'il en soit, les deux options se traduisent par une augmentation des coûts et de nouvelles perturbations de la chaîne d'approvisionnement.

« Maersk ne recommencera à naviguer via la mer Rouge et le golfe d'Aden tant que la sécurité des marins, des navires et des marchandises ne sera pas garantie », promet le dirigeant, persuadé qu’une fois une solution trouvée, les deux itinéraires coexisteront. « Il y aura une période pendant laquelle les navires empruntant ces différentes routes arriveront dans les ports à des heures similaires ». Il s'attend à ce que cela provoque une autre forme de congestion.

Adeline Descamps

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