Le groupe CMA CGM est désormais ancré dans les deux principales portes d’entrée américaines pour le fret conteneurisé, versant Est et Ouest.
Après avoir racheté l’un des terminaux de Los Angeles, le numéro trois mondial dans le transport maritime de conteneurs se positionne à New York/New Jersey et consolide sa présence aux États-Unis, où le groupe français sera actionnaire de sept terminaux*, une fois la dernière opération validée par les autorités de la concurrence.
L’entreprise a annoncé, dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 décembre, la signature d’un accord portant sur l’acquisition de deux des six terminaux à conteneurs du principal port de la côte Est, ceux détenus par Global Container Terminals (GCT) : Staten Island (dans l’État de New York) et Bayonne (dans l’État de New Jersey).
Rodolphe Saadé, le PDG du groupe, avait indiqué en novembre, à l’occasion des Assises de l’économie de la mer à Lille, être sur les rangs.
Il emporte donc la mise face aux autres soumissionnaires : Ports America (qui exploite déjà le PNCT voisin), Carrix (Blackstone Infrastructure), Til/MSC et Hapag-Lloyd.
Jusqu’à alors, le seul transporteur maritime européen présent sur les quais new-yorkais est Maersk, via APM Terminals, qui dispose d’une des plus grandes installations du port et exploitait en outre l’installation de Bayonne avant que l’accord avec GCT achoppe sur un différend commercial.
Le montant de la transaction n’est pas connu – CMA CGM n’est pas très bavard sur ce thème –, mais lorsque les propriétaires de GCT ont fait connaître leurs intentions de mise en vente en début d’année, le marché indiquait qu’ils cherchaient à en obtenir quelque 3 Md$.
Actif stratégique
Á l’issue de la transaction, l’équipe dirigeante actuelle sera reconduite et des investissements seront réalisés, précise le groupe dans le communiqué, « avec pour objectif d’augmenter de 80 % leur capacité [actuellement de 2 MEVP selon CMA CGM, NDLR] au cours des années à venir ».
Le groupe, détenu par le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario (Ontario teachers’ pension plan), IFM Investors et British Columbia Investment Management, possède également deux autres installations au Canada, à Vancouver (Vanterm et Deltaport). Mais elles ne sont pas concernées par la vente.
Doubler la capacité
« Le Port de New York-New Jersey est une zone stratégique qui dessert les chaînes d’approvisionnement du Nord-Est des États-Unis, et constitue la principale porte d’entrée de CMA CGM sur la côte Est des États-Unis et le Golfe du Mexique », fait valoir l’armateur français de porte-conteneurs. Á travers cette opération complémentaire à l’acquisition du terminal FMS de Los Angeles, nous renforçons la qualité de nos services auprès des clients américains (…) avec une offre complète de solutions maritimes, logistiques, aériennes et portuaires. »
Avec Elizabeth-Port voisin, au sud, New York/New Jersey représente jusqu'à 80 % du fret par conteneurs entrant par la côte Est, notamment grâce aux deux grands terminaux d'APM Terminals et de Maher Terminals.
Le GCT Bayonne (capacité annuelle de 1,7 MEVP) est identifié comme le plus opérationnel (il est placé près de l’entrée du port, ce qui réduit les temps de transit) et avec son tirant d’eau de 15,2 m, il est dimensionné pour accueillir des navires plus grands que la moyenne à NY, jusqu’à 14 000 EVP.
Il est aussi le seul de la région à disposer un parc à conteneurs entièrement automatisé. ONE, Yang Ming, HMM et Hapag-Lloyd figurent parmi ses clients.
Le GCT New York (le seul qui ne se trouve pas dans l’État du New Jersey) bénéficie, quant à lui, d’une « connexion à l’hinterland dense new-yorkais avec un accès direct au transport routier et intermodal », avec notamment deux portiques pour les barges. Fréquemment utilisé par MSC et, dans une moindre mesure, par le Taïwanais Wan Hai, il accueille principalement des porte-conteneurs de 4 000 à 9 000 EVP. Sa capacité annuelle est estimée à 0,6 MEVP par Alphaliner.
Le plan de développement prévoit de doubler la capacité du premier d’ici 2030 de façon qu’il puisse traiter des porte-conteneurs de 22 000 EVP tandis que celle du second sera accrue de 65 % d'ici à 2027.
Carte réalisée par Alphaliner (©Alphaliner)
Première porte d’entrée temporaire
Effet d’aubaine, le port jumeau de la côte Est a nettement profité (+ 35 % par rapport à septembre 2019) de l’engorgement épique des traditionnelles premières portes d’entrée du continent américain pour le fret conteneurisé si bien qu’il a récemment dépassé Los Angeles en tant que première porte d’entrée du continent pour les marchandises conteneurisées.
Les deux ports ouest-américains ont cumulé durant les deux années de pandémie des problématiques d’infrastructures sous-dimensionnées et s’enlisent aujourd’hui dans des négociations sociales ardues alors que le contrat d’emploi des dockers a expiré en juillet. Un climat lourd de menaces de grèves comme il en a toujours été à chaque renégociation.
Les compagnies ont donc anticipé en déplaçant leurs flux sur le versant Est. D’où la notoriété récemment acquise par New York/New Jerseys. Mais là aussi, le ralentissement est sensible. Les entrées de fret conteneurisé ont chuté de 6,3 % en octobre par rapport à septembre.
Reprise du contrôle à Los Angeles
L’entreprise française est implantée sur le continent nord-américain depuis la fin des années 80. Elle a établi son siège en 2005 à Norfolk, en Virginie, et emploie 15 000 personnes de l’autre côté de l’Atlantique.
Elle a surtout amélioré ses positions transpacifiques avec l’acquisition de la compagnie américaine APL, qui faisait partie de la corbeille de la mariée lorsque CMA CGM a pris le contrôle en 2016 du groupe singapourien Nol.
Depuis APL a été recentrée en 2020 sur une niche de spécialité : les prestations de transport maritime pour le gouvernement des États-Unis par le biais de sa flotte de neuf navires battant pavillon américain.
Plus récemment, en avril 2022, dans le cadre de sa stratégie de diversification dans la logistique, le groupe a mis la main, moyennant 3 Md$, sur l’activité Commerce & Lifecycle Services (CLS) d’Ingram Micro, spécialisée dans la logistique contractuelle pour le e-commerce et la gestion des commandes omnicanales.
Et surtout, il a repris le contrôle absolu en début d’année du terminal Fenix Marine Services (FMS) à Los Angeles, dont il était actionnaire à hauteur de 10 % (héritage du groupe singapourien Nol/APL). Il y a investi 2,3 Md$, soit 2,7 fois plus que le prix auquel il l’avait vendu il y a cinq ans (875 M$ selon Alphaliner) pour se renflouer.
Racheté au fonds d’investissement EQT Infrastructure, FMS exploite l’un des plus grands terminaux en eaux profondes du port californien (2,5 MEVP sur un total de 9,2 MEVP).
Parmi les mieux positionnés outre-Atlantique
Grâce à cet ancrage sur le marché américain, CMA CGM a été parmi les transporteurs du Top 10 qui ont profité le plus de la vigueur des routes transpacifiques durant la pandémie, les plus lucratives à la faveur de taux de fret incroyablement élevés. Avec les capacités de son partenaire d’alliance Cosco (jusqu’à 25 % la capacité totale déployées), les deux transporteurs ont été nettement avantagés.
Via ses filiales – Terminal Link et CMA Terminals, coentreprise entre Terminal et China Merchants Port (51/49 %) –, le groupe est actionnaire dans 52 terminaux portuaires implantés dans 28 pays.
Adeline Descamps
*AFMS (100 %) et PMS (10 %) dans la région de Los Angeles, Dutch Harbor (100 %) en Alaska, Bayport (26 %) à Houston et SFCT (26 %) à Miami.