CMA CGM en chevalier blanc des fleurons tricolores en difficulté, personne n’y aurait cru alors qu’il y a un dizaine d’années, Jacques Saadé, le fondateur défunt du groupe de transport marseillais, croisait le fer avec les banques pour sauver son entreprise au bord de la faillite, devait procéder à la cession d’une partie de ses actifs pour renflouer les caisses, quelques parts de son capital pour faire entrer le Fonds stratégique d’investissement (FSI), sollicitait l’augmentation de la participation de son actionnaire turc Yildirim et envisageait une introduction en bourse.
Cette fois, son aide vivement sollicitée au plus haut niveau a sauvé des eaux deux entreprises mal embarquées. Le groupe marseillais, qui aura réduit son endettement de 18 à 7,7 Md$ en deux ans, vient de sortir de l’impasse le spécialiste de la logistique automobile Gefco, embarrassé par son encombrant actionnaire Russian Railways, placé sous sanctions suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
CMA CGM au capital d'Air France-KLM
Déblocage à plusieurs niveaux
En entrant au capital d’Air France-KLM dont il pourrait détenir 9 %, CMA CGM vole au secours du groupe franco-néerlandais, plombé par la crise du Covid-19, qui lui a fait perdre quelque 11 Md€ depuis 2020. L'armateur de porte-conteneurs devient ainsi le premier actionnaire privé et le plus important derrière les États français et néerlandais.
Ce faisant, il lui permet d’assainir ses finances notamment en « accélérant le remboursement des aides d'État » et en contribuant à « la réduction de l'endettement net d'Air France-KLM », a expliqué le groupe à l’issue du conseil d’administration. Ainsi, il pourra rembourser le PGE (Prêt garanti par l'État) sur lequel il lui reste 3,5 Md€ à honorer. Un verrou aujourd’hui qui l’empêche, le cas échéant, de participer à la consolidation du secteur du transport aérien, la Commission européenne interdisant à une compagnie aérienne de prendre 10 % du capital d'une autre compagnie tant qu'elle n'a pas remboursé 75 % d’une aide d’État.
Ainsi, elle pourrait par exemple être bloquée pour la reprise d’ITA Airways, la compagnie aérienne italienne née en octobre 2021 sur les cendres de la défunte Alitalia Airways. MSC et Lufthansa ont soumis le 24 janvier une offre pour acquérir une participation majoritaire. Le gouvernement italien a confirmé récemment une seconde soumission portée par Air France-KLM et Delta, associées au fonds d’investissement Certares.
Pour Air France, il s'agit de la seconde recapitalisation après celle effectuée en avril 2021. Les États français et néerlandais restent donc actionnaires à hauteur respectivement de 28,6 % et 9,3 % tandis que China Eastern et Delta Air Lines, ont réduit leur participation, à 4,7 % pour la chinoise et 2,9 % pour l’américaine.
Un pool tout-cargo
« À travers notre participation, Air France-KLM pourra compter sur nous pour l’accompagner dans ses développements futurs », avait souligné Rodolphe Saadé, le PDG du groupe CMA CGM, dans le communiqué d’annonce le 18 mai. « Cette opération permet d’accélérer significativement le développement de notre division aérienne, CMA CGM Air Cargo, créée il y a à peine plus d’un an, et de positionner nos deux entreprises parmi les principaux acteurs mondiaux du fret aérien ».
Sur le plan opérationnel, l’accord donne naissance à un pool de dix tout-cargos qui, avec les commandes en cours, sera porté à 22 aéronefs. Lancée en février 2021, CMA CGM Air Cargo, qui avait été initialement lancée en partenariat avec Air Belgium et sa plateforme de Liège (base qui a été transférée plus récemment à Roissy-Charles de Gaulle), a depuis pris son envol en solo pour devenir une « vraie compagnie aérienne ». Elle a déposé une demande de Certificat de transporteur aérien (CTA) auprès de la Direction générale de l’aviation civile française (DGAC) et a recruté ses pilotes.
CMA CGM avait en outre annoncé, à l’occasion de la publication des résultats financiers du troisième trimestre, la commande de quatre A350F, le nouveau tout-cargo d’Airbus et première version native du constructeur européen. Air France mettra pour sa part à disposition du réseau en commun six de ses freighters basés à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle et à l’aéroport Amsterdam Schiphol en attendant la livraison de quatre autres unités en cours de construction.
Une aisance financière
Entre janvier et mars de cette année, le chiffre d’affaires du groupe maritime français (toutes activités confondues) a atteint 18,2 Md$, auquel ses activités maritimes ont contribué à hauteur de 14,85 Md$, non loin de son concurrent direct dans le classement mondial de la ligne régulière, Maersk, avec son chiffre d’affaires de 15,57 Md$.
L’Ebitda (bénéfices avant intérêts, impôts et amortissements), qui reflète sa rentabilité opérationnelle, s’est établi à 8,9 Md$. Soit une marge de 48,7 %. Le résultat net part du groupe ressort à 7,2 Md$. CMA CGM a donc réalisé en trois mois 40 % du bénéfice net enregistré sur l’ensemble de l’année 2021 (17,9 Md$). Sur un an, le groupe français a vu ses revenus bondir de 69,9 %, sa rentabilité progresser de 178,6 % et son résultat net exploser de 5 121 % alors que sa marge a gagné 19 points.
Adeline Descamps