Gefco était passé sous les radars lorsque la Russie avait été mise au ban de la communauté internationale pour l’annexion de la Crimée. Cette fois, l’entreprise basée à Colombes et aux capitaux russes, doit son salut à un armateur français de porte-conteneurs sous le pilotage attentif et avisé de Bercy.
Cela fait plus d’une semaine que du monde bavarde autour de ce dossier devenu d’intérêt stratégique. Pour le spécialiste de la logistique automobile, qui se compte parmi les dix premiers logisticiens européens, l’air est devenu en peu de temps particulièrement vicié. Gefco est embarrassée au plus haut point par son encombrant actionnaire Russian Railways (RZD) placé sous sanctions par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne en représailles de l’invasion de l’Ukraine.
La Compagnie des chemins de fer russes RZD est la propriété de l'État russe et son président, Oleg Belozerov, nommé en 2017 par l’ex-Premier ministre russe Dmitri Medvedev, est considéré comme un proche de Vladimir Poutine. La guerre en Ukraine précipite les choses. En réalité, Oleg Belozerov, également président du conseil de surveillance de Gefco, faisait valoir depuis plusieurs années sa volonté de se retirer du capital dont il était devenu le puissant actionnaire en 2012 avec 75 % des titres. Il les avait acquis auprès de l’ex-PSA (devenu ensuite Stellantis), qui avait toutefois souhaité maintenir sa présence à hauteur de 25 %.
Long cheminement décorrélé des sanctions internationales
En 2017, des discussions étaient déjà en cours alors que le russe entendait réduire ses parts à moins de 50 %. Soucieuse de garder l’entreprise dans le patrimoine industriel tricolore, la Caisse des Dépôts et Consignations s’était alors mis en quête d’investisseurs français. En 2018, Gefco évoquait une introduction en bourse pour 2019, permettant de répondre à la demande de RZD de réduire ses parts alors que PSA (actionnaire à 25 %) allait voir la sienne tomber à 10 %. Le spécialiste de la logistique automobile avait dû jeter l’éponge en raison des mauvaises conditions du marché. Oleg Belozerov a confié ensuite en 2020 à Rothschild & Co et à JP Morgan un mandat de vente. C’est sans doute à cette époque que CMA CGM avait été approché.
CMA CGM ne découvre pas le dossier Gefco
Dans un communiqué en date du 1er avril, le directoire de Gefco annonçait avoir trouvé une solution en interne à son problème immédiat de conformité avec les sanctions internationales en rachetant les parts détenues par RZD. Dans le même temps, il indiquait rechercher urgemment un investisseur, espérant même clôturer l’opération avant le 11 avril, mais sans précisions sur l’évolution de la structure actionnariale qui en découlerait.
Très rapidement, le profil d’un possible repreneur est apparu en haut de la pile sans que celui-ci ne cherche à démentir, d’autant qu’il avait déjà eu l’occasion de « regarder le dossier » il y a quelque temps déjà. Mais la valorisation alors annoncée ne devait pas être en phase avec les opportunités de développement de l’entreprise à vendre. Le numéro trois mondial du transport maritime de conteneurs, CMA CGM, fait figure de candidat idéal. La compagnie marseillaise porte une vision panoramique de son activité avec une stratégie de transport sans couture air-mer-terre, de la porte de l’usine à celle de l’entrepôt.
Le groupe de transport maritime et de logistique, particulièrement gâté par la conjoncture en 2021 (17,9 Md$ de résultat net), a les moyens de ses ambitions. Il a montré un intérêt non dissimulé pour la logistique en multipliant les acquisitions ces derniers mois, avec pour principal fait d’arme la mainmise en 2018 sur le commissionnaire suisse Ceva, un concurrent de Gefco. Pour muscler sa toute récente filiale logistique, le transporteur a absorbé l’activité Commerce & Lifestyle Services d’Ingram Micro (3 Md$) et de Colis Privé, acteur de poids en France dans la livraison du dernier kilomètre. Ceva Logistics s’est ainsi étoffé dans l’e-commerce sur les segments de marché clés comme la technologie, la distribution et la mode.
À quel prix ?
CMA CGM n’a toutefois pas pour habitude de partager le prix de ses emplettes. Il le confirme aujourd’hui officiellement en annonçant l’acquisition de « près de » 100 % du capital de Gefco, sans précisions sur la répartition des autres pourcentages contenus dans le « près de » mais tout en garantissant qu’il s’agit d’actionnaires indépendants historiques. L’armateur ne s’épanche pas davantage sur les modalités de la transaction et le passage de témoin avec Stellantis, que va sans doute superviser le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Peu d’informations ont par ailleurs filtré sur les autres acquéreurs en lice évoqués par les banques JP Morgan et Rothschild & Co.
Entre le moment où le désengagement a été officialisé par Gefco et l’annonce de rachat de CMA CGM, il s’est finalement passé peu de temps pour les procédures d’information du personnel et les négociations. Il n’existe aucune contrainte ni légale, ni administrative portant sur la transaction. Si l’acquisition reste soumise à l’approbation des autorités européennes de la concurrence, elle a de toute évidence bénéficié du feu vert de Bruxelles au titre d’une procédure dérogatoire.
Quant à la valeur de l’opération, des estimations ont circulé. La seule certitude est que RZD avait acquis l’entreprise en 2012 au prix de 800 M€. Compte tenu des difficultés de l’entreprise (un chiffre d’affaires de 3,8 Md€, en repli de 19,7 % en raison de la crise sanitaire) et du peu d’investissements dont elle a bénéficié ces dernières années, elle n’a pas été emportée à ce prix-là.
« Avec Gefco, notre filiale Ceva devient le leader mondial de la logistique automobile, après s’être renforcée dans celle de l’e-commerce, avec le rachat d’Ingram Micro CLS », indique dans un communiqué Rodolphe Saadé, le PDG du groupe français, qui offre cette fois à Ceva une expertise automobile et un portefeuille de clients renommés : General Motors, Renault, Toyota, Ford, Volkswagen, BMW, Jaguar Land Rover au Royaume-Uni pour lequel le logisticien automobile a ouvert récemment un nouvel entrepôt de 53 000 m2 destiné à réceptionner plus de 400 pièces détachées en provenance du monde entier....
Faire sens industriel
Sur le plan industriel, CMA CGM défend un vrai « rationnel ». Ceva est présente sur le segment de la logistique contractuelle automobile, mais pas sur le véhicule fini ni sur la partie interne à la chaîne de production du secteur automobile européen et notamment français.
Aussi, Ceva a l’opportunité de consolider un ancrage en Europe et en France quand l’ex-commissionnaire suisse a un rayon d’action plus large. Quant à sa maison-mère, elle étend sa toile au transport terrestre multimodal avec la route et le rail après avoir préempté le ciel (CMA CGM Air Cargo).
En rachetant Gefco, la société marseillaise ne récupérera pas automatiquement les flux des marques du groupe Stellantis (Citroën, Peugeot, Opel) et de Fiat Chrysler Automobiles (Chrysler, Jeep, Fiat, Alfa Roméo). Ce n’est plus Gefco qui contracte avec les armateurs. Depuis peu, le constructeur français a repris la main afin de négocier les taux de fret avec un pouvoir de négociation plus favorable.
Pour la première fois, le dernier appel d’offres a donc été lancé directement par ses services auprès des armateurs. Il concerne tous les coûts de transport maritime depuis les ports d’embarquement jusqu’aux ports d’arrivée et son échéance est prévue le 30 juin 2023. Les négociations sont toujours en cours.
Avant son intégration dans Stellantis, les flux maritimes conteneurisés de PSA entre l’Europe et la côte est sud-américaine, où le constructeur automobile a des usines, représentaient plusieurs milliers de conteneurs de pièces détachées par an, principalement en sortie de Vigo. Le seul trafic justifiait l’escale.
Une page se tourne pour Gefco
Gefco tourne ainsi une page après plusieurs années compliquées. À l'origine, l’entreprise avait été créé spécifiquement pour assurer les opérations de transport entre Paris et l'usine PSA de Sochaux. Depuis 2010, elle approvisionnait par le rail l'usine de montage automobile PSA en Russie.
Après un important développement dans la décennie 2010, notamment sur le freight forwarding, la diversification de ses expertises (pharmaceutique, équipement médical, aérospatiale, défense) et son implantation à l’international, le commissionnaire avait été rattrapé par les difficultés avec un plan social annoncé en 2015 portant sur la suppression d'environ 500 postes en France, soit plus de 10 % de ses effectifs dans le pays.
Pour sécuriser le business de l’entreprise dans laquelle il a des intérêts, le constructeur automobile lui avait confié en 2017 la gestion et l’optimisation de l’ensemble de sa supply chain industrielle au niveau mondial pour la période 2017-2022. Tant et si bien qu’aujourd’hui, Stellantis lui assure la moitié de son chiffre d’affaires.
Gefco est présent dans 47 pays, emploie environ 11 500 personnes dans le monde dont plus de 3 000 en France, a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 3,8 Md€, en repli de 19,7 % en raison de la crise sanitaire qui a particulièrement impacté le secteur automobile. L’entreprise a débuté le nouvel exercice avec des recettes en baisse de 1,5 %, à 1,1 Md€.
Adeline Descamps
Gefco, 20e rang mondial des 3PL
{{ENC:1}}