Plus de neuf mois après avoir suspendu ses activités de croisière dans le monde entier, le leader mondial du secteur fait état de près de 2 Md$ de pertes financières et a vendu son 18e navire. Les dirigeants annoncent néanmoins disposer des liquidités nécessaires pour tenir le siège d’une année supplémentaire sans revenus.
Il faut avoir les nerfs accrochés et les reins solides. Plus de neuf mois après avoir suspendu ses activités de croisière dans le monde entier, le leader mondial de la croisière, dont seuls quelques navires ont repris du service, est considérablement fragilisé par la crise sanitaire mondiale. Le groupe américain, qui détient 50 % du marché mondial des croisières et dix des marques les plus connues de la planète (Carnival Cruise Line, Princess Cruises, P&O Cruises, P&O Cruises Australie, Costa, AIDA, Holland American Line, Cunard et Seabourn), fait état de près de 2 Md$ de pertes financières. Et dans le cadre d'un plan visant à accélérer le retrait des navires jugés les moins performants, il a vendu récemment son 18e navire.
Deux mega paquebots envoyés à la casse
Actuellement, 15 paquebots ont quitté sa flotte et deux autres ont été vendus mais restent affrétés par Costa. Au total, 19 seront retirés, ce qui représenterait 13 % de la capacité du groupe mais seulement 3 % des revenus d’exploitation. Il y a quelques mois, la compagnie prévoyait de retirer jusqu’à 13 navires tout au plus de sa flotte. Le dernier vendu est le Pacific Princess, dont l’acheteur n’est pas connu. Ce navire, construit en France en 1999 pour Renaissance Cruises (compagnie qui a fait faillite en 2001 des suites du 11 Septembre), navigue actuellement en Méditerranée au large des côtes italiennes.
Le géant de la croisière, qui a réceptionné quatre navires en fin d’année (pour les compagnies P&O, Princess et Costa) et doit être livré d’un en 2021 (pour Holland America), a négocié le report de livraison de 16 unités en commande qui devaient lui être livrées d’ici à 2025.
Croisière : une année de suspension
Une action à 20 $
En dépit de la situation critique, il y a quelques jours, face aux investisseurs et analystes à l’occasion de la présentation de ses résultats du quatrième trimestre de l'année 2020 (clôturé le 30 novembre), Arnold Donald, le PDG de Carnival, et son directeur financier, David Bernstein ont coché la case confiance. L'entreprise dispose des ressources nécessaires pour surmonter les derniers accès de fièvre de la pandémie, ont-ils réaffirmé, quand bien même elle ne perçoit plus aucun revenu depuis le printemps 2020 et a vu sa capitalisation boursière s’évaporer (- 59 % en un an). Au cours de l’année 2020, le cours de son action a touché le fond, passant de quelque 50 $ à moins de 8 $. Ces derniers jours, il se fixait autour de 20 $.
Depuis, la major américaine est…à l’offensive dans sa stratégie défensive si bien qu’elle a levé 19 Md$ l’an dernier. Très rapidement, début avril, elle avait réagi en faisant entrer à son capital un fonds d'investissement public saoudien à hauteur de 8,2 %. Le fonds souverain, contrôlé par le prince héritier Mohammed bin Salman, avait alors acheté 43,5 millions d'actions valant 369,3 M$, ce qui en ferait le deuxième investisseur de la compagnie derrière le président Micky Arison, avec une participation de 17,07 %. À la suite de l’opération, Arnold Donald avait déclaré que la vente générerait suffisamment de cash pour que la société puisse « survivre sans revenus jusqu'en 2021 ».
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Perte de 1,9 Md$
Le 11 janvier, le croisiériste faisait part d'une perte nette ajustée de 1,9 Md$ au titre de son quatrième trimestre 2020. Il a toutefois précisé que le trimestre s'est terminé avec 9,5 Md$ de liquidités et d'équivalents de trésorerie, et que son rythme de consommation de trésorerie s'est montré légèrement meilleur que prévu.
Rassurant, David Bernstein a répété : Carnival a les liquidités nécessaires pour « résister tout au long de 2021, même dans un environnement à revenu zéro. » Les dirigeants indiquent par ailleurs que ses réservations cumulées avancées pour le pour la fin de 2021 et la première moitié de 2022 sont dans la fourchette historique voire progressent par rapport à 2019. Les dépôts des clients ont toutefois diminué de près de 10 % et, bien que la société dispose de 2,2 Md$ de dépôts, Carnival affirme que la majorité sont des crédits émis pour des croisières annulées.
En attendant la reprise...
Les deux autres grands opérateurs de croisières, Norwegian et Royal Caribbean, qui ont aussi leur siège aux États-Unis à Miami, se sont tout autant démenés pour rester à flot : lignes de prêts et crédits négociés, navires en garantie. Récemment, Royal Caribbean Group a annoncé qu'il vendait également ses trois navires de classe R dans le cadre de l'acquisition de sa marque Azamara Cruises par une société d'investissement privée.
Les trois grands majors ont pensé un temps pouvoir bénéficier du plan de sauvetage massif de l’économie américaine à 2 000 Md$, dont 500 Md$ alloués sous forme de prêts et garanties. Or, avec une domiciliation dans des pays paradis fiscaux comme les Bahamas, qui leur permet d’employer des marins étrangers et d’échapper aux impôts américains, les trois compagnies pouvaient difficilement plaider leur cause.
L'interminable retour à la vie de l'activité croisière
Certification obligatoire
La dernière ordonnance des Centers for Disease Controls (CDC) exige, pour redémarrer, le respect d’une longue liste de contraintes et protocoles draconiens. En plus des exigences en matière de dépistage, de quarantaine et d'isolement, de distanciation sociale et de protection des membres d'équipage et des passagers, ils devront être équipés de moyens médicaux et sanitaires et les itinéraires, escales et activités à bord seront strictement contrôles par les CDC.
Les compagnies devront procéder à des voyages à blanc (« mock ») avec des volontaires en guise de passagers de façon à prouver à l’agence fédérale sanitaire la maîtrise des protocoles. Il est également question de certifier les navires selon les exigences requises répertoriées dans un document dense et dissuasif, le Covid-19 Conditional Sailing Certificate. Cette certification pourra être retirée à tout moment. Chaque navire devra disposer d’un plan de gestion des risques palliant les scénarios de prise en charge des malades et de rapatriement dans des conditions étudiées.
Adeline Descamps