L’événement de 2021 sera bel et bien le retour en mer des paquebots. De suspensions en restrictions, d’interdictions en annulations, le secteur de la croisière vit au rythme des « stop and go ». In fine, les paquebots pourraient retrouver le goût de l’eau en mars. Les compagnies fêteront alors, cyniquement, une date anniversaire, celle de leur retrait délibéré des mers et océans.
Bipolaires, les autorités sanitaires fédérales américaines ? Début novembre, après sept mois de suspension, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) publiaient un cadre de conditions très strictes autorisant une « reprise sécurisée et responsable » des croisières. Le moment choisi pour lever l’embargo avait surpris par son caractère quasi anachronique compte tenu des circonstances. La nouvelle ordonnance, qui s'applique aux paquebots de plus de 250 passagers croisant dans les eaux relevant de la juridiction américaine, intervenait alors que le monde entier faisait face à la résurgence d’une seconde vague épidémique aussi meurtrière que la première si ce n’est plus.
L’autorisation était néanmoins subordonnée au respect d’une longue liste de protocoles draconiens, visant une approche « progressive » et graduée de façon à se donner le temps de « tester l'efficacité des mesures exigées ». La Clia, la plus grande organisation professionnelle représentative du secteur, avait décliné assez rapidement la « proposition », décidant de maintenir volontairement la suspension des opérations aux États-Unis jusqu'au 31 décembre de façon à préparer une reprise en 2021 dans des « conditions sanitaires responsables ».
Croisière : l'agence fédérale sanitaire américaine autorise la reprise, la CLIA décline
Risque infectieux élevé, niveau 4
À peine un mois plus tard, l’agence fédérale américaine émet une nouvelle alerte, assortie de restrictions comme elle l’avait fait en avril dernier, en déconseillant aux touristes la croisière et en classant les compagnies dans la catégorie du risque infectieux élevé (niveau 4 selon la grammaire sanitaire des CDC). « Les CDC recommandent à tous d'éviter de voyager sur les bateaux de croisière, y compris les croisières fluviales, dans le monde entier, car le risque sur les paquebots est très élevé », indique l'agence dans un avis publié il y a quelques jours. « Les passagers qui décident de partir en croisière devont se faire tester environ trois à cinq jours après leur retour et rester en quarantaine pendant au moins sept jours, quel que soit le résultat ; ceux qui ne se font pas tester devront être mis en quarantaine pendant 14 jours. »
L'avis aurait été motivé par un événement survenu sur le paquebot SeaDream I dans les Caraïbes, où une personne a été testée positive au cours de la traversée et a condamné tous les croisiéristes à rester en cabines avant que le navire ne regagne la terre pour débarquer avant terme. Les autorités locales de santé publique ont alors procédé à une nouvelle batterie de tests, révélant un total de sept cas positifs sur les 119 personnes à bord. SeaDream avait pourtant exigé plusieurs tests PCR négatifs, le premier avant de quitter le domicile pour prendre l'avion et le second, sur les quais, avant l'embarquement et réalisé par la compagnie.
Quand les compagnies de croisière reprendront-elles le service ?
Mise à l’écart
Ces derniers jours, les compagnies ont multiplié les annonces allant dans le sens d’une mise entre parenthèses prolongée. Depuis quelques mois, à vrai dire, elles repoussent inlassablement la date de reprise indépendamment des injonctions contradictoires des autorités.
Certaines, plus radicales, n’envisagent pas de reprendre la mer avant mars 2021, à l’instar de Holland America Line et de Princess Cruises. Carnival Cruise Line a annulé récemment tous les voyages jusqu'au 31 janvier. Certains ports têtes de ligne (d'embarquement) ont également boté en touché jusqu'à la fin février voire mars. Seabourn Cruise Line (groupe Carnival) a ajourné les longs périples (en Asie, en Australie/Nouvelle-Zélande) jusqu'en novembre 2021.
Ponant : le Jacques Cartier de retour à Marseille, croisières suspendues
Chassé-croisé de paquebots
La compagnie de croisière française Ponant, qui avait été l'une des rares compagnies à reprendre son activité cet été mais avec des jauges limitées (alors qu’elle exploite déjà des yachts d’expédition de petite taille), des séjours courts et une zone de navigation circonscrite à la France et à quelques pays scandinaves, a décidé d’abandonner ses opérations dans l'hémisphère nord pour le reste de l'année. Un incident survenu sur le Jacques Cartier a eu raison de sa confiance.
Paradoxalement, au regard de l’élection de Joe Biden qui sera sans doute très sourcilleux sur les conditions d’une reprise, quelques compagnies américaines ont néanmoins commencé par rapatrier leur flotte sillonnant les côtes méditerranéennes pour la repositionner aux États-Unis. Un excès d’optimisme pour Disney Cruise ?
Retour sur le marché des dettes non garanties
Concours de circonstances, la Clia vient de publier les données portant sur la contribution de l'industrie des croisières à l'économie américaine durant l’année 2019. Elle s’élève à 55,5 Md$ et se matérialise par l’emploi direct et indirect de 436 000 personnes. L’an dernier, le marché a été en croissance de 5,3 %, enregistrant 13,7 millions d'embarquements de passagers au départ des ports américains, soit une augmentation de près de 8 % par rapport à 2018 et de 26 % en cinq ans.
Symptomatique d’une activité malade, le leader mondial de la croisières Carnival (87 paquebots), qui a déjà vendu six navires depuis le début de l’année, a fait son retour sur le marché des dettes non garanties avec une offre totalisant 2 Md$. Au début de l'année, Carnival a atteint une limite de dette garantie après avoir vendu près de 9 Md$ d'obligations et de prêts garantis par des actifs, justifie Tradewinds qui a rélévé l’information. Elle prévoit d'utiliser les fonds pour racheter 90,8 M$ de dette principale aux détenteurs d'obligations.
Quoi qu’il en soit, comme l’indiquaient certains experts du marché en juin, le retour à la vie de l’activité croisière sera bel et bien l’événement de 2021. Et la flotte mondiale pourrait même reprendre la mer en fêtant cyniquement une date anniversaire un peu singulière : celle de sa retraite volontaire en mars 2020…
Adeline Descamps