Brittany Ferries restaure progressivement son niveau de trafic de 2019

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Brittany Ferries

Brittany Ferries quand ils étaient désarmés en raison des restrictions sanitaires. La frontière franco-britannique n’a rouvert que fin janvier 2022 et l’activité n’a véritablement redémarré qu’en mars 2022.

Crédit photo ©Eric Houri
De novembre à mars, la compagnie de ferries avait transporté 182 000 passagers de plus que pour la période équivalente de 2021-2022. Les lignes transmanche patinent mais les services France-Irlande sont un franc succès. Options stratégiques de diversification plutôt payantes pour Brittany Ferries. En attendant le retour des échanges avec la Grande-Bretagne pour le fret.

Combien d’années faudra-t-il à Brittany Ferries pour retrouver un certain niveau de confort et naviguer plus sereinement comme au temps où les vents obliques se limitaient aux humeurs de la livre sterling et à ses effets sur ses clients très majoritairement britanniques ?

Les résultats de la saison hiver 2022/2023 ainsi que le premier bilan des réservations pour la haute saison (avril-octobre 2023) confirment le retour, bien que très progressif, à l’étiage d’avant ses crises protéiformes : Brexit et ses effets avant/après, le Covid et sa politique zéro ferries, l’inflation et sa capacité à refroidir le pouvoir d’achat du chaland, etc.

180 M€ de pertes et 122 M€ de prêts

L'addition présente aujourd’hui une note salée et laisse un lourd passif. Pour rappel, l’entreprise bretonne, faiblement endettée avant 2020 (32 M€), a accumulé en un temps record 180 M€ de pertes sur 2020 et 2021, s'est endettée à hauteur de 117 M€ en contractant un PGE et s'est engagée pour plus 5 M€ auprès de Bpifrance, qu'elle devra rembourser en huit ans.

Recapitalisation amorcée

La compagnie a dû en outre concilier avec les banques, solliciter des avances remboursables (30 et 35 M€ des régions Bretagne et Normandie, respectivement) et entreprendre une démarche de recapitalisation dans la foulée de l’entrée à son capital en septembre 2021 de CMA CGM (12 %) moyennant 10 M€ prêtés sur cinq ans et 15 millions sur huit ans tandis que ses actionnaires historiques ont remis au pot 10 M€.

Les lignes France-Irlande en plein boom

Après plusieurs années compliquées, Brittany Ferries se remet donc à flot. De novembre 2022 à mars 2023, l'exploitant, qui opère 12 ferries entre la France, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Irlande, a transporté 55 % de passagers de plus que pendant la même période 2021/2022 soit un gain de près de 182 000 passagers. Les orientations stratégiques prises ces dernières années – desserte de l’Irlande et liaisons longues –, s’avèrent payantes. Ainsi, les lignes Irlande-France ont bondi de 171 % et les services Irlande-Espagne de 201 %.

Quant à la haute saison, 126 396 passagers supplémentaires ont réservé par rapport à la même période de l’année précédente, portant à un peu plus de 1,22 million le nombre de ses clients. « En regard de 2022, on constate une augmentation de 12 % des réservations sur la saison touristique », anticipe la société bretonne. Quoiqu’il en soit, Brittany Ferries compte terminer l’exercice à 1,95 million de passagers, soit 100 000 de moins que prévus.

Caen-Ouistreham, grand gagnant

Entre France et Royaume-Uni, au départ des ports normands (Caen-Ouistreham, Cherbourg, Le Havre), les réservations sont en hausse de 18 % vers le transmanche pour la haute saison (544 600 passagers) mais toujours loin des 690 000 enregistrés en 2019. Au départ de Caen-Ouistreham (vers Portsmouth), l’activité passagers retrouve enfin son niveau d'avant-crise avec 389 150 réservations enregistrées à cette heure pour la haute saison, contre 420 800 en 2019, soit un delta défavorable de 8 %, mais en progression de 12 % par rapport à 2022. « Caen-Ouistreham est aujourd’hui le port normand bénéficiant de l’une des plus fortes hausses de réservations », indique la direction de Brittany Ferries.

L’amélioration de la situation témoigne d’un retour de la clientèle britannique car les Français (20 % des passagers sur cette ligne) boudent encore. Le port normand profite aussi d’une décision stratégique de la société qui a choisi de réduire ses capacités au Havre et à Cherbourg, qui desservent aussi Portsmouth. Mais ces lignes sont encore marquées par « les conséquences du Brexit, la forte concurrence du Pas-de-Calais avec Getlink-Eurotunnel ainsi que celle de Dieppe avec sa délégation de service public ».

La ligne Cherbourg-Poole, toutefois, voit sa fréquentation augmenter de 23 % par rapport à 2022 (104 000 pax).

Les lignes bretonnes en hausse de 7 %

Contraintes à la suspension plus longtemps, les lignes bretonnes (depuis Saint-Malo et Roscoff) sont toujours en convalescence. Les réservations d’avril à octobre 2023 – 319 900 comptabilisés à ce stade –, sont plus nombreuses de 7 % qu'il y a un an mais encore en repli de 14 % par rapport à la date de référence d'avant complications sanitaires.

Déception des lignes Royaume-Uni–Espagne

Les lignes reliant le Royaume-Uni à l’Espagne confirment leur raison d’être au vu des niveaux de réservation (198 850) et de leur croissance par rapport à 2019 (+ 14 %) mais sont en perte de vitesse (- 7 %) entre 2022 et 2023. Les services depuis Portsmouth vers Santander et Bilbao enregistrent des pertes quasi similaires de l’ordre de 10 % par rapport à 2022.

Croissance rapide du trafic France-Irlande

Quant aux lignes France-Irlande, qui représentent désormais plus de la moitié du marché passagers de la compagnie de Roscoff, les engagements s’établissent déjà à 126 500, soit un boom (+ 67 % depuis 2019 et + 16 % depuis 2022). Sur la ligne Espagne-Irlande, sur laquelle Brittany Ferries opère un navire de plus grande capacité (le Salamanca, un des trois E-Flexer affrétés à Stena avec le Santona et le Galicia), les réservations (35 000 passagers) ont doublé par rapport à l’an passé.

Le fret en souffrance

Le fret patine dans un marché transmanche difficile, en retrait de 20 % par rapport à 2019 et de 8 % par rapport à 2022. « Cette tendance est la conséquence directe de la baisse des flux de commerce extérieur britannique vers l’UE et du report du trafic irlandais du landbridge vers les lignes qui relie directement l’Irlande au continent [sans frontières]. Il est impossible, dans les conditions actuelles du marché, de pouvoir se maintenir sur les objectifs initialement fixés », commente l’entreprise. Depuis début avril, Brittany Ferries enregistre 2 000 unités de moins par mois qu’attendu, ce qui signifie potentiellement une contraction de 15 % de ses perspectives globales.

Dumping, la lutte continue

Sur un plan politique aux enjeux sociaux, Jean-Marc Roué, le président de Brittany Ferries, ne désarme jamais face à la menace de la « destruction du pavillon français » et bataille ferme depuis des mois contre la montée en puissance d’une concurrence débridée en Manche.

L’arrivée d’irish Ferries sur le Détroit est un chiffon rouge, devenue synonyme d’un dumping social toujours plus offensif. « Avec une masse salariale réduite de 30 à 60 %, des temps de travail comme de repos aux antipodes des critères européens, P&O et Irish Ferries ont les moyens d’une politique low cost, véritable distorsion de concurrence qui grève le retour à la croissance d’une compagnie telle que Brittany Ferries, premier employeur de marins français », explique-t-il partout où on lui tend un micro.

Á l’occasion des Assises de l’Économie de la mer, le 8 novembre dernier à Lille, Hervé Berville, qui a saisi l'alerte au bond, a répété sa détermination à mettre la pression sur le dumping social en Manche. Avec un arsenal de mesures développé à cette occasion. Depuis il a établi une charte de conduite, similaire au texte préparé par le gouvernement britannique, signée par Brittany Ferries, Condor Ferries, DFDS et Stena mais rejetée par P&O, Irish Ferries et CldN (Cobelfret).

Fin juin, le Sénat doit examiner la proposition de loi du député Didier Le Gac adoptée en mars à l’unanimité à l’Assemblée national. Si elle était validée, elle imposerait notamment le salaire minimal français aux marins travaillant sur les lignes régulières. « Le vote d’une loi française, avant 2024, et visant à contrer le dumping social sur le transmanche sera une première réponse concrète à la dérégulation entamée du transmanche », pourrait alors souffler Jean-Marc Roué.

Adeline Descamps

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