Dans le contexte du Brexit, la compagnie bretonne a fait de l'Irlande et de l'Espagne les parties prenantes de sa stratégie de développement du fret. Après avoir testé pendant deux ans l’opportunité d’une offre sur ces destinations, elle ajuste ses propositions. Un second business pour celle qui avait fait des liaisons régulières avec l’Angleterre son fonds de commerce.
La compagnie française, spécialiste du transmanche, ne tarde pas à mettre en œuvre les pare-feux alors que s’est tenu à Londres un nouveau cycle de négociations très peu convaincant dans le sens où persistent de nombreux points de désaccord. Dans le cadre des négociations sur leur relation post-Brexit, les représentants du Royaume-Uni et de l’UE devaient aborder, au cours de cette session estivale, les conditions de concurrence équitable et la pêche.
Londres espère toujours conclure un accord préliminaire avec Bruxelles en septembre alors que n’ont toujours pas été trouvés les éléments de base d'un accord. Bruxelles indique pour sa part « peu probable » la conclusion d'un arrangement commercial à cette échéance. Pour rappel, à défaut d’entente d’ici le 31 décembre prochain, date butoir fixé par le Premier ministre Johnson, les échanges entre le Royaume-Uni et l'Union européenne seront soumis aux règles de l'OMC, c’est à dire avec des droits de douane (sans doute élevés) applicables dès le 1er janvier 2021.
Il y a quelques jours, Londres a dévoilé dans un document de 206 pages le détail de ses premières propositions concernant la gestion de ses frontières après le Brexit, insistant sur le fait qu'elles seraient mises en application indépendamment de la conclusion d'un accord avec Bruxelles. Le projet prévoit une application graduelle de la loi aux frontières au cours des six premiers mois de 2021.
En première ligne
Brittany Ferries, dont 80 à 85 % de la clientèle est britannique, est aux avant-postes de ce théâtre d’opérations aux frontières mouvantes. Et elle doit affronter cette situation, qui ne dépend pas d’elle, alors qu’elle sort affaiblie par la crise sanitaire, qui n’est toujours pas vaincue. Après une fermeture totale des lignes passagers, le 19 mars, la société bretonne n’a pu redémarrer son exploitation que le 29 juin et dans des conditions non optimales.
Pour « desserrer l’étau de la grande dépendance » au trafic passagers, il faut « renforcer sensiblement le volume de fret », indiquait Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries au JMM dans le magazine qui vient de paraître (cf. JMM 5108-5109).
Dans la perspective du Brexit, hors aléa sanitaire, la compagnie avait déjà fait de l'Irlande et de l'Espagne les parties prenantes de sa stratégie de développement du fret. « Elles deviennent désormais stratégiques pour notre redéploiement à venir. On ne peut que regretter le Brexit et craindre son impact. Mais le Brexit ouvre de nouvelles lignes, de nouveaux débouchés, de nouveaux marchés d'approvisionnement, tant vers le Royaume Uni que vers l'Irlande. Je ferai tout pour que Brittany Ferries y gagne de nouvelles parts de marché, gage de son redressement à venir », souligne également dans cet entretien accordé au JMM celui qui incarne la compagnie depuis plusieurs années.
Irlande-Espagne : Brittany Ferries modifie la route de son service
Nouvelle ligne de fret
C’est dans ce contexte que l’armateur breton vient d’annoncer le lancement d’une nouvelle ligne orientée fret à destination de l’Irlande depuis la France. Opérationnelle en mars 2021, elle reliera Cherbourg à Rosslare avec le Connemara. Affrété depuis 2018 auprès de Stena roro, le ro-pax est actuellement exploité sur la ligne Le Havre-Porstmouh. Avec cette nouvelle offre, les passagers et les transporteurs de fret peuvent désormais avoir accès à trois services Rosslare-Bilbao, Roscoff-Cork et Cherbourg-Rosslare.
En février dernier, Brittany Ferries avait réorientée sa ligne orientée fret, initialement lancée en 2018 et à titre expérimental entre Cork et Santander, pour la muter en un service reliant les ports de Roscoff et de Bilbao à Rosslare, opéré par le Kerry deux fois par semaine. Le changement des ports de destination avait été justifié par des études de marché et des remontées commerciales, notamment des professionnels du transport routier, faisait-elle alors valoir. Le port au sud-est de l’Irlande, qui a engagé 25 M€ dans ses installations ces dernières années, offre en effet plus d’espaces pour les véhicules de fret et bénéficie de surcroît d’une très bonne desserte routière. À l’extrémité de la ligne, Bilbao, proche des centres industriels du Nord de l’Espagne et Sud de la France bénéficie aussi d’une plus grande capacité d’accueil sécurisée pour le fret non accompagné.
À partir du mois de mars de l’année prochaine, Roscoff-Rosslare devient donc Cherbourg-Rosslare et la rotation sera assurée par le Connemara. Le navire assurera en outre deux rotations hebdomadaires entre Bilbao et Rosslare. Ainsi Cherbourg prend-il le relais de Roscoff et le Connemara celui du Kerry.
Brittany Ferries construit progressivement son arc Atlantique
Augmentation de capacité
Brittany Ferries annonce également que la « ligne Roscoff-Cork, très appréciée des voyageurs, avec une répartition quasi égale entre français et irlandais, proposera désormais une rotation supplémentaire en semaine. » Elle sera assurée par le Pont-Aven le week-end et l’Armorique en semaine. « Les vacanciers pourront réserver un court séjour en Irlande avec la possibilité de partir et revenir en milieu de semaine ou le weekend. »
Après avoir fait son fonds de commerce en reliant la Normandie (Cherbourg, Caen-Ouistreham, Le Havre) et la Bretagne (Roscoff, Saint-Malo) aux ports anglais (Plymouth, Poole et Portsmouth), l’armateur breton construit ainsi un business d’appoint, entre l’Irlande et l’Espagne (Cork, Santander, Bilbao). Un marché sur lequel il y a encore peu de concurrence, excepté Celtic Line et Irish Ferries.
Les lignes fret bénéficieront par ailleurs des navires de la classe E-Flexer, actuellement en construction au sein du chantier chinois Avic Weihai pour le suédois Stena, qui doit en affréter quelques-uns à Brittany Ferries. La compagnie bretonne doit réceptionner d’ici la fin de l’année le 4e de cette série, qui offre une capacité de transport supérieure de 10 % pour les passagers et de 28 % pour le fret. Après les Étretat, Connemara et Kerry sont attendus les Salamanca en 2021 et le Santoña en 2023, tous deux propulsés au GNL. Dans un environnement Brexit, qui questionne le sort de l’Irlande, offrir un contournement par la mer du « landbridge »* britannique peut s’avérer opportun.
Adeline Descamps
* Voie commerciale reliant l’Irlande au continent via les routes et ports britanniques.