Faut-il lier les deux annonces que Brittany Ferries a livrées la semaine dernière pour en faire les cordes d’un même arc : la construction en accéléré d’un réseau atlantique Nord-Sud ? Issue d’une dynamique agricole privée du Finistère, soutenue par les collectivités bretonnes et normandes, la compagnie de Roscoff est devenue en quelques décennies ce que l’Isemar se plait à classer, dans ses publications, parmi les « super acteurs régionaux qui ont dépassé leur positionnement historique national pour s’étaler à l’échelle d’un bassin maritime plus vaste ».
Capitalisant sur le retrait de P&O pour reprendre les lignes entre l’Espagne et la Grande-Bretagne, celle qui a succédé à son historique rivale anglaise s’est tissée un petit empire autour d’un triangle dont les segments relient désormais la Manche, le Nord de l’Espagne et l’Irlande. « Elle devient un opérateur transgascogne comme Grimaldi l’a été, il y a deux décennies, sur un axe Italie-Espagne, analyse Paul Tourret, le directeur de l’Isemar, qui décrypte précisément le marché roulier européen dans le JMM Magazine en date de janvier. Elle s’affirme de plus en plus comme LE transporteur entre les îles britanniques et la péninsule ibérique, consolidant ses business hispano-britanniques, son deuxième fonds de commerce, après celui des liaisons franco-britanniques ».
Dans la perspective du Brexit, dont on ne connaît pas encore précisément les effets sur les flux mais qui a déjà provoqué un ralentissement perceptible, « trouver des relais de croissance à la clientèle britannique en étant un transporteur multifonctions et notamment de l’arc Atlantique a du sens », poursuit l’économiste. D’autant que sa clientèle britannique, qui représentent plus de 80 % de ses passagers, risque de voir son pouvoir d’achat érodé par une dévaluation de la livre sterling par rapport à l’euro. Des moments toujours douloureux pour la compagnie dont les recettes – passagers, hôtellerie, restauration et achats à bord - se font essentiellement dans la monnaie anglaise.
Transmanche : « Le post-Brexit ne se résout pas à la longueur des files de camions »
Deux annonces simultanées
Cette semaine, Brittany Ferries a donc fait deux annonces distinctes. La première concerne son service direct entre Cork et Santander qui devient Rosslare-Bilbao à partir du 28 février avec deux allers-retours par semaine tandis qu’une rotation hebdomadaire sera proposée au départ de Roscoff et à destination de Rosslare à partir du 24 mars. La ligne Rosslare-Bilbao, motivée par la croissance du fret entre l’Espagne et l’Irlande, avait été lancée en 2018 pour une expérimentation de deux ans.
La géographie, reine des mers, et les capacités portuaires légitiment assez rapidement les nouvelles options. Côté espagnol, Bilbao, qui a perdu il y a cinq ans le service de l’opérateur roulier finlandais Transfennica vers Portsmouth et Zeebrugge, dispose des infrastructures adaptées. Proche de la Catalogne et de la Castille industrialisées, il « bénéficie d’une plus grande capacité d’accueil pour les remorques non accompagnées », explique Christophe Mathieu, président du directoire de Brittany Ferries.
Côté irlandais, moins excentré que ne l’était Cork, Rosslare, qui a engagé 25 M€ dans ses installations, « offre plus d’espaces pour les véhicules de fret et bénéficie d’une très bonne desserte routière, permettant un accès plus rapide depuis Dublin et au réseau routier de la côte Est de l’Irlande », poursuit le dirigeant. La liaison Roscoff-Rosslare, opérée par le Kerry, permettra en outre à Brittany Ferries de proposer à ses passagers une offre complémentaire à la ligne Roscoff-Cork assurée par le Pont-Aven, ligne qui revendique 100 000 voyageurs.
L’histoire du post-Brexit reste à écrire. L’usage ratifiera l’histoire. Mais le fret étant nourri par des imports sous froid de fruits et légumes espagnols, offrir aux sociétés logistiques un départ direct de Bilbao sur les ports britanniques peut s’avérer judicieux en des temps utiles.
Brittany Ferries lance une autoroute ferroviaire Cherbourg - Bayonne
Un nouveau métier : opérateur ferroviaire
À l’occasion de ses vœux aux élus normands, et en présence de l’ambassadrice de la république d’Irlande, Jean-Marc Roué, le président de l’armement breton, a annoncé qu’il allait investir directement dans l’exploitation d’autoroute ferroviaire entre le pays basque, le Royaume-Uni et l’Irlande via le port de Cherbourg en vue de développer le fret non accompagné, avec dans un premier temps un aller-retour quotidien pour une centaine de remorques « fournies » par les ferries opérant sur les lignes entre Poole, Portsmouth (Royaume-Uni), Rosslare (Irlande) et Cherbourg
Dans la perspective du Brexit et constatant que les flux de poids lourds britanniques et irlandais vers l’Espagne sont en progression de 30 % depuis trois ans, nous nous engageons dans un nouveau métier, celui d’opérateur ferroviaire », a justifié le président du BAI, qui bétonne ainsi sa part de trafic dans la remontée de transit.
« La modernité du ro-ro est précisément là, estime Paul Tourret. Pour l’économiste, elle ne réside pas dans des autoroutes de la mer subventionnées « mais dans le développement d’autoroutes ferroviaires à l’interface du roulier, avec des acteurs privés dynamiques étendant leur réseau, à l’image ce qu’ont fait les opérateurs turcs avec Trieste. Des points pivots sont en train de se consolider au Boulou, à Biriatou, à Calais demain, et à Bettembourg au Luxembourg »,
Est-ce pour construire plus rapidement son arc Nord/Sud que l’entreprise a lâché son traditionnel modèle d’acquisition de navires pour opter pour l’affrètement à dix ans avec option d’achat, comme l’illustre la série Galicia, dont les premières unités ont été réceptionnées. « S’assurer de la souplesse et de la capacité » assume Brittany Ferries.
Adeline Descamps