Plus personne ne doute des vertus du branchement électrique à quai, qui permet à un navire en escale de couper les moteurs auxiliaires, tout en couvrant ses besoins (primordiaux et non accessoires) en énergies, notamment mais pas exclusivement, pour maintenir la température contrôlée des conteneurs réfrigérés par exemple. Avec à la clé, une élimination intégrale des émissions d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote et de particules fines pendant le séjour à quai ainsi qu’une réduction des nuisances sonores. Lors d’un passage portuaire, un porte-conteneurs serait responsable de 70 % des émissions de CO2 générées.
« CMA CGM s’est engagée à avoir l’ensemble de sa flotte en propriété équipée d’ici à 2050. À ce jour, soixante et une de nos unités peuvent se brancher à quai quand les ports disposent du service », a expliqué Laurent Martens, à la tête de Terminal Link, la filiale portuaire du groupe, lors d’une table ronde sur l’électrification à quai organisée dans le cadre du salon Euromaritime. Le transporteur a actuellement 210 porte-conteneurs en propriété.
Une non évidence
L’affaire n’est pas simple car dans ce dossier, le partage des responsabilités (et donc de la répartition des financements) entre l’autorité portuaire (souvent publique), le manutentionnaire privé et la compagnie maritime cliente, n’a pas encore été clarifiée. La Feport, la fédération des exploitants portuaires privés, s’y emploie et travaille actuellement sur une doctrine. « En règle générale, les collectivités publiques réalisent les infrastructures. Les autorités portuaires vendent l’électricité », précise le dirigeant de CMA CGM.
Quoi qu’il en soit, « il ne peut s’agir que d’un choix politique », explique-t-il. L’investissement de 750 000 € (en moyenne par navire) et le coût de l’électricité, nettement plus cher que celle qui est produite à bord, ne permet pas « d’avoir sur ce dossier une approche économique ».
Un retour sur investissement qui a tardé
« Le modèle économique n’y est pas », confirme Christophe Seguinot, le directeur technique de La Méridionale. La compagnie maritime, qui exploite trois ro-pax, est à l’avant-garde des initiatives technologiques. Elle éprouve depuis 2017 le branchement électrique à quai à Marseille sur l’ensemble de sa flotte, moyennant un investissement de 3,7 M€, qu’elle a quasiment autofinancé à l’exception d’une aide publique de 500 K€. Le retour sur investissement ne se mesure que récemment alors que les combustibles de soute dépassent les 1 000 $ la tonne de fuel bas carbone.
Pionnière avec la coupure de ses moteurs, elle le sera aussi sans doute après avoir fini sa campagne d’essais de son filtre à particules à base de bicarbonate de soude qu’elle présente comme une « première mondiale dans le shipping ». Pour ce faire, elle s’est entourée du fabricant autrichien de filtres Andritz (technologies d’épuration des gaz d’échappement) et du chimiste Solvay, spécialiste du carbonate et bicarbonate de sodium. Le nouveau système permettrait la « désulfuration à sec des gaz d’échappement et l’élimination des particules fines et ultra fines » (celles qui gênent en réalité les riverains) avec un bilan environnemental meilleur que celui du scrubber. Si les résultats sont probants (et ils semblent l’être), la compagnie ira bien au-delà de ce que la réglementation exige.
« La réglementation européenne va obliger les ports européens à offrir le service d’ici à 2030 », rappelle Hughes Bertet, directeur de l’activité portuaire au sein de Schneider Electric. En la matière, selon ses données, la politique de subventions est extrêmement variable selon les pays : de 200 M€ en France pour la transition énergétique dans les ports (donc pas exclusivement le cold ironing) à 800 M€ en Italie dans le cadre d’un plan de relance publique généreux pour les ports, en passant par l’enveloppe de Berlin de 180 M€ mais exclusivement pour les connexions électriques. Une politique européenne « archipelisée ».
Adeline Descamps