L’époque est frénétique. L’appréciation des risques aussi épouse les contours de son temps. En 2021, les hausses de la demande consécutives aux confinements ont aggravé les perturbations des chaînes de production et d’approvisionnement liées à la fermeture d’usines en Asie et à un engorgement inédit des ports à conteneurs. Les retards causés par la pandémie se sont ajoutés à d’autres problèmes logistiques, comme le blocage du canal de Suez ou la pénurie mondiale de semi-conducteurs après les fermetures d’usines à Taïwan, au Japon et au Texas, provoquées par des incendies et des événements météorologiques. L’ensemble des phénomènes de l’année se traduit aujourd’hui par une sensibilisation accrue à ces nouveaux risques.
Dans le Baromètre international des risques d’Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS), les perturbations de la chaîne logistique figurent en tête des cinq premières menaces identifiées par les entreprises opérant dans le transport maritime, recueillant 42 % des suffrages auprès des personnes sondées. Avec 36 % des voix exprimées, les catastrophes naturelles, dont le total des pertes assurées dans le monde devrait dépasser les 100 Md$, se placent en seconde position.
Les incendies et explosions d’une part et les risques physiques, opérationnels et financiers induits par le réchauffement climatique, d’autre part, font leur apparition parmi les cinq premiers risques.
Des absences
En revanche, les incidents cyber (cyber crimes, défaillances informatiques, violation de données) n’inquiètent ni plus ni moins les acteurs de la filière que dans le précédent classement. Paradoxalement. Car les attaques par ransomware se sont multipliées l’an dernier. Maersk, MSC, CMA CGM, HMM, DSME, l’OMI ont tous fais les frais de tentatives d’intrusion dans leurs sytèmes d’information tandis que le ciblage d’infrastructures physiques essentielles (comme Colonial Pipeline aux États-Unis) n’a pas été sans impact sur le transport maritime de produits pétroliers.
Les évolutions réglementaires liées à la décarbonation ne figurent non pas non plus parmi les principales sources de préoccupation. Et pourtant, les exploitants de navires ont des arbitrages capitaux et onéreux à opérer très rapidement. 2023 déclenche le compte à rebours vers la neutralité carbone à l’horizon d’une durée de vie de navire.
Versus les autres secteurs
Il est intéressant de confronter le transport maritime aux risques mis en exergue dans 19 autres secteurs d’activité par les 2 650 personnes interrogées (directeurs généraux, gestionnaires de risques, courtiers et assureurs). Pour l’ensemble, les cyberattaques (au premier rang), les perturbations de la chaîne d’approvisionnement (au second) et les catasptrophes composent les trois principales inquiétudes des entreprises.
Les incertitudes liées à la pandémie régressent (de la troisième à la quatrième position), les entreprises considérant être mieux préparées aux aléas, excepté pour le secteur du tourisme où le virus est particulièrement handicapant pour l’activité. Le changement climatique bat son record en passant du neuvième au sixième rang avec 17 % des plébiscites.
Ne pas pouvoir fabriquer, la grande peur
À noter que pour tous les secteurs en lien avec le transport, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement sont largement plébiscitées. Les déficits de production, qui sont à l'origine de 75 % de la contraction actuelle du volume des échanges mondiaux et les goulets d'étranglement logistiques pour le quart restant selon Euler Hermes, semblent occuper tous les esprits.
« La plupart des entreprises redoutent avant tout de ne pas pouvoir fabriquer leurs produits ou fournir leurs services. Les cyber attaques dévastatrices, les multiples événements météorologiques liés au réchauffement climatique touchant les chaînes d’approvisionnement, ainsi que les difficultés de production et la saturation des transports en raison de la pandémie ont provoqué des perturbations majeures. La situation ne devrait s’améliorer que progressivement cette année », explique Joachim Mueller, le PDG d’AGCS.
Selon le directeur mondial du conseil en risques « dommages aux biens » chez AGCS, la question serait même devenue stratégique : « les dirigeants veulent une plus grande transparence des chaînes d’approvisionnement. Les entreprises investissent dans des outils et travaillent sur des données afin de mieux comprendre les risques et de mettre en place des outils visant à garantir la continuité d’activité ».
Trois facteurs favorisant la normalisation
Le Global Trade Report d’Euler Hermes leur donnerait plutôt raison. Dans son rapport sur le commerce mondial publié le 9 décembre, la société d'assurance-crédit française (détenue par le groupe Allianz) prévoit de fortes perturbations de la chaîne d’approvisionnement tout au long de l’année même si le déséquilibre entre l’offre et la demande mondiales et la saturation du transport par conteneurs devraient s’atténuer, assure-t-elle « en supposant qu'il n'y ait pas d'autres développements inattendus ».
La volatilité des flux commerciaux devrait rester la norme jusqu'au printemps. « À partir du second semestre, trois facteurs favoriseront la normalisation des échanges : un refroidissement des dépenses de consommation ; des pénuries d'intrants moins aiguës et une réduction de la congestion des transports maritimes grâce à l'augmentation des capacités », assurent les auteurs du département de recherche économique.
Plateau et pic
Ils partent du principe que la demande des consommateurs a atteint un plateau car le cycle de remplacement des biens durables serait terminé et les politiques budgétaires, tout en étant encore accommodantes aux États-Unis, dans la zone euro et en Chine, seront progressivement abandonnées. Selon leurs indicateurs, en Europe, l'excédent d'épargne devrait soutenir la consommation privée à hauteur de 0,9 % du PIB en 2022 et de 0,5 % en 2023 après 1,4 % en 2021.
Autre indice d’un retour à une certaine normalité, les stocks auraient retrouvé ou même dépassé les niveaux d'avant la crise dans la plupart des secteurs tandis que la capacité de production va bénéficier de la hausse des investissements.
L’assureur convient néanmoins que, pour ce qui est des intrants en provenance de Chine, l'Europe se trouve du côté faible du bras de fer qui l'oppose aux États-Unis compte tenu de sa forte dépendance à l'égard des composants intermédiaires provenant de l'étranger, à commencer par l’industrie automobile. Les secteurs européens des machines et équipements, de l'automobile, de l'électronique grand public et des équipements ménagers font d’ailleurs état de tensions bien supérieures à la moyenne de l'ensemble du secteur manufacturier.
Moindre congestion portuaire mais taux de fret encore élevés
Enfin, les économistes d’Euler, qui estiment à 4 % du volume du commerce mondial actuellement bloqué en raison de contraintes de transport maritime, gagent sur une atténuation des congestions car les capacités augmentent. « Les commandes mondiales de nouveaux porte-conteneurs ont atteint des niveaux record ces derniers mois, représentant 6,4 % de la flotte existante, tandis que les États-Unis vont consacrer 17 Md$ à la modernisation de leurs infrastructures portuaires », font-ils valoir tout en anticipant des taux de fret élevés en 2022.
À mettre au crédit de l’assureur, il déplace la focale sur les ports : augmenter la capacité du transport maritime si les ports n’en font pas de même n’a pas de sens en effet comme l’illustre le grand chaos des ports californiens, qui sont en train d’adresser la facture des décennies de sous-investissements.
Délocalisation et relocalisation, des paroles plus que des actes
Malgré ces vulnérabilités, la relocalisation et le nearshoring (rapatrier une activité économique dans un pays proche de ses marchés de consommation) resteront plus des paroles que des actes, confirme Euler Hermes dans son étude.
« En fait, si l'on examine les indices des importations pondérées en fonction de la distance pour voir si les marchandises proviennent de lieux plus proches, nous ne constatons pas de tendance claire de reshoring ou de nearshoring des activités industrielles, à l'exception du Royaume-Uni, qui a pu subir des perturbations liées au Brexit ».
Grande dépendance manufacturière
La dépendance du secteur manufacturier mondial à l’Asie reste une réalité de 2022. Pour ne prendre qu’un exemple, le plus spectaculaire sans doute. Les pays d'Asie-Pacifique représentent environ 90 % des exportations mondiales des semi-conducteurs, intrant clé pour de nombreuses industries, et le Japon, Corée du Sud, Chine et Taïwan, plus de 70 % des capacités de production mondiales.
Un autre indicateur sème le trouble : la seule baisse de 10 % des importations de l'UE en provenance de Chine pourrait avoir un effet négatif de plus de 6 % sur le secteur des métaux, de plus de 3 % sur l’automobile et de plus de 1 % sur l'informatique et l'électronique.
Protectionnisme commercial et risques géopolitiques, oubliés ?
En 2021, le protectionnisme commercial a atteint un niveau record mais les sondés n’en ont manifestement pas fait un risque majeur. Ils n’affichent pas plus d’égards contrariés pour les tensions géopolitiques.
Au vu des amabilités épigrammatiques qu’échangent les États-Unis et la Chine, de la géopolitique au Moyen Orient (rebelles houthis) et du bras de fer gazier entre la Russie (aux portes de l’Ukraine) et l’Europe, tout semble indiquer que l’escalade sera un « fondamental » du marché en 2022.
Les échanges maritimes en ressortent rarement gagnants à quelques « cygnes noirs » près dont peuvent profiter les tankers et les vraquiers.
Adeline Descamps
Des déséquilibres records dans les déficits et les excédents commerciaux
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