La cyber attaque contre le Colonial Pipeline qui a provoqué l’interruption des opérations le 11 mai, a offert aux navires transportant des produits pétroliers un souffle inespéré mais sans doute temporaire alors qu’ils sont sous-exploités depuis de long mois, voire exploités à des niveaux bien en deçà de leur seuil de rentabilité.
La fermeture de l’ensemble du réseau de l’oléoduc qui joue un rôle majeur dans l’approvisionnement de diesel, d’essence et de kérosène de la côte Est des États-Unis (2,5 millions de barils par jour) , reliant les raffineries du Golfe du Mexique aux centres de distribution de la côte Est, a eu un impact immédiat sur les stocks, les taux et les contrats à terme des pétroliers.
Les raffineurs américains et les négociants se sont rués sur les MR (moyenne portée). Les premiers pour stocker du carburant en anticipation d’une pénurie et les seconds, pour expédier des produits raffinés depuis l'Europe. D'après les données du Signal Group au 12 mai, 38 navires sont actuellement disponibles pour le trafic entre l'Europe du Nord et l'Atlantique américain, et 56 pour la route entre le Golfe américain et l'Europe du Nord.
Des revenus journaliers qui ont doublé
Les revenus quotidiens des pétroliers transatlantiques ont par exemple augmenté de 117 % en un jour pour atteindre près de 20 000 $. Les tarifs entre Rotterdam et New York pour un handysize d’une capacité de 280 000 barils de pétrole sont passés de 5 591 $/j le 7 mai, à 10 833 $ le 10 mai. Les revenus journaliers pour les MR à spécification écologique sur cette même route ont bondi de 61 %, passant de 9 530 à 15 365 $ en trois jours.
L’envolée la plus spectaculaire a été enregistrée sur le trafic entre le Golfe des États-Unis et l'Europe du Nord, où les taux sont passés de 65 $/j le 7 mai à un tarif journalier de 8 118 $ le 10 mai. La société d’analyse pétrolière Vortexa a pour sa part observé des changements de destinations. Ainsi, le Tavrichesky Bridge affrété par Litasco et transportant 370 000 barils d'essence, a été détouré vers Yorktown en Virginie, près des villes de Richmond et Norfolk, approvisionnées par le Colonial. Bien que les taux plus élevés sur ces routes aient tiré l'indice BCTI vers le haut, le Baltic Clean Tanker Index (BCTI) n’est pas gagné par la ferveur sur d’autres voies où la progression reste modeste (+ 6,4 %).
La panne prolongée, une bonne nouvelle pour le transport maritime
La situation a provoqué la panique chez les consommateurs américains qui ont vidé les stations-services, craignant la pénurie d'essence et la hausse des prix. Le 13 mai, 70 % des stations de Caroline du Nord et de Washington DC signalaient une disponibilité limitée de carburant, ainsi que 50 % en Caroline du Sud et en Virginie, selon des données suivies en temps réel.
La dernière fois que ces effets avaient été observés dans les États de la côte américaine remonte à la dernière fermeture du Colonial Pipeline en 2017, lorsque l'opérateur avait interrompu ses activités par mesure de précaution pendant l'ouragan Harvey.
L'oléoduc principal était toujours fermé le 12 mai en début d'après-midi mais le gestionnaire du Colonial Pipeline a annoncé être en mesure de reprendre la livraison de carburant. Pour le transport maritime, le meilleur scénario serait pourtant la panne prolongée.
« Le transport maritime constitue une alternative évidente à l'oléoduc. Plus la perturbation est longue, mieux c'est pour le secteur qui dans son état actuel a besoin de toute l'aide possible », indique Peter Sand analyste au sein de l’organisation maritime BIMCO qui y voit deux opportunités : le transport entre les raffineries du Golfe des États-Unis vers les consommateurs de la côte Est « si la loi Jones est levée, les navires étrangers pourraient se positionner », et l’augmentation des volumes à travers l'Atlantique « si la demande augmente en raison de la fermeture de l'oléoduc. »
La Jones Act a été mise en œuvre en 1920 pour soutenir les emplois dans l'industrie maritime. Elle exige notamment que les marchandises transportées entre les ports américains le soient par des navires construits dans le pays et dotés d'équipages américains.
Non-événement ?
Selon les données de l'Energy Information Administration (EIA), les stocks combinés d'essence et de distillats de la côte Est totalisaient 102,6 millions de barils en avril. Vortexa estime que les stocks d'essence de cette zone sont suffisants pour couvrir 20 à 25 jours de demande à terme. En outre, d'importants volumes de produits par camions citerne étaient déjà en route vers la côte Est avant la cyberattaque du Colonial Pipeline.
À chaque fermeture du pipeline, les tarifs des transporteurs de produits pétroliers ont grimpé en flèche puis sont redescendus tout aussi rapidement, indiquent les analystes. Ainsi, le 12 septembre 2016, une fuite et un déversement en Alabama avaient entraîné une fermeture partielle du Colonial pendant douze jours. L’incident avait eu un effet immédiat sur les taux des MR sur la route transatlantique, passant de 10 000 $ à 20 000 $ par jour avant de sombrer sous les 10 000 $ une fois la situation rétablie.
Le 31 octobre 2016, une explosion et un incendie provoquant l’interruption des opérations de l’infrastructure pendant une semaine avait également donné un coup de peps aux MR, passant de 7 000 à 25 000 $/j avant de passer rapidement sous la barre des 10 000 $.
Si l’Histoire se répète, il serait peu probable que l’accident offre au secteur un pont vers la reprise tant attendue. En tout cas, et une fois de plus, l’événement montre à quel point les pétroliers sont sensibles aux chocs dont certains ont même le pouvoir de sortir les navires de la nasse. Démonstration a été faite récemment avec un satané virus qui, en déboulonnant le pétrole, a offert aux grands transporteurs de brut, devenus des stocks flottants, de très belles heures.
Adeline Descamps