Serait-ce en Chine, là où se produit en effet majoritairement le méthanol, que les exploitants ayant fait le choix de cette énergie pour leur future flotte devront se fournir ? Les apparences s'y prêtent. En avril dernier, en marge de la visite du chef d’État français en Chine, l'armateur marseillais CMA CGM, qui faisait partie de la délégation officielle, a signé un accord avec le groupe Cosco et le port de Shanghai pour sécuriser son avitaillement en biométhanol et e-méthanol.
Le groupe de transport maritime chinois a lui-même rejoint le club des convaincus du méthanol pour décarboner sa flotte en commandant en décembre 2022 douze porte-conteneurs de 24 000 EVP propulsés avec le carburant plébiscité. Pour les accueillir, il s’est mis en ordre de marche et a annoncé en septembre une coopération avec trois autres ressortissantes chinoises en vue de monter « une chaîne industrielle complète [production, transport, ravitaillement et certification, NDLR] répondant aux normes de certification nationales et étrangères autour des nouvelles énergies ».
Les quatre partenaires – avec State Power Investment Corp. (Spic), l’un des principaux fournisseurs d’électricité du pays, SIPG et la société de classification China Certification & Inspection group (CCIG) –, visent notamment « la mise en œuvre du premier lot de projets de production de méthanol vert en Chine ».
Course au méthanol
La concomitance entre les navires et l'approvisionnement en carburant, qui doivent être construits à peu près en même temps, est un des défis de la décarbonation du transport maritime.
Pionnier dans le positionnement en faveur du méthanol, Maersk s’est lancé depuis près de deux ans dans une quête à l’élixir et a déjà signé, à ce stade, plus de dix contrats d’achat (notamment auprès de Carbon Sink, CIMC ENRIC, Debo, European Energy, Green Technology Bank, Orsted, Proman, Wastefuel…) consolidant quelque 750 000 t de méthanol vert.
Ce volume doit lui permettant d’avitailler les premiers navires livrés avant 2025 (au moins les douze premiers), excepté le Laura Maersk, « pièce unique, conçue en partie comme une preuve de concept », selon l'expression d'Alphaliner.
Le feeder de 2 100 EVP, baptisé en septembre, a un traitement à part : son avitaillement a fait l'objet d'un accord avec Reintegrate, filiale du groupe danois d’énergies renouvelables European Energy, qui sera en mesure de lui assurer 10 000 t d'e-méthanol, de source solaire.
Maersk a 24 navires au méthanol en commande, qui seront progressivement intégrés entre 2024 et 2027 (douze navires de 16 000 EVP, six unités de 17 000 EVP et six de 9 000 EVP). En plus de ces 24 unités, le numéro deux mondial de la ligne régulière devrait convertir onze navires de 15 300 EVP.
Densité énergétique deux à trois fois inférieure à celle du fuel
Un porte-conteneurs brûle entre 150 et 300 t par jour de fuel selon la vitesse. Si le méthanol a deux avantages majeurs – le transport sans liquéfaction et la facilité technique à se substituer à un carburant pétrolier –, sa densité énergétique est deux à trois fois inférieure à celle du fuel. Il faudra donc deux tonnes de méthanol pour avoir l’équivalent d'une tonne de fuel à 3,5 % de teneur en soufre.
Quoi qu’il en soit, le méthanol de source renouvelable est aujourd’hui produit en quantité infinitésimale. Selon un rapport de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables et du Methanol Institute, il se fabrique chaque année, et particulièrement en Chine, 98 Mt de ce mélange de dihydrogène et de monoxyde de carbone mais moins de 200 000 t de méthanol vert (électricité renouvelable en combinaison avec du CO2 biogénique).
Raison pour laquelle Maersk s'engage dans des volumes d'achats sur la durée de façon à envoyer un signal au marché.
Un contrat avec des volumes supérieurs
Le nouveau contrat signé entre Maersk et le Chinois Goldwind porte sur des volumes bien importants que ceux passés jusqu’alors.
Chacune des entreprises avec lesquelles le transporteur a contracté développe des projets, dont la capacité initiale va de 50 000 et 300 000 t par an, tous axés sur le bio-méthanol, mais dont les développements permettent d’envisager des volumes de 200 à 300 000 t d'e-méthanol à partir de 2025-2026.
La chinoise CIMC ENRIC sera la première à pouvoir fournir du bio-méthanol à partir de résidus agricoles à raison de 50 000 t par an dès 2024 mais avec un potentiel de 200 000 t par an.
Le plus grand volume assuré jusqu'à présent revient au principal groupe énergétique au Danemark, Ørsted. D’ici fin 2025, il pourra fournir 300 000 t par an grâce à une installation « power-to-X » d’une capacité de 675 MW (provenant de parcs éoliens terrestres et photovoltaïques) qu’il prévoit d'implanter dans le golfe du Mexique. La technologie permet de transformer l’électricité en un autre vecteur énergétique, qui peut être un gaz de synthèse (« power to gas ») tels que l’hydrogène ou le méthane (après méthanation).
Proman projette pour sa part de livrer à Maersk entre 100 000 à 150 000 t par an de méthanol issu de résidus forestiers et de déchets ménagers à partir de son installation en cours de développement en Amérique du Nord et dont le lancement est prévu en 2025.
Couvrir les premières années de son parcours net zéro
Avec Goldwind, il s’agit d’un mélange de bio-méthanol vert et d'e-méthanol, issu de l’énergie éolienne dans une installation de production encore à construire dans le nord-est de la Chine, dont la décision finale d'investissement (FID) est imminente. La production devrait démarrer en 2026. En début d'année, l'entreprise chinoise avant annoncé avoir franchi le cap des 100 GW de capacité installée dans le monde.
« Cet accord permettra réduire considérablement les risques », indique Maersk qui en fait un « pont » vers les années 2030, gageant sur le fait qu'un méthanol vert à prix compétitif sera alors disponible. Lors du baptême de son feeder, l'armateur s'est dit en mesure de disposer de 3 Mt de méthanol vert en 2030.
Pour sa dernière commande d'une série de 12 porte-conteneurs de 3 500 EVP, non encore vraiment officialisée, deux chantiers auraient été préselectionnés, CSSC Huangpu Wenchong Shipbuilding et Yangzijiang Shipbuilding. Un doute persiste toutefois sur le carburant alors qu'un « changement de carburant » serait envisagé, selon les informations de TradeWinds. Ce qui parait complètement à contre-courant du narratif du groupe danois sur la décarbonation, axé sur un seul carburant, en l'occurrence le méthanol vert.
Adeline Descamps
Lire aussi
Maersk assure son approvisionnement en méthanol
Maersk signe un énième accord pour son avitaillement en méthanol
Un accord entre Maersk et le gouvernement espagnol pour produire du méthanol vert
Maersk investit dans une start-up qui produit du e-méthanol
Maersk s'attaque à la conversion au méthanol