L'Espagne durcit ses règles contre les transferts de pétrole en mer

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Alors que les opérations de transfert de pétrole russe de navire à navire se multiplient au large de ses côtes, l'Espagne renforce sa réglementation, craignant que cette flotte dite obscure ne cause des dommages dans ses eaux sans qu'elle puisse obtenir réparation le cas échéant. Le phénomène est un nouveau fléau pour le transport maritime.

Prévenant un accident majeur au large de ses côtés, le gouvernement espagnol prend les devants en renforçant sa réglementation pour mieux encadrer les transferts de pétrole de navire à navire. Les nouvelles règles doivent entrer en vigueur 20 jours après sa publication le 22 mars.

Les exploitants de pétroliers doivent désormais être autorisés par la capitainerie du port espagnol le plus proche s'ils ont l'intention d'ancrer dans les « espaces maritimes espagnols », même en dehors des eaux territoriales, et respecter des exigences strictes en matière de sécurité pendant la période d'ancrage. Ils sont notamment tenus de s'assurer un remorqueur de sauvetage équipé contre les déversements pendant toute la durée de son séjour. Le règlement n’intègre visiblement pas les transferts STS effectués sans ancrage, une pratique courante observée dans le cas récent du Maersk Magellan.

Les nouvelles règles s’appliquent également aux navires destinés à souter ces pétroliers.

Les capitaineries se retrouvent ainsi à superviser des espaces qui couvrent la zone contiguë (12-24 milles nautiques de la côte) et la zone économique exclusive (24-200 nm), mais la réglementation nationale est limitée en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

Selon le traité international, ils ne peuvent pas réglementer la navigation au-delà de la ligne des 12 milles, à quelques exceptions près.

Multiplication des opérations de STS

Ce tour de vis réglementaire fait suite à une recrudescence des opérations des transferts de navire à navire (STS, ship-to-ship) de pétrole brut et produits pétroliers russes depuis l’entrée en vigueur des sanctions de l'Union européenne. Tout navire russe battant pavillon russe après le 24 février 2022, date de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, n'est plus autorisé à livrer des marchandises dans les eaux européennes et depuis le 5 février 2023, aucun pays de l’UE ne peut plus importer, par voie maritime, des produits raffinés du pétrole (diesel, essence, kérosène…).

En parallèle, le G7, l’Union européenne, le Japon et l’Australie ont imposé un plafond sur les prix auxquels les raffineries russes sont autorisées à vendre les carburants qu'elles produisent comme pour le brut depuis le 5 décembre.

Hub pour la contrebande de pétrole

Depuis cette cascade d’embargos, la mer d'Alboran, à la jonction de la Méditerranée et de l’océan Atlantique, reliés par le Détroit de Gibraltar, est devenue une nouvelle plaque tournante pour la contrebande de pétrole. Plus précisément au large de Ceuta, une ville espagnole autonome située sur la côte nord de l'Afrique. La zone est particulièrement bien adaptée au transbordement des petits pétroliers, qui entrent dans les ports russes de la Baltique, vers les très grands transporteurs de brut (VLCC) qui assurent le long-courrier vers l'Asie.

Ces dernières semaines, les autorités espagnoles ont intercepté plusieurs pétroliers soupçonnés de déverser du pétrole dans la Méditerranée, près de Barcelone et au large des îles Canaries.

Assurance inconnue

Le phénomène inquiète dans la mesure où l’embargo maritime sur les importations de brut russe et le plafonnement de son prix ne frappent pas seulement le transport maritime mais aussi toutes les prestations qui accompagnent le navire – les services de financement, de courtage et d'assurance...–,  pour expédier du pétrole russe si le prix du brut est supérieur au plafond de 60 $ le baril.

Pour y pallier, les exploitants de pétroliers russes s’appuient sur le nouveau fonds d'assurance soutenu par le Kremlin. Ce qui inquiète fortement l’UE et l’OTAN. Car en cas d'accident majeur en Méditerranée, les chances d'obtenir une indemnisation risquent d’être problématiques.

Selon l’organisme finlandais de recherche environnementale Center for Research on Energy and Clean Air, 45 % des pétroliers au départ des ports russes sont actuellement couverts par des assureurs dits « inconnus ».

Vigueur du marché des vieux pétroliers

Or il s’agit bien souvent de vieux pétroliers. L’embargo maritime sur le pétrole russe et ses dérivés décale l’âge légal de la retraite des vieux pétroliers qui compose une flotte dite obscure de plus en plus prospère.

Et c’est bien ce que craignent les autorités espagnoles, que cette flotte vieillissante ne déverse du pétrole au large de ses côtes sans qu'elle n'ait à rendre compte du coût des dommages.

Depuis l’entrée en vigueur des sanctions européennes, le marché de la seconde main des transporteurs de brut a retrouvé de la vigueur. Alors que les entreprises occidentales de transport et de services maritimes ont déserté le marché pour ne pas faire l'objet de sanctions, de nouvelles entreprises, non soumises aux lois internationales sur les sanctions, se sont positionnées après s’être emparées de vieux pétroliers qui auraient normalement été mis au rebut.

Ces derniers mois, des pétroliers vieillissants ont ainsi été vendus par des propriétaires grecs et norvégiens à des prix records à des acheteurs asiatiques et moyen-orientaux, notamment de Dubaï, que de nombreux observateurs pensent financés par des capitaux russes sous une forme ou une autre.

Ces sociétés profitent des primes d'affrètement élevées pour des navires destinés à acheminer du pétrole russe en Inde et en Chine. Elles en profitent d’autant plus que le brut de l’Oural se négocie avec une importante décote, ce qui laisse une marge importante pour le transport et la logistique.

Des dangers en puissance

L’actualité récente témoigne de la probabilité. Ce dimanche 26 mars, le pétrolier Kerala, battant pavillon libérien et affrété par le groupe pétrolier texan Chevron, a été impliqué dans une collision mineure avec un pétrolier sanctionné, le Bueno, au Venezuela. Le pétrolier n'avait pas navigué dans les eaux internationales depuis que le département du Trésor américain a imposé l'an dernier des sanctions à son encontre et à celle de quatre autres navires pour leur implication présumée dans le transport de cargaisons d'origine iranienne, ce qui a entraîné la perte de son pavillon (Djibouti).

Le 4 mars, les autorités espagnoles ont dû intervenir sur le Blue Sun, un pétrolier de 19 ans, qui avait subi une panne de moteur et dérivait près du détroit de Gibraltar.

Le navire avait été acheté par une société vietnamienne quelques jours auparavant et avait pour destination le port russe de Primorsk, sur la mer Baltique.

TankerTrackers.com, qui référence les mouvements illicites de pétrole par des pays sous embargos, notamment de l'Iran et du Venezuela, estime à 174 le nombre de VLCC (sur une flotte de 900 navires) qui enfreignent actuellement les sanctions.

Adeline Descamps

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