Les raisons pour lesquelles, dans la nuit du 25 au 26 mars, le porte-conteneurs Dali, qui venait d'appareiller du port de Baltimore, a percuté un pylône du pont à quatre voies Francis Scott Key, tendent à confirmer la thèse de l'accident, à savoir la perte de puissance du navire, et donc de contrôle, à la suite d’une panne du système de propulsion du navire, moteur principal et machines auxiliaires.
L'inspection de contrôle par l'État du port à San Antonio accrédite les déclarations de l'équipage et les premières images, où l'on voyait le navire en difficulté à deux reprises avec des dysfonctionnements d'éclairage.
Le Dali, qui naviguait à une vitesse de 8 nœuds, avait jeté l'ancre, conformément aux procédures d'urgence, signifiant qu'il cherchait à ralentir et avait envoyé un appel de détresse.
N'en déplaise aux médias qui bégaient autour de l'événement, des ingénieurs ponts et chaussées, qui émettent des doutes sur la solidité d'une infrastructure dont la section de l'I-695 s'est pulvérisée sous l'effet du choc, et des experts ès en tout, l’enquête n'est est qu'à ses débuts. Elle relève de l'État du pavillon, Singapour, lieu d'immatriculation du navire détenu par la société de la Cité-État Grace Ocean, et devra déterminer les niveaux de responsabilités.
Les opérations de sécurisation du périmètre et de secours continuent d'opérer pour retrouver, sans espoir de vie, les corps des six portés disparus alors que seules deux personnes emmenées par la déflagration ont été extirpées d'une eau glaciale à 8°, dont une grièvement blessée.
107 navires à dérouter
En attendant, une autre agitation, celle-là plus opérationnelle, se cristallise, compte tenu de la suspension sine die du trafic maritime et de l’impossibilité d’accéder à la quinzaine de terminaux du port aux 150 escales par mois, principalement des vraquiers (le charbon, le gypse, le minerai de fer font partie de ses trafics phares), des transporteurs de véhicules (800 000 unités l'an dernier, import et export compris) et des porte-conteneurs (trafic de 1,1 MEVP en 2023).
Les 107 navires qui devaient y faire escale dans les prochains jours devront être déroutés vers les ports voisins de la côte Est, à commencer par celui de New York/New Jersey (7,81 MEVP en 2023), à seulement deux jours de navigation au nord de Baltimore.
L’autorité portuaire de NY/NJ a fait savoir qu’elle avait des capacités disponibles. Une partie du fret conteneurisé et en vrac pourrait aussi être réacheminée vers les ports voisins de Norfolk (Virginie), Wilmington (Delaware) voire Philadelphie (Pennsylvanie).
Le détournement n'est pas un problème en soi. Les ports de la côte est-américaine ont du jeu pour les accueillir, ayant perdu l'an dernier une partie du trafic gagné sur les portes d'entrée américaines de la côte Ouest, dont la fiabilité a été mise à l'épreuve par les mouvements sociaux et la désorganisation généralisée pendant plus d'un an en raison de la pandémie. Mais la reconfiguration des trafics est susceptible de se traduire par une quinzaine de jours de retard dans les livraisons.
Une cinquantaine de navires piégés
Selon le site de suivi des navires MarineTraffic, une cinquantaine de navires étaient au port le 26 mars au moment de l’accident et 39 autres étaient attendus ce jour-là.
Le MSC Toronto a quitté le port peu avant l'incident tandis que le MSC Alina qui devait faire escale à Baltimore, a viré de bord juste à l'entrée du port et est retourné au mouillage d'Annapolis. Le MSC Kumsa était attendu, MSC étant l’un des premiers clients du port avec ZIM.
Difficulté pour trouver des espaces pour les voitures
Mais la gêne ne vient pas des porte-conteneurs. Ce sont surtout les transporteurs de véhicules qui vont poser des problèmes aux ports voisins, leur chargement nécessitant des aires de stationnement adaptées.
Le port de Baltimore est la première plateforme du continent nord-américain pour le fret roulant, le trafic de machines agricoles (1,3 Mt, 1,24 % du trafic national des moissonneuses-batteuses, tracteurs et autres engins agricoles) et de véhicules légers (847 158 unités l'an dernier).
Le Carmen, d'une capacité de 5 200 CEU (car equivalent unit), de Wallenius Wilhelmsen était en approche du terminal ro-ro Mid-Atlantic, au nord du pont Francis Scott Key, quand l’accident est survenu. Un autre navire du Norvégien est localisé au terminal Tradepoint Atlantic. « Nous travaillons avec les autorités locales compétentes et les parties prenantes pour évaluer l'impact immédiat de l'incident sur nos opérations en cours », a indiqué un porte-parole du premier armateur mondial de porte-voitures, qui a fait de Baltimore son hub pour la côte-est américaine.
Le Brooklands, appartenant à Zodiac Maritime, affrété par la compagnie japonaise K-Line y est aussi localisé. Le constructeur allemand Volkswagen a indiqué à l'AFP que ses opérations n'étaient pas affectées, puisque son usine de Baltimore reste accessible aux navires. Son compatriote BMW est dans la même situation. L'américain Ford déclare, pour sa part, avoir « sécurisé des routes alternatives ». De son côté, Mercedes-Benz exploite un terminal derrière le pont effondré, qui n'est pas non plus accessible depuis la mer.
Le minerai et le cobalt sous pression
L'accès aux terminaux d'exportation pour le minerai, ceux de Curtis Bay et de Consol Marine, est tout autant problématique. Un problème pour le charbon et le cobalt, selon un premier état des lieux dressé par S&P Global, les stocks portuaires de cobalt (utilisé dans de nombreuses applications industrielles) étaient déjà sous pression avant même l'effondrement du pont du fait d'une forte demande.
L'assurance, une longue traversée
Les assureurs ont déjà fait savoir qu’ils s'attendent à des pertes de plusieurs milliards de dollars.
« Il est trop tôt pour donner une estimation, même si je ne m'attends pas, pour l'heure, à ce que cela dépasse ce que nous anticipons en cas de désastre. Mais cela devrait représenter une perte substantielle, sans doute la plus importante [concernant le transport maritime] mais pas en dehors de nos paramètres », a estimé Bruce Carnegie-Brown.
Le président de Lloyd's prend en compte « l'arrêt de nombreuses entreprises, de certaines chaînes d'approvisionnement à cause de navires bloqués à la fois dans le port et qui ne pourront le rejoindre, et les effets de second ordre ».
Parmi les « effets de second ordre », il entend l’assurance corps et machines (le navire est affrété à Maersk, la coque semble intacte mais suffisamment endommagée pour nécessiter de lourdes réparations), les marchandises, celles à bord du navire (le navire de 9 962 EVP était chargé de 4 679 EVP) mais aussi celles qui vont être déroutées. Et plus globalement, l'ensemble des impacts sur les opérations portuaires alors qu’entre 100 et 200 M$ de marchandises y transitent quotidiennement, selon le secrétaire américain aux Transports, Pete Buttigieg.
À ce stade, la déclaration du navire en perte totale (avarie commune) semble écartée. Sinon, elle impliquerait la répartition des coûts entre les propriétaires du navire et du fret (les chargeurs).
Les P&I sur le front
L’assureur, le P&I Britannia, a confirmé dans un communiqué que le porte-conteneurs Dali était inscrit au club des P&I, ajoutant qu'il travaillait en étroite collaboration avec le gestionnaire du navire et les autorités compétentes « pour établir les faits et faire en sorte que cette situation soit réglée rapidement et de manière professionnelle ».
D’après un analyste de Moody's Ratings, quelque 80 réassureurs différents couvrent les assureurs du navire. « Le montant total de la demande devrait être élevé, mais il est peu probable qu'il soit important pour les réassureurs individuels puisqu'il sera réparti sur un grand nombre d'entre eux », a-t-il déclaré.
Pour rappel, les risques insuffisamment ou non garantis par les polices d’assurance maritimes classiques (particulièrement les dommages causés au tiers et à l’environnement, où la responsabilité civile de l’armateur entre en jeu), sont couverts par ces mutuelles d’assurance maritime, qui se réassurent mutuellement en partageant les sinistres supérieurs à 10 M$.
Ainsi, le Britannia ne sera responsable qu'à hauteur des 10 premiers millions de dollars. La tranche comprise entre 10 et 100 M€ sera partagée entre les 12 membres de l'International Group of P&I Clubs (IGP&I). Au-delà de 100 M$ et jusqu’à 2,1 Md$, un autre pool de réassureurs (« Group general excess of loss ») prend le relais.
Les P&I auront donc la charge de l'indemnisation des familles des personnes décédées ou blessées dans l'accident. Les effets dominos sur la chaîne d'approvisionnement ne relèvent en revanche pas de leur périmètre.
Premières estimations
Les premières estimations du coût de la reconstruction du pont, qui sera probablement pris en charge par le gouvernement fédéral conformément à un engagement rapide d'un président en campagne électorale (sans exclure une demande de remboursement aux assureurs), s'élèvent à 600 M$, selon la société d'analyse IMPLAN.
Cette société évalue par ailleurs la fermeture du port pendant un mois de l'ordre de 28 M$ pour l'État du Maryland. Chubb, l'un des géants du secteur de l'assurance des biens, est identifié comme l'assureur principal du Francis Scott Key, qui pourra engager à son tour une poursuite contre un tiers.
Le Français AXA XL, le souscripteur principal de la police de réassurance P&I, a précisé qu’il n'enregistrera pas de pertes majeures à la suite de l'effondrement du pont de Baltimore.
Adeline Descamps
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