« Le commerce de détail dans l'Union européenne a stagné. Les données de mars n'ont montré aucune augmentation par rapport à février et une croissance de seulement 1,4 % par rapport à l'année dernière. En fait, au cours des 11 derniers mois, le commerce de détail s'est situé dans une fourchette de ± 1,3 % », indique Niels Rasmussen, analyste des transports maritimes au BIMCO, une des grandes associations maritimes internationales représentant les armateurs.
En fait, selon l’économiste, l'indice de confiance des consommateurs européens pour le mois d'avril est l’un des plus bas jamais enregistré. « Il est peu probable que le commerce de détail tombe aussi bas qu'en avril 2020, qui avait atteint son plus bas niveau en quinze ans, car les confinements jusqu'à présent en Europe semblent appartenir au passé », nuance toutefois Niels Rasmussen. Pour autant, il y a des signes clairs de ralentissement. « La clé pour le commerce de conteneurs entre l'Asie et l'Europe sera de savoir si les consommateurs vont simplement acheter moins ou remplacer les articles plus chers par des articles moins chers, auquel cas les volumes de conteneurs seraient moins affectés. »
Des importations américaines toujours au plus haut
Outre-Atlantique, où le boom de la demande est à l’origine de la fortune du secteur de conteneurs de ces derniers mois, la consommation reste perchée bien haut. Les importations de biens de consommation ont établi un nouveau record en mars, indique la National Retail Federation, puissante fédération des détaillants américains, et ce malgré les perturbations causées par les « lockdown » à Shanghai. « Les détaillants sont incités à stocker avant que l'inflation ne puisse faire augmenter les coûts », a commenté Jonathan Gold, vice-président de la NRF en charge des questions douanières et de l’approvisionnement. « Qu'il s'agisse des frais de transport ou des prix de gros des marchandises, ce qui est économisé permet de maintenir des prix bas pour leurs clients en période d'inflation ».
« Les dépenses de consommation augmentent plus rapidement que la croissance des revenus, peut-être en anticipation de la hausse prévue des prix », a ajouté Ben Hackett, partenaire de la NRF dans la réalisation du baromètre mensuel qui couvre les ports américains d’importation. « Les importateurs font à peu près la même chose en continuant à reconstituer leurs stocks. Ce faisant, ils se protègent contre la hausse potentielle des frais de transport, les retards supplémentaires dans la chaîne d'approvisionnement et les complications des négociations syndicales à venir dans les ports de la côte ouest des États-Unis. »
Toutes les parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement mondiale craignent en effet que les négociations entre la direction du port de Los Angeles et le puissant syndicat des dockers, l'International Longshore and Warehouse Union (ILWU), qui doivent démarrer ce mois-ci, ne débouchent sur des grèves. Depuis les années 1990, il n'y a pas eu une seule négociation qui n'ait entraîné des perturbations dans les terminaux de la baie de San Pedro. D’autant que les salaires (augmentation), l’amélioration des conditions de travail et l’automatisation des terminaux sont à l’ordre du jour.
13,5 MEVP sur le premier semestre
Les ports américains, suivis par l’indicateur de la NRF et de Hackett Associates, ont ainsi traité 2,34 MEVP en mars 2022, en hausse de 10,8 % par rapport à février et de 3,2 % par rapport à l'année précédente. Ils ont également dépassé le précédent record de 2,33 MEVP établi en mai 2021 pour le nombre de conteneurs importés en un seul mois depuis 2002, date de mise en oeuvre de l’indicateur.
La Fédération prévoit que les six premiers mois de 2022 totaliseront 13,5 MEVP, soit une hausse de 5,1 % par rapport à l'année précédente. Elle s'attend à une augmentation de 54,7 % en avril par rapport à 2021, soit 2,27 MEVP. Manifestement, elle ne prévoit pas de décélération au-delà de juin. « Le mois de juillet devrait également afficher de fortes augmentations pour atteindre 2,31 MEVP, soit une hausse de 5,3 % par rapport à 2021 avec toutefois une incertitude si un nouveau contrat social avec les dockers n'est pas conclu avant l'expiration de l'accord actuel le 1er juillet ». Les niveaux d'importation d'août et de septembre ne devraient en revanche être que légèrement supérieurs aux niveaux déjà élevés de l'année dernière.
Un repli de près de 6 % des volumes à Los Angeles
Le port de Los Angeles, qui vient de publier ses trafics d’avril, indique toutefois un coup de frein de 5,8 % avec quelque 890 000 EVP (données non consolidées). Les importations ont totalisé 459 918 EVP, en repli de 6,2 % sur l'année. Les conteneurs vides, grande problématique américaine en cause dans les congestions actuelles, sont restés bien au-dessus des moyennes prépandémiques, à 334 852 EVP, bien qu’en léger retrait de 2 %. La direction portuaire prévoit que les volumes de mai et juin se situeront dans la fourchette moyenne à haute de 800 000 EVP.
« Bien que les conditions puissent changer. Je ne prévois pas d'effondrement dans le commerce transpacifique. Il est plus probable que nous assistions à une accalmie des volumes avec un rebond assez rapide lorsque les restrictions seront levées », a indiqué le directeur du port de Los Angeles, Gene Seroka, qui « n’a vu aucun changement significatif depuis le début des confinements en Chine. »
Alors que les restrictions d’activité et de mobilité ont été étendues de Shanghai à d'autres villes chinoises, y compris certaines parties de Pékin, la congestion portuaire a pourtant bondi dans les ports du nord de la Chine.
Repli (passager ?) des taux de fret ?
Selon S&P Global Commodities at Sea, le niveau total de congestion dans le port de Shanghai a augmenté d'environ 30 à 40 % depuis le début de mars 2022, mais il reste inférieur au pic de l'année dernière sur le troisième trimestre. Le secteur manufacturier de la Chine continentale ayant également été affecté par les blocages et la pénurie de main-d'œuvre, la croissance des importations et des exportations chinoises a été réduite par rapport aux niveaux de l'année dernière. Selon les données AIS de S&P Global Market intelligence, la capacité des navires arrivant dans les ports chinois pour charger ou décharger des marchandises a diminué de 11 %, passant de 1,28 à 1,15 milliard de tpl sur un an, fin mars.
Étant donné que la Chine continentale exporte moins de marchandises, les taux de fret pour les conteneurs et le vrac sec ont diminué. Alors que cette baisse a été assez progressive en avril sur les routes Asie-Europe et Asie-Méditerranée, les mouvements sur les indices Asie-côte Ouest et côte Est des États-Unis ont été plus violents. L'indice Freightos Baltic Index (conteneurs de 40 pieds, FEU) entre la Chine/Asie de l'Est vers la côte ouest-américaine a par exemple chuté de 376 $/FEU du 1er au 28 avril, puis de 1 547 $ en une seule journée du 28 au 29 avril.
Adeline Descamps