Il est le géant du câblage avec ses 148 m de long et sa capacité d'emport de 8 500 t, de quoi immerger 15 000 km de câbles. Il a été baptisé le 13 juin à La Rochelle. L'Île d'Yeu est dans la ligne des six autres câbliers d'Alcatel Submarine Networks (ASN), armés par Louis Dreyfus Armateurs : ils portent tous des noms d'îles du littoral métropolitain. Le partenariat entre ASN et LDA, qui dure depuis une vingtaine d'années, en fait les leaders mondiaux de cette activité.
Derrière ASN se trouve le groupe Nokia, lui-même parmi les tout premiers acteurs planétaires des télécommunications au côté de l'américain SubCom et du japonais NEC. L'Île d'Yeu a déjà connu plusieurs vies, trois autres noms (Knight, Polar Queen et Seven Mar) et plusieurs pavillons.
Construit en Corée, il a d'abord été câblier, puis faute de marchés, poseur de pipes pour l'industrie pétrolière avant qu'elle connaisse à son tour la désaffection des marchés. Le navire devait être démantelé avant qu'ASN décide en 2021 de le reconvertir à nouveau au câblage sous-marin à l'issue d'un retrofit dans les chantiers Remontowa de Gdansk en Pologne.
Une demande qui explose
Avec ce sixième navire, le plus grand de sa flottille, ASN assoit encore sa position. Depuis quelques années, la demande a explosé, portée par l'énorme demande des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) en transmissions de données. Les géants du web ont d'abord travaillé avec les opérateurs historiques. Aujourd'hui, ils travaillent en partenariat voire même se chargent eux-mêmes de leurs câblages sous-marins.
Espionnage à grande échelle ?
C'est le cas de Facebook, par exemple, avec le colossal programme 2Africa. Associée aux grands opérateurs, la société de Mark Zuckerberg en est partie prenante. À son échéance dans deux ans, 2Africa aura posé le plus long câble de la planète en faisant un tour complet de l'Afrique et qui, par la transmission de données qu'il facilitera, devrait contribuer à la croissance du continent.
Le Chinois HMN Technologies, qui appartenait jusqu’à peu à Huawei, vient faire de l'ombre aux trois leaders existants. La crainte des opérateurs historiques est de voir se créer un réseau indépendant sous les mers voire et/ou que la Chine en profite pour capter des données qu'elle utiliserait ensuite à son profit pour conforter encore sa position dans la bataille économique qu'elle mène contre les pays occidentaux.
Pressions américaines
LeSeaMeWE-6 (South East Asia-Middle East-Western Europe) lancé en 2020 et reliant Singapour à la France, soit un câble sous-marin de 20 000 km.
Pour le contrat, HMN Tech semblait avoir la faveur de ses promoteurs, d'autant que, grâce à des subventions de l'État chinois, son offre était de 500 M$ pour le mener à bien, 30 % moins chère que celle de ses concurrents. Jusqu'à ce que les États-Unis entrent dans la danse pour inciter les partenaires du projet à opter plutôt pour SubCom.
Véritable raison de ces pressions : la crainte d'un espionnage à grande échelle par l'État chinois, d'autant que les câbles transportent 95 % du trafic internet.
Myriam Guillemaud Silenko