La quantité de gaz naturel acheminée vers les usines d'exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) américaines pourrait avoir enregistré un record journalier le 4 mars (14 milliards de pieds cubes), résultant du retour dans le jeu des installations du grand hub d’exportation américain qu’est Freeport LNG sur l'île de Quintana au Texas. Les activités ont redémarré après huit mois de suspension occasionnée par un incendie en juin et montent en puissance au fur et à mesure du redémarrage de l’ensemble de ses trains de liquéfaction, au nombre de trois.
La société, fondée en 2002 pour développer et exploiter le terminal, a reçu les autorisations de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) le mois dernier pour rédémarrer deux des trois trains de liquéfaction. Les régulateurs américains viennent de lui donner le feu vert pour la troisième unité alors que l’échéance était prévue en avril. Lorsqu'ils fonctionnent à pleine puissance, les trois trains de Freeport LNG peuvent transformer environ 2,1 milliards de pieds cubes de gaz (bcfd) en GNL pour l'exportation.
Vers la première marche mondiale
Les États-Unis deviendront le premier exportateur mondial de GNL dès cette année, soutient Wood Mackenzie. Les prix records et le besoin de sécurité énergétique, qui ont dopé les accords à long terme – 65 Mt par an signés en 2022 versus 18,5 Mt/an –, sont à l'origine de la fortune de la liquéfaction du gaz outre-Atlantique. Les conditions du marché sont par ailleurs susceptibles de drainer de nouveaux investissements dans de nouvelles capacités de production que l’analyste estime à plus de 100 Md$ au cours des cinq prochaines années.
Avec 76,4 Mt expédiés l’an dernier, le continent nord-américain s’est placé au troisième rang mondial, derrière l'Australie et le Qatar. Avec la reprise des opérations de Freeport en mars, les États-Unis sont bien placés pour se hisser au premier rang.
C’est le sens de l’histoire au regard des décisions finales d'investissement (FID) validées ces dernières années, considère l’analyste. Il fait notamment référence à Golden Pass LNG, dont les capacités seraient réservées à 70 % par Qatar Energy, Plaquemines LNG Phase 1, Corpus Christi Phase 3, Louisiana Fast LNG de New Fortress Energy. Ensemble, ces projets apporteront près de 45 millions de tonnes par an (Mt/an) de nouvelles capacités à partir de l'année prochaine. Selon Wood Mackenzie, « entre 70 et 190 Mt par an pourraient venir gonfler les capacités américaines de GNL avant la fin de la décennie. Cela ferait plus que doubler les exportations actuelles ».
Un marché tiré vers le haut
L’ensemble du marché est tiré vers le haut. Le nombre de méthaniers commandés a augmenté de 79 % l’an dernier par rapport à l'année précédente, passant de 96 à 172 entre 2021 et 2022, pour un total de 31 Md$, indique VesselsValue, soit plus de quatre fois la valeur des commandes passées en 2020. « Ce qui indique un raffermissement significatif des prix des nouvelles constructions ». Estimé actuellement entre 250 à 260 M$, le coût de construction d’un grand méthanier de 174 000 m3 aura augmenté de 26 % en un an.
Au cours de l'année 2022, les sanctions contre la Russie, et la crise énergétique qui s’en est suivie du fait de la suspension des livraisons de gaz russe par gazoduc, ont contraint de nombreux pays d'Europe à s’appuyer sur les importations de GNL par voie maritime. La demande s’est envolée en conséquence pour des transporteurs de gaz, dont les tarifs ont atteint le niveau record de 466 524 $/jour en novembre, selon l'évaluation du Baltic Exchange BLNG1g.
Selon VesselsValue, le Japon a pris la tête des investissements dans la flotte de méthaniers en 2022, détrônant la Grèce de la première place. Les armateurs japonais ont commandé 44 navires, pour une valeur de 6,5 Md$, soit une augmentation d'environ 309 % par rapport à l'année précédente en termes de valeur. L’an dernier, MOL, NYK Line, mais aussi Global Meridian et Knutsen OAS ont été particulièrement actifs sur ce marché.
La demande faiblit, les prix plafonnent
Pour autant, la demande faiblit. Les prix spot du GNL en Asie viennent d’atteindre leur plus bas niveau depuis 19 mois en raison de la faiblesse de la demande. Ils ont chuté de plus de 48 % depuis le début de l'année et d'environ 79 % par rapport au pic de 70,50 $/Mbtu atteint en août 2022.
Selon Energy Aspects, la situation s’explique par l'absence des acheteurs nord-asiatiques sur le marché au comptant, le niveau élevé des stocks de gaz en Europe et le redémarrage de Freeport LNG. Alors que l'Europe approche rapidement de la fin de la saison hivernale, il est de plus en plus probable que la région dispose en effet d'un volume record de gaz stocké, ce qui entraînera une pression à la baisse sur les prix à terme.
Les stocks dans l'Union européenne et au Royaume-Uni s'élevaient à 685 térawattheures (TWh) le 1er mars, soit un niveau de stockage de 61 %, selon les données de Gas Infrastructure Europe. Il est même supérieur de 272 TWh à la moyenne décennale précédente. Reflétant le gonflement des stocks, les prix à terme du premier mois de l’année ont chuté à seulement 45 € par mégawattheure, contre 189 € au début de la saison de chauffage, le 1er octobre, et 339 € à la fin du mois d'août 2022.
Les prix à terme en baisse devrait inciter l'industrie et les producteurs d'électricité à consommer davantage, ce qui pourrait rediriger les méthaniers vers d'autres marchés, indiquent les observateurs de ce marché complexe. Pour l’heure, les flux de GNL continuent de se diriger vers le Vieux Continent, « l'économie favorisant toujours les livraisons dans l'Atlantique par rapport à l'Asie », résume Tobias Davis, responsable du GNL en Asie chez le courtier Tullett Prebon.
Les taux de fret spot pour le GNL sont restés stables la semaine dernière, fait observer Spark Commodities, l'Atlantique se situant le 4 mars à 59 250 $/j et le Pacifique à 81 000 $/j.
Adeline Descamps