Dans deux volumineuses études publiées en avril 2021 sur la transition énergétique du transport maritime – Potential of Zero-Carbon Bunker Fuels in Developing Countries (vol.1), Role of LNG in the Transition Toward Low-and Zero-Carbon Shipping (vol.2) assorties de recommandations de politiques publiques Summary for Policymakers and Industry – la Banque mondiale y était allée fort en enjoignant les pays de reconsidérer les politiques de soutien au GNL en tant que carburant marin et identifiait l'ammoniac et l'hydrogène comme les seules alternatives neutres en carbone pour le secteur.
Ces rapports, dont la publication est intervenue avant la spectaculaire hausse du prix du gaz des derniers mois, avaient aussi pour objectif de dissuader les armateurs de s’engager dans une impasse, sous peine de devoir faire dans 20 ou 30 ans une deuxième transition énergétique vers un carburant réellement décarboné.
La réplique du lobby gazier français aura donc mis plus d’un an à venir. L’argumentation de l’Association française du gaz (AFG) et de France gaz maritime (FGM) s’appuie sur un document d’une vingtaine de pages au sous-titre explicite : « analyse critique du rapport de la Banque mondiale ».
« Le GNL est une technologie éprouvée mise en œuvre sur de nombreux navires [plus de 600 navires dans le monde avec cette motorisation – en service et en commande] qui permet, dès maintenant, un premier pas sur la route de la transition énergétique », explique France gaz maritime, qui met aussi en avant les perspectives, à plus long terme, de passage à l’utilisation de GNL de synthèse ou issu de la méthanisation de biomasse.
Deux transitions énergétiques à prévoir
L’association a des arguments en faveur du gaz, mais aussi en défaveur des carburants mis en avant par la Banque mondiale. Ainsi, pour l’ammoniac, sa forte toxicité pour l’homme ou l’environnement marin ; ou encore sa faible densité énergétique qui supposerait d’énormes soutes à carburant. L’hydrogène, quant à lui, n’est disponible qu’à hauteur de 80 Mt au niveau mondial, production préemptée par le raffinage et la production d’engrais. L’hydrogène renouvelable n’est pas encore produit à une échelle industrielle suffisante pour les besoins du transport maritime.
La densité énergétique est un des principaux points qui prêtent le flanc à la critique. Le passage du fioul marin classique au GNL suppose déjà, d’après les chiffres de FGM, un réservoir 1,6 à 2 fois plus grand, imposant de multiplier par 4 la capacité de soute avec le méthanol et par 6 à 10 pour l’hydrogène avec sa densité 3,5 fois inférieure au GNL. « Concrètement, les trajets Asie Europe des plus gros porte-conteneurs nécessiteraient des cuves de 72 000 m³ d’hydrogène liquide, équivalentes aux capacités des méthaniers Medmax opérant en Méditerranée (environ 75 000 m³ et 220 m de long) », détaille France gaz maritime.
La partie la plus claire du plaidoyer en faveur du GNL vient cependant de l’estimation des émissions de carbone sur le cycle complet : ammoniac, méthanol ou hydrogène vert n’étant pas encore disponibles, le GNL l’emporte à ce jour. Ce sera encore le cas, selon FGM, lorsque la transition sera faite vers des carburants renouvelables. « Le passage sans transition à l’ammoniac ou au méthanol vert implique de facto le maintien de l’usage des fuels lourds en attendant le développement de cette alternative », rappelle aussi l’association. Bref, deux transitions énergétiques sont bel et bien à prévoir dans les décennies à venir !
Étienne Berrier