Cela s'agite dans le sillage de ce qui est actuellement la plus grande cible d’acquisition dans la logistique, le numéro cinq mondial DB Schenker, lucrative filiale dont l’opérateur historique du rail allemand Deutsche Bahn cherche à se désengager pour renflouer ses caisses plombées par des milliards de dettes. Le rival allemand DHL a opposé une fin de non-recevoir. Le Suisse Kuehne+Nagel se concentre sur la croissance organique. Le Danois Maersk multiplie au contraire les signes d’intérêt, le seul a priori parmi les grands transporteurs maritimes.
CMA CGM, qui vient d'absorber Bolloré Logistics, doit assimiler ce gros patrimoine. MSC a manifesté pour sa part un sentiment pour Clasquin sans que l'on sache si le transporteur genevois ira plus loin après audit.
En attendant, des opérations de plus petite envergure se concluent en faisant beaucoup moins de bruit. Kerry Logistics, société basée à Hong Kong, vient de prendre une participation majoritaire dans Business By Air, un transitaire français spécialisé dans le fret aérien avec un portefeuille clients dans les secteurs de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'industrie pharmaceutique et cinq antennes en France, dans les aéroports de Paris CDG, Orly, les ports du Havre, de Nice et de Pointe à Pitre.
Quant au distributeur allemand discount Lidl, après s’être lancé dans le transport maritime par conteneurs via Tailwind Shipping, il se lance aussi dans la logistique terrestre.
DHL pas intéressé
Les portes claquent, d’autres s’entrouvrent alors que le premier délai accordé aux parties intéressées par le grand commissionnaire allemand a expiré.
Le numéro trois du secteur, DHL, n’ira pas plus loin dans son intérêt supposé pour DB Schenker. Il aurait été vivement apprécié par les autorités fédérales allemandes à qui revient le feu vert réglementaire. Tobias Meyer, son PDG, l’a confirmé lors d’une interview accordée à la chaîne américaine CNBC. « Nous avons de meilleurs moyens de déployer du capital pour nos actionnaires », a-t-il justifié. En 2023, DHL a pourtant dépensé 381 M€ pour des acquisitions, notamment pour MNG Kargo (Turquie) et AEI Emirates (Danza).
« Cette décision est logique. DHL aurait eu du mal à créer des synergies avec DB Schenker, Par ailleurs, en ce qui concerne l'allocation du capital, le groupe augmente son programme de rachat d'un milliard d'euros supplémentaire. Le PDG Tobias Meyer a réussi avec brio son premier grand test en matière d'allocation de capital », a indiqué dans un rapport Alex Irving, analyste des transports au sein de la banque d’affaires allemande Bernstein.
Kuehne+Nagel non plus
Le numéro deux du marché, le commissionnaire suisse Kuehne+Nagel, a également décliné en février alors que son actionnaire principal, le trublion Klaus-Michael Kühne, avait fait beaucoup de bruit sur ce sujet, pressant Hapag-Lloyd, dont il est aussi actionnaire (30 %), à se positionner, associé à des sociétés de capital-investissement.
Il y a quelques années, il affirmait pourtant que la logistique n'était pas un terrain naturel pour des transporteurs maritimes. Le CEO du transporteur allemand, Rolf Habben Jansen, a toujours opposé, lui, une stratégie de pure-player.
Si tant est qu’il y ait eu un regard de côté pour la belle fortunée, ses résultats de 2023 ont de quoi refroidir la moindre ardeur. Le groupe suisse a vu son bénéfice se volatiliser de moitié en 2023, à près de 1,5 milliard de francs suisses (1,6 Md€), après deux années exceptionnelles, faisant chuter son action en Bourse de près de 12 %.
Son chiffre d'affaires s'est inscrit en outre en-deçà des prévisions, se contractant de 40 % par rapport à l'année précédente (54 % dans le fret maritime et de 41 % dans le transport aérien) à 5,1 Md€. Au dernier trimestre, le groupe a même dû enregistrer dans ses comptes 58 M€ de frais de licenciements.
Lors de la conférence téléphonique avec les investisseurs, Stefan Paul, PDG de Kuehne+Nagel, et Markus Blanka-Graff, le directeur financier, ont répété à l’envi avoir pour seul horizon la croissance organique. « Nous procédons à des acquisitions de manière très sélective lorsque nous avons besoin de compétences spécifiques, de savoir-faire ou pour prendre pied sur un marché en particulier », a indiqué le DAF.
Chère acquisition
Alors que DB Schenker (75 424 personnes) représente près de la moitié des revenus de sa maison mère, le commissionnaire d'Essen est valorisé dans une fourchette large comprise entre 12 et 20 Md€ bien que les résultats ont sans aucun doute bien dégringolé en 2023.
En 2022, données disponibles au moment de la mise en vente fin 2023, son chiffre d’affaires s’établissait à près de 27,6 Md€ et son résultat opérationnel avant amortissements et dépréciations à 2,5 Md€.
Le maintien de sa valorisation sera donc fonction de son marché, à savoir si la détérioration de ses ratios sera finalement moins prononcée que celle de ses concurrents directs, DHL, DSV ou Kuehne+Nagel.
Des fonds saoudiens
Certaines banques d’investissement font état d’une vingtaine de manifestations d’intérêts, parmi lesquels des fonds d'investissement publics du Moyen-Orient (Arabie saoudite), mais rien d'officiel. Cinq seront retenues pour entrer en négociations exclusives.
La seule candidature qui ne fasse pas de doute est celle du transitaire danois DSV Panalpina, ne cherchant pas à la dissimuler (il a engagé deux banques d’investissement). Le numéro un mondial a prouvé son appétit ces dernières années, y compris en lançant des OPA non amicales sur ses concurrents, pour se hisser très vite au plus haut niveau du podium.
Gros morceau à avaler
Après avoir promis-juré que la mariée, même dans sa fourchette basse, serait trop belle pour un groupe de la taille de Maersk et avoir en effet procédé à des opérations de petite et moyenne taille ces dernières années, Vincent Clerc, son directeur général, avait laissé échapper devant les investisseurs, à l’issue de la présentation des résultats financiers médiocres de 2023, qu’il n’excluait pas la probabilité d’y souscrire.
Il vient de mandater une équipe de conseillers en vue d'une éventuelle offre, a révélé le quotidien économique danois Børsen, toujours très bien informé.
Les Danois sont donc donnés gagnants pour emporter le très gros morceau, selon la plupart des analystes qui ont pour eux l'atout de la proximité nord-européenne. Mais peut-être pas le portefeuille des Saoudiens.
Adeline Descamps
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