Troisième et dernier transporteur européen à présenter ses résultats financiers pour le premier trimestre de l’année (MSC s'abstenant), CMA CGM ne fera pas mieux que ses concurrents directs, Maersk et Hapag-Lloyd, qui ont communiqué leur sous-performance il y a quelques semaines déjà.
Dans cette conjoncture trouble, les armateurs de porte-conteneurs sont à l’étouffée, coincés entre des taux spot très bas, en dessous du seuil de rentabilité sur les trades transpacifiques et Asie-Europe, et des taux contractuels négociés l’an dernier à des taux élevés mais qui ne vont plus servir de bouclier très longtemps, les contrats arrivant à terme.
Le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI, moyenne des taux spot depuis Shanghai vers une vingtaine de destinations) et le China Containerized Freight Index (qui suit les taux moyens spot et contractuels pour les exportations depuis la Chine, CCFI) ont chuté respectivement de 81 et 72 % depuis janvier 2022.
Outre les taux de fret, les compagnies ont une deuxième problématique à gérer : les tensions sur la demande s’accompagnent d’une pression sur l’offre alors qu'une capacité de 6 à 7 MEVP va déferler sur le marché partir de cette année et jusqu'en 2024-25. Au cours des quatre dernières années, la taille de la flotte de conteneurs aura augmenté de 16,9 % (26,2 MEVP fin avril), soit 3,8 MEVP de plus qu'en avril 2019.
Des indicateurs en décrochage sur tous les plans
« Le premier trimestre de l’année 2023 s’est inscrit dans la continuité de la fin d'année 2022 avec un environnement de marché dégradé pour le secteur du transport et de la logistique. Le ralentissement de la demande de transport de biens s’est poursuivi et s’est traduit par une normalisation accélérée des taux de fret spot », résume le communique de CMA CGM, ramassé en trois pages, plus économes sur les actes de ce début d’année.
Le chiffre d’affaires du groupe s’est élevé à 12,7 Md$ contre 18,22 Md$ à la même période. À 3,4 Md$, l’Ebitda (résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement) subit un décrochage de 61,3 %. La marge s’établit en retrait de 21,7 points avec ses 27 %. Le résultat net (2,01 Md$) a perdu plus de 5 Md$.
Le maritime, pilier du trépied
Si le groupe a depuis 2019 bien développé les activités connexes dans le cadre de sa stratégie door-to-door, l’activité maritime continue d’offrir au groupe l’essentiel de ses ressources. Les revenus se sont élevés à 8,9 Md$, en baisse de 40,3 % par rapport à la même période en 2022 (près de 15 Md$).
La déconfiture du bénéfice d’exploitation avant les éléments financiers (- 64,3 %) est à l’avenant de celle du groupe pour ce ratio et atteint néanmoins les 3 Md$. La marge est en baisse de 23,1 points mais encore dans la sphère des 30 % (34,4 %).
CMA CGM ne communique pas son Ebit, proche du résultat d'exploitation en comptabilité française, plus parlant pour analyser la performance opérationnelle. Entre les premier trimestre 2022 et 2023, la marge d'exploitation moyenne des dix premiers transporteurs s’est enfoncée de 43,2 points pour finir à 13,1 %.
Des volumes contenus à 5 MEVP
Le numéro trois mondial de la ligne régulière est parvenu à plus ou moins contenir l’érosion de ses volumes à 5 MEVP, en baisse de 5,3 % par rapport au premier trimestre 2022.
« Cette baisse s’explique par plusieurs facteurs, avance le communiqué. La consommation de biens des ménages en Europe et en Amérique du Nord a nettement diminué dans un contexte d’inflation des prix et de rebond des services. Les ajustements de stocks se sont poursuivis, pesant sur les imports, notamment en provenance d’Asie et dans le domaine de la vente au détail. Le dynamisme relatif de zones comme l’Amérique Latine ou l’Afrique ainsi que la fin des congestions n’ont pas permis de compenser les baisses sur les principales liaisons Est-Ouest ».
Comparé à Maersk et à Hapag-Lloyd ?
À données comparables, CMA CGM présente des indicateurs plus dégradés que ses deux concurrents européens directs dans le Top 5 mondial des compagnies de ligne.
Maersk, le numéro deux mondial et concurrent direct de CMA CGM, a déclaré un Ebitda de 3,97 Md$ (- 56 %), un chiffre d’affaires de 14,2 Md$ (- 26,4 %) et un résultat net de 2,32 Md$ (- 65,9 %). Quatre points séparent le chiffre d’affaires du Danois de celui du Français tandis que l’écart entre les Ebitda est de 5,3 points et de 6,14 points pour les résultats nets.
L’écart est encore plus grand avec Hapag-Lloyd, numéro cinq mondial de la ligne régulière, qui a affiché le meilleur profil financier de la classe mondiale durant ce premier trimestre.
Le transporteur allemand a publié un Ebitda en chute de 53,2 %, à 2,5 Md€, un résultat net (2,01 Md$) en recul de 54,5 % et des revenus (5,61 Md€) en retrait de 29,61 %, essentiellement en raison d’un taux de fret moyen en chute de 27,9 %. C’est dire qu’il y a huit points entre l’Ebitda du Français et de l’Allemand et plus de 17 points d’écart entre les résultats nets.
Un revenu moyen par EVP transporté de 1 766 $
Les bénéfices et les marges d’exploitation dépendaient plus que jamais en ce premier trimestre de l'ampleur de la chute des volumes et des niveaux des taux de fret, la gageure financière consistant à limiter l’érosion.
En termes de volumes transportés, les trois armateurs baignent dans les mêmes eaux. Mais le revenu moyen par EVP de CMA CGM (1 766 $, en baisse de 37 % par rapport à la même période en 2022) est en deçà de celui de Hapag-Lloyd (1 999 $/EVP) et loin de Maersk qui a déclaré un tarif moyen de 2 871 $/EVP.
Logistique, terminaux et avions
En dehors du maritime, les activités du groupe français progressent, tirés par l’entrée dans son périmètre des activités récemment acquises, Ingram CLS, Gefco et Colis Privé.
Le chiffre d’affaires de l’activité logistique s’est élevé à 3,9 Md$ au premier trimestres (+ 14,1 % p/r à 2022). À 343 M$, l’Ebitda a bondi de 36,9 %.
Le bénéfice d'exploitation des autres métiers – catégorie dans laquelle CMA CGM range ses terminaux portuaires, sa flotte aérienne CMA CGM Air Cargo, et son pôle média sur le point de mettre la main sur La Tribune –, ont dévissé de 47 %, tirés vers le bas par la manutention portuaire.
Alors que début avril, CMA CGM et Air France-KLM ont donné le coup d'envoi de leur alliance de 10 ans, la filiale aérienne de la compagnie maritime (quatre A330-200 et deux B777 ; deux 777 et quatre A350 en commande) a récemment redéployé ses avions vers l'Asie et le Moyen-Orient, se retirant des États-Unis.
Ce n’est pas la première fois que la compagnie suspend ses vols outre-Atlantique. Elle avait lévé ses opérations vers Chicago et Atlanta à la fin de l'année dernière, préfèrant affréter deux A330 à Qatar Airways et DHL Express, avant de reprendre les vols vers Chicago et Miami en début d’année.
CMA CGM Air Cargo, qui assure des liaisons régulières avec Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, et Guangzhou, en Chine, a annoncé ces derniers jours une nouvelle desserte quatre fois par semaine à destination de Mumbai au départ de Paris-CDG.
Quel ressenti pour 2023
En termes de perspectives, CMA CGM ne fait pas de grandes embardées et se gardent de partager ses impressions macro-économiques pour 2023. « Dans le contexte actuel d’environnement dégradé pour le secteur, le premier trimestre devrait être le meilleur de l'année », balaie le groupe, qui se montre néanmoins confiant dans sa capacité à appréhender le cycle inversé « grâce à sa stratégie combinant transport et logistique, et à sa solidité financière ».
La trésorerie nette de la dette était de 6,2 Md$ au 31 mars, en augmentation de 1,5 milliard par rapport au 31 décembre 2022.
Garder raison
Envers et contre une chute bien réelle de 70 à 80 % des taux de fret et une aggravation de l'équilibre entre l'offre et la demande, les opérateurs de lignes régulières ont bel et bien réussi jusqu’à présent à maintenir les taux à un niveau supérieur à celui d'avant la pandémie. Ils sont encore plus élevés de 32 % qu'en 2019, selon les dernières données du Bimco.
D'après Xeneta, qui s'appuie sur des données tarifaires en temps réel fournies par les principaux chargeurs, le trade Asie est le seul où les taux au comptant sont actuellement inférieurs aux niveaux de 2019. En revanche, les exportations vers la côte Est de l'Amérique du Sud sont actuellement 96 % plus chères qu'en 2019, et de 47 % vers le Moyen-Orient.
En revanche, les marges des transporteurs, qui ont encore été préservées au premier trimestre 2023 en raison des taux contractuels prénégociés, ne le seront plus dans la seconde partie de l'année. Xeneta estime que les accords signés au cours des trois derniers mois ont été en moyenne en deçà de 45 % par rapport aux prix les plus élevés fixés l’an dernier. Les baisses vont de 26 % pour le trafic à destination du Moyen-Orient à 59 % pour le court-courrier vers la Méditerranée.
Quoi qu’il en soit, comparé aux précédents difficiles, les transporteurs ont devant eux quelques milliards qui devraient leur permettre de « mieux vivre » des pertes prolongées.
Adeline Descamps
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