Les taxes pleuvent comme à Gravelotte. Après les BAF (Bunker Adjustment Factor), THC (Terminal Handling Service), ISPS (International Security Port Surcharge), EBS (Emergency Bunker Surcharge), EIC (Equipment Imbalance Surcharge), ERR (Emergency Rate Restoration), ERS (Equipment Repositioning Surcharge), GAS (Gulf of Aden Surcharge), PSS (Peak Season), SCS (Suez Canal Surcharge), ISF (Importer Security Filing), CAF (Currency Adjustment Factor), l’ère est à la surtaxe carbone, la surcharge Panama et à la surprime mer Rouge.
Les « douloureuses » s’accumulent et cela ne va pas arranger les relations commerciales entre les transporteurs maritimes et leurs clients. Eux qui dénoncent régulièrement l’opacité des calculs sous le vernis des acronymes.
Surcharge Panama
« Les membres de THE Alliance ne peuvent pas discuter de questions liées aux tarifs. Toute surcharge éventuelle serait évaluée de manière indépendante et déterminée par la compagnie elle-même afin de gérer les coûts accrus », a fini par déclarer un représentant de THE Alliance [Hapag-Lloyd, ONE, HMM et Yang Ming] pour désamorcer plusieurs informations parues dans la presse selon lesquelles une surtaxe destinée à couvrir le coût des retards du canal de Panama serait mise en place par le groupement.
Le consortium est prudent sur le sujet : décider d’une telle mesure contreviendrait aux règles de la concurrence qui interdisent l’entente sur les prix.
Au lieu de cela, indique-t-il, des « ajustements opérationnels » vont être mis en œuvre afin d'assurer la fiabilité des services. Les compagnies prévoient de déployer davantage de navires mais qui emprunteraient des itinéraires alternatifs passant par le canal de Suez ou le cap de Bonne-Espérance. Des routes forcément plus longues qui auront un impact direct sur les coûts d'exploitation.
Congestion et retards
Face à son problème criant d’eau en raison d’une sécheresse extrême, le gestionnaire du canal de Panama, qui arrive pourtant aux termes de la saison des pluies (de mai à décembre), a renforcé en novembre ses restrictions de passage et de tirant d'eau pour la énième fois depuis avril.
L’administration du canal prévoit de réduire les transits de 43 % d'ici au 1er février 2024. Seuls 22 navires par jour sont autorisés depuis le 1er décembre à franchir les écluses néo-panamax. Cette jauge sera ramenée à 20 créneaux en janvier et à 18 à partir du 1er février.
Les limites de tirant d’eau, à 13,3 m pour les écluses récentes et 12,06 m pour les anciennes, qui avaient été annoncées préalablement, sont maintenues pour les dix prochains mois, ce qui réduit la capacité de 1 500 EVP.
Au 7 décembre, selon le système de notification du canal, 71 navires attendaient de pouvoir transiter, dont 29 sans réservations, pour un temps d'attente moyen de 14 jours vers le Nord (maximum à 33 jours) et de 9 jours vers le Sud (maximum à 28 jours). S’il y a moins de navires congestionnés aux abords du passage qu'une semaine plus tôt (115 au 30 novembre), le temps d’attente s’est encore creusé vers le Nord.
De 130 à 297 $ par EVP
Le trafic de porte-conteneurs transitant par le canal n'a pas été vraiment perturbé jusqu'à présent car les opérateurs de lignes régulières disposent de réservations, ayant la capacité de réserver leurs passages deux à quatre semaines à l'avance.
Pour autant, CMA CGM et MSC ont annoncé des surtaxes. CMA CGM imposera une Panama Adjustment Factor de 150 $/EVP à partir du 1er janvier 2024, se justifiant, selon l’armateur français par les restrictions de transit et les tarifs plus élevés du canal, qui seront introduits en janvier.
MSC l’estime pour sa part à 297 $/EVP pour ses services Asie-Côte Est des États-Unis/Golfe du Mexique et Asie-Antilles. Cette taxe entrera en vigueur dès le 15 décembre.
Depuis, Hapag-Lloyd a annoncé une surcharge de 130 $/EVP et Cosco de 255 $/EVP, également à partir du 1er janvier.
Surcharge mer Rouge
En mer Rouge, après deux mois de guerre, les échanges de détenus entre Israël et le Hamas palestinien ont pu donner l’illusion, un temps, d’une trêve prolongée et d’une ouverture à la reprise d’un dialogue plus structurant sur leur devenir respectif. Mais les armes parlent à nouveau.
En raison de la guerre, les clients de la compagnie maritime allemande Hapag-Lloyd devront payer, à compter du 1er janvier, pour « risque de guerre » un supplément de 40 $/EVP pour le fret chargé sur les services entre l'Europe du Nord ou les pays du pourtour méditerranéen et Israël.
Pour les conteneurs à destination et en provenance des autres ports que ceux concernés par cette route, il faudra ajouter 80 $ en plus du tarif.
Cette annonce est justifiée par les attaques rebelles houthis, soutiens du Hamas, dont ont été les cibles des navires marchands ayant des liens présumés avec Israël.
Le groupe A.P. Moller-Maersk a également informé ses clients qu'il introduirait l'année prochaine une surcharge de risque d'urgence (ERS) sur les conteneurs vers Israël « pour couvrir la hausse des primes d'assurance due à la situation sécuritaire ».
À partir du 8 janvier, les clients devront s'acquitter d'une surtaxe de 50 $ pour les conteneurs de 20 pieds, et de 100 $ pour l40 et 45 pieds, a précisé Maersk.
Détournements coûteux
Le transporteur basé à Haïfa, ZIM, a annoncé la semaine dernière que son service ZMP, qui emploie 12 navires, passerait désormais par le cap de Bonne Espérance au lieu de transiter par Suez, ce qui allongera la durée des trajets. « À une vitesse de 18 nœuds, le détournement d'un voyage Shanghai-Barcelone du canal de Suez vers la mer Rouge augmente le temps de navigation de 21 à 32 jours. Pour le trajet Shanghai - Rotterdam, le transit time passe de 25 à 33 jours », indique l’analyste Alphaliner.
Le détournement est a priori la seule solution valable pour des navires exposés à la menace militaire de groupes revendiqués comme terroristes.
Selon un relevé arrêté au 4 décembre, Alphaliner a identifié une douzaine de porte-conteneurs détournés de la route de la mer Rouge vers le cap de Bonne-Espérance, et six autres en passe d’emprunter le même chemin.
Il s'agit principalement de navires effectuant des liaisons Asie-Europe-Méditerranée, et majoritairement des porte-conteneurs de petit gabarit, entre 4 000 et 6 000 EVP, excepté cinq d’entre eux (dont quatre de 15 000 et un de 19 000 EVP).
Flambée des primes d'assurance
La direction de ZIM a précisé que l'augmentation des coûts serait répercutée sur les clients sous la forme d'une taxe de guerre.
La compagnie fait en partie référence aux coûts de l’assurance spéciale de guerre nécessaire pour naviguer dans les régions troublées par des conflits.
Le marché de l'assurance londonien a inscrit le sud de la mer Rouge sur la liste des zones à haut risque et les exploitants doivent avertir leurs assureurs lorsqu'ils traversent ces zones et payer une prime supplémentaire, généralement pour une période de couverture de sept jours.
En deux mois de guerre, les primes d’assurance auraient été multipliées par dix, selon Reuters.
« Contrairement aux détournements en période de faible demande,
qui visent principalement à économiser les frais du canal de Suez et qui concernent généralement les voyages vers l'est, les efforts de réacheminement actuels concernent à la fois les voyages vers l'Est et vers l'Ouest », précise Alphaliner.
Revue stratégique des navires
Le détroit de Bab-el-Mandeb, lieu de concentration des attaques, est ce choke point où la mer Rouge se rétrécit et où la principale route maritime est à portée des agressions émanant des régions occidentales du Yémen contrôlées par les Houthis.
Les tirs de missiles et attaques avec des drones, le week-end dernier, contre trois navires marchands dans les eaux internationales du sud de la mer Rouge – attaque à nouveau revendiquée par les rebelles Houthis du Yémen –, exacerbent les craintes d'une aggravation des risques pour la navigation commerciale.
Selon le porte-parole de l'armée israélienne, le contre-amiral Daniel Hagari, deux des navires n'avaient aucun lien avec Israël.
Compte tenu des niveaux de propriété intervenant dans l’exploitation d’un navire, qui ont souvent des pavillons, des propriétaires enregistrés, des investisseurs, des financiers et des affréteurs de différents pays, l'identification de la propriété israélienne n’est pas aisée. Ce qui expose aux risques tout navire, qu'il ait ou non un lien avec les pays en guerre.
Dans la plupart des attaques, les données des Houthis étaient « périmées » depuis plusieurs années. C’était le cas du Number 9, exploité par ZIM jusqu'en novembre 2021.
L'Unity Explorer, bien qu'il soit détenu et exploité au Royaume-Uni, appartient à la société Unity Maritime, dont est actionnaire Danny Ungar, fils de l'homme d'affaires israélien Abraham Rami Ungar. En novembre, les Houthis avaient déjà détourné le Galaxy Leader, un porte-voitures de 5 100 CEU, appartenant à la compagnie maritime Ray Car Carriers, également contrôlée par l’homme d’affaires.
Raison pour laquelle la société de sécurité maritime Ambrey a conseillé aux propriétaires-exploitants de navires de passer en revue l’historique des navires affrétés afin de déterminer si leurs navires n’ont pas eu des liens avec Israël.
D’après le spécialiste, plus de 600 navires dans le monde pourraient être affiliés à Israël. Avant le conflit, vingt d’entre eux traversaient le canal de Suez chaque semaine dans un sens ou l’autre.
Une pluie de taxes s'abat donc sur les clients des transporteurs alors qu'en 45 jours, rappelle le transitaire Ovrsea les compagnies maritimes auront activé trois GRI (General Rate Increase) d’affilée sur le trade Asie-Europe. « Celui du 1er décembre sera suivi quinze jours plus tard d’un autre, du même niveau ».
Adeline Descamps
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