L'activité des navires en mer Rouge a baissé de 28 % en décembre par rapport à novembre, selon les données de suivi des navires de MariTrace, reflétant l'exode des porte-conteneurs autour du cap de Bonne-Espérance et la décision de plusieurs compagnies maritimes de premier plan de mettre sur pause leurs transits à travers la région.
Mais l’intensification des attaques des Houthis dans le détroit de Bab-el-Mandeb ne semble pas décontenancer les exploitants de pétroliers (et de vraquiers) et pas davantage influencer significativement les flux.
Aucune alerte sur l’état des stocks n’a été émise, les négociants en fuel estimant de façon assez unanime qu'il y a suffisamment de brut en stock pour faire face à d'éventuels chocs sur la demande. Les prix ne devraient donc pas grimper au ciel.
Les attaques ont certes provoqué une poussée des tarifs d’affrètement des navires et des primes de risques. Mais elles ont eu à vrai dire moins d'impact que prévu sur les flux, ce qui doit résulter de savants arbitrages entre l'appréhension du risque versus des considérations juridiques, les conditions des chartes-parties, les coûts d'assurance et l’économie du marché du pétrole.
Le fait que « seulement » trois pétroliers aient été ciblés – Le Central Park (connu aussi sous le nom de Caifu Chao (enregistré au Libéria), le Strinda (drapeau norvégien) et l'Ardmore Encounter (pavillon Ile Marshall) –, sur les 25 attaques enregistrées contre des navires marchands, doit aussi influencer les choix.
Les tarifs d'affrètement ont doublé
Quoi qu’il en soit, le pétrole est tout de suite moins rentable s’il transite par le large de l’Afrique (le passage par la mer Rouge peut réduire de 3 700 milles nautiques le trajet entre Singapour et Gibraltar), surtout au prix où les navires se négocient à la journée. Les tarifs d'affrètement ont pratiquement doublé. Les suezmax, qui peuvent transporter jusqu'à 1 million de barils, se fixent jusqu'à 85 000 $ par jour. Les aframax, qui peuvent charger jusqu’à 750 000 barils, peuvent atteindre les 75 000 $ la journée.
Trafics stables
Les trafics de de brut et de produits pétroliers en mer Rouge sont restés stables en décembre. Selon les données de suivi des navires suivi des navires MariTrace relevées par Reuters, 76 pétroliers en moyenne transportant du pétrole et du carburant ont transité par la mer Rouge et le golfe d'Aden en décembre, non loin de l’épicentre des attaques yéménites. C'est en soi à peine deux navires de moins que la moyenne du mois de novembre et trois de moins que les 11 premiers mois de 2023.
Il y a toutefois eu une parenthèse où le trafic au sud de la mer Rouge a légèrement chuté (66 pétroliers) entre le 18 et le 22 décembre, correspondant pourtant à une période au cours de laquelle il n’a pas été relevé d’attaques de navires, ni même déjouée, pause sans doute à mettre au crédit du lancement le 19 décembre de l’opération Guardian Prosperity, la force d'intervention marine internationale pour sécuriser la navigation.
Désertion marginale
De son côté, Kpler, société d’informations de marché relatives aux matières premières, a comptabilisé une moyenne de 236 navires par jour en mer Rouge et dans le golfe d'Aden en décembre (contre 230 en novembre).
Pour autant, selon les données de Vortexa, société d’études spécialisée dans l’analyse des marchés de matières premières, une trentaine de pétroliers ont été détournés depuis la deuxième quinzaine de décembre, vers le sud de l’Afrique. Il s’agit précisément de ceux exploités par les compagnies ayant indiqué leur suspension temporaire, à savoir Frontline, Euronav, Maersk Tankers et Norden, ainsi que les compagnies pétrolières et gazières, qui affrètent, BP et Equinor. Le groupe danois de pétroliers Torm les a rejoint le 12 janvier.
En revanche, plusieurs autres grandes compagnies pétrolières et raffineurs continuent d’utiliser le raccourci entre l’Asie et l’Europe, selon les données de suivi de LSEG, société d'informations sur le vrac sec et le pétrole. La major américaine Chevron, le négociant Gunvor, les raffineurs indien Bharat Petroleum et Reliance ou encore le trader saoudien Aramco Trading Company ont tous emprunté cette route au cours des dernières semaines.
Le brut américain, sans doute gagnant
D'après Kpler, les déroutements Est-Ouest ont surtout impacté les importations européennes de diesel et de kérosène jusqu'à présent. Par ailleurs, les détournements Ouest-Est ont affecté certaines expéditions européennes de gasoil et d'essence vers le Moyen-Orient, l'Asie-Pacifique et l'Afrique de l'Est.
Selon l’analyste, les tensions dans en mer Rouge auraient incité davantage d'acheteurs de pétrole à se tourner vers les États-Unis, expliquant en partie le record de 2,3 millions de barils par jour exportés vers l'Europe en décembre.
Escalade régionale inévitable ?
La situation pourrait toutefois évoluer alors que des bombardements américains et britanniques ont visé, dans la nuit (heures locales) du vendredi 12 au samedi 13 janvier, des sites militaires tenus par les Houthis à Sanaa et dans les régions de Hodeida (ouest), Taëz (sud), Hajjah (nord-ouest) et Saada (nord).
L’administration Biden a évoqué une action « défensive » visant à protéger notamment le commerce international. Ces attaques font suite à des échanges musclés de part et d’autre, le président américain Joe Biden menaçant de s’attaquer à des positions des Houthis s’ils ne cessaient pas de mettre en danger la navigation, la faction houthie avertissant que dans ce cas, les intérêts de ces deux pays seraient considérés comme des « cibles légitimes ».
Le 10 janvier, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté en faveur d’une résolution, portée par les Etats-Unis et le Japon, exigeant l'arrêt immédiat des attaques en mer rouge. Certains veulent y voir un blanc-seing au principe d'une réponse armée internationale à la menace croissante en mer Rouge.
Les pétroliers Toya, Diyyinah-I, Stolt Zulu et Navig8 Pride LHJ ont tous été vus en train d’opérer un demi-tour à mi-parcours afin d'éviter la mer Rouge selon le suivi des navires par les deux compagnies.
Les cours du pétrole ont réagi à la hausse de plus de 3 $ s le baril, soit plus de 4 %, hissant le Brent au-dessus de 80 $.
Adeline Descamps