Le deuxième trimestre de l’année a démarré, précédé de projections de croissance du commerce mondial « médiocres », selon les termes employés par les auteurs, à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), du rapport Perspectives et statistiques du commerce mondial.
La croissance du commerce mondial devrait ralentir cette année, passant de 2,7 % en 2022 à 1,7 %, une augmentation plus faible que prévu en raison de l’« effondrement brutal » au quatrième trimestre 2022 et en dépit d’une légère revoyure à la hausse du PIB mondial au troisième trimestre 2023, désormais estimé à 2,4 % sur l'année. Les perspectives concernant les échanges et la production restent inférieures aux moyennes des 12 dernières années (respectivement de 2,6 % et de 2,7 %).
Dérèglements économiques
Les symptômes ont été largement et longuement chroniqués. Ils ne quittent plus le corps mondial depuis le lancement d’une guerre aux portes de l’Europe, l’enracinement d’une inflation galopante qui a pour origine un faisceau de causes héritées des dérèglements de la pandémie (hausse des prix des biens et/ou matières premières d’importation ; augmentation des coûts de production ; phénomènes d’anticipation…), l’inefficacité des outils de régulation (monétaires) et l'incertitude des marchés financiers.
« Les effets persistants du Covid et les tensions géopolitiques croissantes ont été les principaux facteurs qui ont eu un impact sur le commerce et la production en 2022, et il est probable que ce sera également le cas en 2023 », prévient Ralph Ossa, économiste en chef de l'OMC.
La croissance du commerce attendra un peu, au moins 2024, où elle devrait rebondit à 3,2 %, parallèlement à une augmentation du PIB de 2,6 %, selon l'OMC qui décrit cette hypothèse comme « plus incertaine que d'habitude en raison de risques multiples » .
En revanche, la région Asie-Pacifique pourrait apporter un peu de contraste aux tonalités grises du commerce mondial. Dans son Asian Development Outlook d'avril 2023, la Banque asiatique de développement (BAD) prévoit une croissance de 4,8 % en 2023 et 2024 pour les économies de sa région, mieux encore que les 4,2 % consacrés en 2022. Sans la Chine, l'Asie connaîtrait alors une croissance de 4,6 % cette année et de 5,1 % en 2024.
Nouveau départ de feu ?
Pourtant, le marché du conteneur renvoie des signes tout autres. Les taux de fret semblent repartir à la hausse, ce qui peut être diversement interprété, hésitant entre l'amorce d’un nouveau départ de feu ou le simple arrêt de l’effondrement, les prix ayant atteint leur plus bas. Le Shanghai Container Freight Index (SCFI), qui reflète les prix spot au départ de Shanghai vers une vingtaine de destinations mondiales, a enregistré une forte reprise au cours des deux dernières semaines, repassant au-dessus des 1 000 points pour s'établir à 1 033,65 points en fin de semaine dernière, en hausse de 8 % en glissement hebdomadaire. L'itinéraire Chine-côte ouest-américaine, a rebondi en une semaine de 29 %, pour atteindre 1 668 $ par unité d'équivalent quarante pieds (EQP), en réaction à l'augmentation générale des taux GRI, notamment sur les routes transpacifiques, du Moyen-Orient et de l'Amérique latine, selon Linerlytica.
Le SCFI est désormais en hausse de 14 % par rapport au niveau le plus bas du cycle de 906,55 points constaté dans la semaine du 10 mars. L'indice mondial composite Drewry World Container Index (WCI) est resté en revanche stable.
Pour le S&P Platts, la reprise des taux de fret est surtout visible pour le trafic conteneurisé transpacifique. Alors que les marchés prévoyaient des augmentations bien plus importantes, les navires sont plutôt exploités avec des taux de fret pour le conteneur de 40 pieds à 1 000 $. Mais il s’agit néanmoins d’augmentation subite entre 400 $ et 600 $/EQP. De l'Asie du Nord vers la côte ouest-américaine, les tarifs ont fait un bond de 32 % à la mi-avril, à 1 650 $/EQP, valeur la plus élevée observée sur cette voie depuis le 31 octobre. Néanmoins, il reste en-deçà de près de 80 % à l'année dernière.
Dans le même temps, l’indice de l'Asie vers la côte Est était aussi en hausse de 27 %, à 2 500 $/EVP, selon les données de S&P Global. La reprise est moins spectaculaire car les taux de fret sont restés longtemps élevés, entretenus par la congestion persistante sur la façade ouest-américaine.
Dans le bassin atlantique, l'excès de capacité et la faiblesse de la demande continuent de peser sur les taux, en baisse de 42,4 % depuis le début de l'année. Effet de base ? Sur ce marché, les taux s’y sont plutôt mieux maintenus que sur les deux autres lignes Est-Ouest si bien que les transporteurs ont eu tendance à y orienter des capacités. L’excès de l’offre pèse désormais face à la faiblesse de la demande et sanctionne les tarifs.
Dans un tel contexte, l'évolution des contrats à plus long terme, qui sont actuellement plus élevés que les taux spot, questionne alors que se ficellent actuellement les dernières tractations outre-Atlantique entre BCO (grands comptes) et les armateurs pour la période de mai 2023 à avril 2024.
Retour des GRI
Autre signal d’une augmentation de la demande, la plupart des transporteurs ont publié une série de GRI (General Rate Increase) sur le marché transpacifique.
Pourtant, rien n’indique un boom de la demande. Le dernier baromètre Port Tracker, initié par la grande fédération des détaillants (NRF) américains pour suivre les entrées dans les grands ports américains, projette une baisse de près de 25 % des importations conteneurisées au cours du premier semestre 2023.
Toutefois, le mois de mars a bel et bien acté le retour à la vie des places californiennes, où les importations ont augmenté respectivement de 30 % et 25 % par rapport à février. Selon les données publiées par Descartes, les conteneurs à l'import dans l'ensemble des ports américains ont totalisé 1,85 MEVP en mars, en hausse de 6,9 % par rapport à février et de 4,2 % par rapport au même mois de 2019.
Le rebond de la Californie s'est produit malgré la baisse des flux en provenance de la Chine (- 46 573 EVP par rapport à février pour se stabiliser à 586 129 EVP) car elle a été contrebalancée par une augmentation des trafics en provenance de Thaïlande, de Corée du Sud et du Japon. Cette situation éclaire un autre basculement : la modification du sourcing par les entreprises occidentales.
Effet stock qui s'estompe
L’effet stock, argument derrière lequel se range l’ensemble de la classe de la ligne régulière, « est en train de se digérer en douceur », assure la direction d'Evergreen, qui vient de publier ses résultats trimestriels. Au cours des trois premiers mois de l'année, le chiffre d’affaires du plus grand transporteur de conteneurs du pays a néanmoins chuté de 61 % pour atteindre 2,19 Md$ et le revenu moyen par EVP s’est établi à 1 031 $.
Il se pourrait toutefois que l'on soit à ce moment attendu où le déstockage (des stocks) est effectif. Et qu'advienne le temps des réapprovisionnements. Comme les armateurs, à commencer par Hapag-Lloyd, l'avaient envisagé.
Hausse des volumes transportés
Une amélioration peut se lire dans les volumes. Evergreen fait état de 680 000 EVP acheminés, le plus haut niveau depuis plus d'un an et 7 % au-dessus de la moyenne mensuelle observée en 2022.
En février, la compagnie taïwanaise avait transporté 530 000 EVP. Mais ce frémissement de la demande ne se traduit pas encore dans les revenus moyens par EVP, particulièrement faibles, à 922 $ par EVP. Non seulement, ils sont inférieurs de 70 % à qu’ils étaient il y a un an à la même période mais ils sont aussi dégradés par rapport aux 1 166 $/EVP de janvier et loin des 3 222 $ de février 2022, sa meilleure performance.
Un marché de l'affrètement actif
Le marché de l'affrètement de conteneurs est particulièrement actif. Paradoxalement. Les taux d'affrètement à temps augmentent régulièrement pour la plupart des catégories de navires, tandis que les périodes d'emploi deviennent également de plus en plus longues, en particulier pour les navires les plus efficients. Certains sont engagés jusqu'à trois et quatre ans. L'indice Harpex, qui mesure les taux d'affrètement à temps au niveau mondial, est en hausse depuis la fin du mois de février.
Commandes toujours soutenues
Si reprise de la demande de transport il y a, sera-t-elle suffisante pour absorber la masse de navires qui arrivent sur le marché, en particulier dans un contexte de ralentissement des ventes pour démantèlement. C'est la grande inconnue.
Et le carnet de commandes continue, lui, de s'étoffer, les armateurs absolument pas intimidés par leur conjoncture. Il atteint actuellement 8,61 MEVP, soit 28,9 % de la flotte existante.
S'il y a au moins une évidence dans cette avalanche de données parfois peu lisibles : les compagnies maritimes ne se comportent vraiment pas comme si elles devaient faire face à un déluge imminent quand bien même elles naviguent avec des taux de fret déficitaires.
Adeline Descamps