Il y avait trois chances sur sept pour que cela soit une femme, originaire d’Afrique ou de petits États insulaires, et non d’une grande nation maritime, d’un grand pays constructeur ou d’un pays développé. Si le Panama n’est pas vraiment dans l’une de ces trois catégories, il est toutefois un État du pavillon.
L’Organisation maritime internationale ne rompra pas cette fois encore avec ses dogmes. Le Conseil de l'OMI (40 pays)* a élu le 18 juillet le Panaméen Arsenio Antonio Dominguez Velasco au poste de secrétaire général de l'OMI pour succéder à compter du 1er janvier 2024 à Kitack Lim, dont le mandat expire le 31 décembre.
Sa candidature devra, avant cela, être soumise à la 33e session de l'Assemblée (175 membres) à la fin de cette année pour validation.
Le Sud-coréen Kitack Lim se retire donc après avoir effectué deux mandats à la tête de l’OMI. Il avait été élu une première fois en juin 2015 pour une période de quatre ans à compter du 1er janvier 2016. Lors de sa 31e session (fin 2019), l'Assemblée avait approuvé son renouvellement pour un dernier mandat du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2023.
Favori parmi les sept candidatures
Arsenio Dominguez faisait partie des favoris pour le poste convoité par sept États-membres**. Ses qualités diplomatiques et son sens de la précision en tant que directeur de la division de l'environnement marin à l'OMI, poste qu’il occupe depuis janvier 2022, ont été particulièrement remarquées.
Si l’Assemblée valide sa candidature, il rejoindra l’emblématique bâtiment londonien, reconnaissable par sa façade coiffée d'une imposante sculpture en bronze de 7 m représentant la proue d'un navire et un marin (solitaire) observant le guet.
Il dirigera 300 fonctionnaires de diverses nationalités durant quatre ans (la plupart des secrétaires généraux ont été réélus pour un deuxième mandat).
Un connaisseur des rouages de l'OMI
L'homme connaît très bien les arcanes et le mode de fonctionnement de la maison onusienne, souvent critiquée pour ses processus lourds et lents. Il a rejoint le secrétariat de l'OMI en 2017, d'abord en tant que chef de cabinet de Kitack Lim, avant d'être nommé en 2020 directeur de la division administrative.
Mais avant cela, il avait présidé le Comité de protection du milieu marin de l'OMI (MEPC) pendant trois ans (2014-2017), un des cinq comités principaux avec le Comité de la sécurité maritime (MSC), dont il a dirigé le groupe de travail (2010 -2014).
Il avait fait ses premiers pas au sein de l’autorité de réglementation du transport maritime pour représenter le Panama dans diverses fonctions.
Un parcours éclectique avant l'OMI
Dans sa « vie d'avant », le titulaire d’une licence en sciences (Panama), d’un diplôme en architecture navale (Mexique), d'un MBA de l'université de Hull (Royaume-Uni) et d'un certificat d'enseignement supérieur en droit international et en politique européenne de l'université de Birkbeck (Royaume-Uni), a débuté sa carrière maritime en qualité d'ingénieur portuaire chez Armadores del Caribe au Panama, avant de devenir directeur adjoint de la cale sèche au chantier naval Braswell.
En 1998, il a rejoint l'Autorité maritime du Panama à Londres pour diriger le bureau régional technique et de documentation pour l'Europe et l'Afrique du Nord.
Une décennie cruciale à piloter
Depuis 1959 avec le danois Ove Nielsen, huit hommes se sont succédé à la tête de l’OMI, dont le Français Jean Roullier (1964-1967), tous issus bloc occidental (à l’exception de l’Inde et de la Corée du sud), et de pays riches (sauf l’Inde).
L’homme arrive à la tête du régulateur du transport maritime à l’aube d’une décennie capitale. Sa fonction sera d’abord et avant tout celle d’un maître des horloges, l’urgence climatique dictant le tempo, avec une première ligne d’arrivée à franchir dès 2030. La navigation autonome, la pénurie de marins et la numérisation seront d'autres sujets. Mais la décarbonation du transport maritime éclipse les autres sujets.
Le MEPC 80, qui s’est tenue en juillet, a validé le principe d’une décarbonation complète (le « zéro nette émission » de la flotte mondiale) à horizon 2050.
La stratégie, qui avait été précédemment adoptée en 2018, avait prévu de réduire de moitié seulement, par rapport à 2008, les émissions de gaz à effet de serre engendrées par la flotte mondiale.
Parallèlement, les leviers réglementaires qui vont y conduire – taxe carbone et/ou norme technique sur les carburants –, sont en train d’être arbitrés.
L'OMI est, entre autres, bousculée sur son flanc européen. L’Union européenne de la présidente Ursula von der Leyen se montre bien plus proactive pour ancrer le transport maritime dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS, marché carbone). Ce faisant, elle a court-circuité l'OMI dans ses prérogatives, la mesure revenant à confier la question aux régulateurs régionaux et nationaux.
Un nouveau centre de gravité
Les clivages Nord/Sud sont de plus en plus prégnants à l’OMI. L’affectation des recettes issues du marché carbone réveille en effet les antagonismes entre un Nord qui émet et un Sud qui paie le prix fort en catastrophes XXL (pluies torrentielles, chaleur extrême, incendies dévastateurs, etc.).
Schématiquement, les pays du Nord tiennent à ce que les revenus perçus soient réinvestis au profit du secteur quand ceux du sud voudraient qu’ils aident les pays vulnérables au climat à s'adapter au changement climatique.
Adeline Descamps
* Dix pays ayant le plus grand intérêt dans le transport maritime international, dix dans le commerce international et 20 pays ayant des intérêts particuliers dans le transport maritime ou la navigation.
** Outre Arsenio Antonio Dominguez Velasco, Cléopatra Doumbia-Henry (Dominique, Antilles), Nancy Karigithu (Kenya), Minna Kivimäki (Finlande), Zhang Xiaojie (Chine), Moin Uddin Ahmed (Bangladesh), Suat Hayri Aka (Turquie).