La société bretonne annule le contrat de construction du ferry passé avec le chantier Flensburger Schiffbau-Gesellschaft. Les difficultés financières persistantes du chantier naval, dont ont fait les frais plusieurs compagnies de ferries, et un transfert de propriété ont eu raison de la confiance des commanditaires. Au-delà, Brittany Ferries accumule les difficultés, Brexit et covid plongeant la compagnie dans un épais brouillard.
« Où en est le chantier du Honfleur ? » fait partie des questions que les dirigeants de Brittany Ferries n’ont pas pu esquiver ces derniers mois. Pour le futur vaisseau amiral de sa flotte, que la compagnie transmanche revendiquait comme le premier ferry français propulsé au GNL opérant sur la Manche, le chantier naval allemand Flensburger Schiffbau-Gesellschaft (FSG) avait été choisi parce que le plan de charge des chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire ne permettait pas de l’absorber. Commandé en juin 2017, la livraison du futur Honfleur était initialement prévue pour juin 2019 mais plusieurs fois repoussée.
Les difficultés du constructeur de transbordeurs rouliers, placé sous la protection du tribunal de commerce en mai dernier, précédent de plusieurs mois la crise sanitaire. Elles avaient déjà valu cinq mois de retard de livraison à Irish Ferries, contrainte par deux fois (en avril et en juin 2018) de reporter les services du W.B.Yeats. La compagnie irlandaise avait été même été sanctionnée pour cela par la National Transport Authority (NTA). Brittany Ferries en a ensuite fait les frais avec son premier ferry au GNL.
Après Irish Ferries, au tour de Brittany Ferries de faire les frais
Le dossier s’est compliqué avec le transfert de propriété du chantier. Le changement de l’actionnaire principal, avec l’arrivée d’un investisseur privé – Lars Windhorst et du groupe Tennor – intervenu en septembre 2019, « n’a pas permis au chantier de renouer avec la croissance ni avec la compétitivité », explique aujourd’hui Brittany Ferries pour justifier la résiliation du contrat le 17 juin. La persistance des problèmes financiers et la crise sanitaire, contraignant les chantiers à suspendre leurs activités, laissent finalement en cale un navire construit à 85 %. « Après des discussions restées infructueuses avec la direction actuelle de FSG et ses principaux créanciers, la Somanor et Brittany Ferries, commanditaires du Honfleur, ont reconnu avoir perdu confiance dans la capacité du chantier à terminer le navire dans un délai raisonnable ».
Brittany Ferries met à flot son premier navire au GNL
Contrat de 180 M€
Le contrat d’une valeur de 180 M€ avait été financé par la société d’économie mixte d’armement Somanor, que Brittany ferries devait rembourser en affrétant le navire auprès de la société d’économie mixte, réunissant la région Normandie, les Départements du Calvados et de la Manche.
Ce modèle de financement correspond à la façon de faire la compagnie transmanche, dont les actionnaires sont des agriculteurs de la SICA de Saint-Pol. Plusieurs SEM ont ainsi été créées pour exploiter des navires. Elles sont aujourd’hui propriétaires de 7 navires et avaient initié en 2017 un plan de renouvellement de la flotte d’un montant de 550 M€ pour accueillir 4 nouveaux navires à l’horizon 2023, dont le vaisseau amiral devait être le Honfleur pour être exploité sur sa ligne maîtresse Ouistreham – Portsmouth (22 000 passagers et 280 000 voitures transportés chaque année).
La compagnie attend donc deux autres unités neuves au GNL d’ici 2023, sans retard a priori prévu : le Salamanca (Royaume-Uni/Espagne) dont la pose de la quille a eu lieu en avril et le Santoña (Royaume-Uni/Espagne), construit au chantier naval chinois Avic International Weihai et affrété auprès du suédois Stena pour une entrée en service prévue en 2023. Avant cela, il réceptionnera le Galicia (Royaume-Uni/Espagne- Cork-Santander), attendu en juillet pour une entrée en service en novembre de cette année. Chacun disposera d'une longueur de 215 m pour une capacité de 3 000 m linéaires pour les véhicules et le fret et 1 000 passagers.
Les deux nouveaux navires affrétés s'appellent Kerry et Santoña
Entre 200 et 250 M€ de pertes de chiffre d’affaires
Depuis le 19 mars, l’édification de ceintures Vauban partout en Europe a assigné à à quai une bonne partie de sa flotte. L’armateur breton a été contraint de restreindre considérablement son activité en ne transportant plus que du fret avec cinq de ses 12 navires sur les lignes Caen/Portsmouth, Cherbourg/Portsmouth, Santander/Portsmouth, Bilbao/Poole et Bilbao/Rosslare. Si cela lui permet d’assurer 60 et 65 % des volumes de fret qu’elle effectuait avec l’ensemble de ses lignes en 2019, l’activité passagers en avril et mai n’a généré aucune recettes.
Depuis avril, les dirigeants témoignent auprès de la presse de leurs difficultés. En mars et avril, ils faisaient état de 25 M€ de pertes. Entre mars et la fin de l’exercice, le 31 octobre, la perte de chiffre d’affaires avoisinera sans doute les 200 à 250 M€, que les différents dispositifs mis en œuvre par l’État et les collectivités locales et la baisse du coût du bunker devraient alléger. Le premier employeur de marins français a dû mettre 1 311 navigants et 400 sédentaires au chômage partiel, soit les deux-tiers des navigants et les trois quarts des sédentaires.
Irlande-Espagne : Brittany Ferries modifie la route de son service
Situation délicate
La compagnie se trouve face à une accumulation de difficultés. Car le Brexit et la Covid conjugués brouillent toute visibilité. La date de réouverture des frontières n’est pas connue et il ne fait plus de doute sur le fait qu’une partie de la saison estivale va être sacrément écornée alors qu’elle pèse habituellement 60 % de notre chiffre d’affaires. Sans compter que les mesures sanitaires appliquées à bord des bateaux devrait considérablement limiter la capacité d’accueil à bord. Dans un entretien au Télégramme, le président du conseil de surveillance Jean-Marc Roué confiait avoir engrangé, pour juillet et août, « seulement le tiers du booking » d’une année normale. L’ancien président d’Armateurs de France indiquait en outre que sa compagnie bénéficierait des mesures du plan de relance tourisme comme arbitré lors du conseil des ministres du 10 juin. La compagnie a pu emprunter 117 M€ à un pool bancaire de façon à « faire face à [ses] engagements, notamment les salaires pour la saison estivale ».
Quant au brexit, une nouvelle période de transition s’est ouverte pour onze mois afin de trouver un accord sur la relation future. Si aucun accord n’est trouvé d’ici le du 31 décembre 2020, le Royaume-Uni se verrait appliquer les règles de l’OMC entraînant le paiement de droits de douanes et le renforcement des contrôles douaniers. Ce qui est anxiogène pour une compagnie dont 80 % de la clientèle est anglaise même si elle ne pèse que 14 % des parts de marché en transmanche et 5 % du volume fret.
Brittany Ferries construit progressivement son arc Atlantique
Projet de ferroutage en suspens
Pour anticiper, l’initiateur du ferry en Manche ouest avait commencé ces derniers mois à se positionner différemment en élargissant son horizon à un arc atlantique Nord-Sud entre les îles britanniques et l’Espagne, son deuxième fonds de commerce, après celui des liaisons franco-britanniques, que ce soit par son offre maritime directe ou via un pont ferroviaire. Sur ce dernier projet, la compagnie a indiqué dans un entretien au Télégramme qu’elle n’allait « pas s’engager maintenant », reportant l’échéance à début 2021. « On parle quand même d’une vingtaine de millions d’euros d’investissement », avait insisté Jean-Marc Roué.
Pour l’exercice 2019, la société bretonne avait amélioré son chiffre d’affaires, à 469 M€ en dépit d’une baisse du nombre de passagers transportés de 4,9 %, soit 2,49 millions de voyageurs. Le fret a accusé une baisse de 1,9 %, moins prononcée cependant que lors de son exercice précédent avec 202 000 véhicules transportés. Près de 866 000 véhicules de tourisme ont été transportés, en baisse de 5 % par rapport à l’exercice précédent.
Adeline Descamps
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