Lors de son assemblée générale du 5 mai, Brittany Ferries a présenté ses résultats à ses actionnaires. Avant la crise sanitaire, Brittany Ferries exploitait une flotte de douze navires sur douze lignes maritimes reliant la France, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne. Depuis le 19 mars, la compagnie ne transporte plus que du fret avec cinq navires sur cinq lignes. Mais elle maintient ses investissements dans le renouvellement de sa flotte.
À côté de l’obus pandémique, le Brexit et ses interminables jérémiades, qui ont hypothéqué sa dynamique ces dernières années sans la faire trébucher, ferait presque figure de petits cailloux. En dépit du contexte britannique incertain, la compagnie bretonne, dont 85 % de la clientèle est anglaise, s’était sortie du précédent exercice avec des ratios au-dessus de la ligne de flottaison.
En 2018, le bénéfice de Brittany Ferries fut maigre certes, à 8 M€ pour un chiffre d'affaires de 444,2 M€ (62 % avec le trafic passagers et 23 % avec le fret). Le nombre total de passagers avait légèrement augmenté, à 2,63 millions (contre 2,59 millions en 2017). Avec 205 401 unités transportées, le fret était en revanche en repli de 2,9 %, handicapé par son trafic transmanche en chute de près de 5 % avec 164 421 remorques transportées.
Pour l’exercice 2019, Brittany Ferries a amélioré son chiffre d’affaires, à 469 M€ en dépit d’une baisse du nombre de passagers transportés de 4,9 %, soit 2,49 millions de voyageurs. Le fret accuse une baisse de 1,9 %, moins prononcée cependant que lors de son exercice précédent avec 202 000 véhicules transportés. Près de 866 000 véhicules de tourisme ont été transportés, chiffre en baisse de 5 % par rapport à l’exercice précédent. « Les volumes fret et passagers ont notamment souffert des incertitudes engendrées par les trois reports successifs du Brexit », mentionne la société.
Sept navires désarmés
Du fait de son histoire – une entreprise créée en 1973 par un agriculteur fervent militant du désenclavement de la Bretagne par le développement touristique et économique –, Brittany Ferries ne se conçoit pas seulement en tant que compagnie maritime. Mais comme opérateur touristique d’une vaste région, s’étendant de la Bretagne et Normandie aux Pays-de-la-Loire et la Nouvelle-Aquitaine. Ainsi se plaît-elle à rappeler qu’en 2019, les 857 000 passagers ayant embarqué à bord de ses navires ont, selon la compagnie, dépensé plus 586 M€ dans l’Hexagone avec la réservation de 8,7 millions de nuitées.
« En cette période de crise sanitaire sans précédent, Brittany Ferries revient à ses origines en assurant le transport de marchandises essentielles entre les pays, telles que les denrées alimentaires produites dans le Grand Ouest notamment les fruits et légumes, des médicaments et du matériel médical. Il n’en demeure pas moins - et l’on ne saurait l’oublier - que l’activité touristique que nous portons chaque année contribue significativement au développement des régions du nord-ouest de l’Hexagone », rappelle à propos Jean-Marc Roué, le président de Brittany Ferries.
Contre mauvaise fortune bon cœur. Avant la crise sanitaire, Brittany Ferries exploitait une flotte de 12 navires sur 12 lignes maritimes reliant la France, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne. Depuis le 19 mars, l’édification de ceintures Vauban partout en Europe a assigné à résidence à quai une bonne partie de sa flotte. L’armateur breton ne transporte plus que du fret avec cinq navires sur les lignes Caen/Portsmouth, Cherbourg/Portsmouth, Santander/Portsmouth, Bilbao/Poole et Bilbao/Rosslare.
Quatre nouvelles unités attendues sans réserve
Pour autant, l’entreprise aux 2 000 marins français maintient les investissements dans le renouvellement de sa flotte, qui n’avait pas reçu de navires neufs depuis 2009. Quatre ferries sont attendus, dont Le Honfleur, qui devait être livré en 2020 mais ne le sera pas que plus tard. Il encaisse les remous du chantier naval allemand FSG, sauvé in extremis de la faillite par un investisseur privé également allemand. Trois autres unités neuves sont prévues, dont le Galicia (Royaume-Uni/Espagne), attendu en juillet pour une entrée en service en novembre 2020 ; le Salamanca (Royaume-Uni/Espagne) dont la pose de la quille a eu lieu en avril 2020 et le Santoña (Royaume-Uni/Espagne), construit au chantier naval chinois Avic International Weihai et affrété auprès du suédois Stena pour une entrée en service prévue en 2023. Trois d’entre eux (Santoña, Honfleur, Salamanca) seront propulsés au GNL, réaffirmant ainsi l’entrée de la compagnie dans l’ère de la transition énergétique.
« Nous avons investi dans la qualité du renouvellement. Et avons pris un engagement clair envers les régions que nous desservons », conforte Christophe Mathieu, le président du directoire. « J’en suis convaincu, nous reprendrons bientôt les traversées passagers, je l’espère dès cette saison estivale. Toutes les mesures sanitaires nécessaires seront mises en place, tant dans nos gares maritimes qu'à bord de nos navires, afin d'accueillir les passagers dans les meilleures conditions dès qu'ils pourront à nouveau voyager. D’autant que, face à nos concurrents aériens et ferroviaires, nos ferries constituent, et de loin, le mode de transport le plus adapté aux règles de distanciation tant sociale que sanitaire pour traverser la Manche. »
Brittany Ferries construit progressivement son arc Atlantique
Brexit fluctuat
Quant au retrait du Royaume-Uni de l’UE, qui n’est plus une théorie depuis le 31 janvier 2020, l’initiateur du ferry en Manche ouest avait commencé ces derniers mois à se positionner différemment en élargissant son horizon à un arc atlantique Nord-Sud entre les îles britanniques et l’Espagne, son deuxième fonds de commerce, après celui des liaisons franco-britanniques, que ce soit par son offre maritime directe ou via un pont ferroviaire.
« Une nouvelle période de transition s’est ouverte pour onze mois afin de trouver un accord sur la relation future. Ce départ représente un défi supplémentaire pour Brittany Ferries, déjà exposée à la crise du Covid. Tout pourrait basculer à la date du 31 décembre 2020. Si aucun accord n’est trouvé, le Royaume-Uni se verrait appliquer les règles de l’OMC entraînant le paiement de droits de douanes et le renforcement des contrôles douaniers », se contente de dire à ce propos Jean-Marc Roué.
Soutien du pavillon
Si le Covid éprouve une nouvelle fois la résilience de son entreprise, l’ancien président d’Armateurs de France reste confiant sur le soutien qu’apporteront les pouvoirs publics au « pavillon français pendant cette crise sanitaire, économique et sociale ». La veille de son départ de l’organisation française représentant les intérêts des armements, il avait appelé au lancement d’un Plan Marshall pour le shipping français. « Le gouvernement a commencé à nous répondre avec un premier dispositif d’aides pour le transmanche. Nous allons également candidater aux dispositions qu’offrira le plan spécifique pour l’industrie du tourisme annoncé par le président de la République », annonce-t-il.
Dans un entretien au Télégramme en mars, Christophe Mathieu estimait les pertes à 25 M€ pour les seuls mois de mars et avril.
Adeline Descamps