« La transition énergétique, c'est un changement de paradigme ». Jean-Yves Kerbrat, directeur général de MAN Truck & Bus France, n’y allait pas par quatre chemins, en ouverture de la journée d’information que la marque organisait sur l’électromobilité, le 1er février à Paris.
Le constructeur allemand, filiale du groupe Traton (qui détient également Scania), avait des annonces à faire quant à sa production de camions électriques, à un an des premières échéances européennes sur le respect des émissions de gaz à effet de serre (GES) : en 2025, les constructeurs de PL devront avoir réduit de 15 % leurs émissions de GES par rapport à 2019, et si ce n’est pas le cas, ils auront à régler une forte amende à l’Union européenne (UE). Mais avant les annonces, place aux intervenants.
« Il faudra toujours des camions ». « La route représente 90 % du transport de marchandises en France ». Ce n’est pas un concessionnaire MAN qui faisait ce constat, mais Xavier-Yves Valère, chef de mission Fret et Logistique à la Direction générale des Infrastructures, des Transports et des Mobilités (DGITM), administration centrale dépendant du ministère de la Transition écologique. « On va essayer de faire un peu plus de ferroviaire, du fluvial là où c'est possible, mais il faudra toujours des camions. Le transport routier de marchandises (TRM) va augmenter de 12 % dans les prochaines années. Mais il faut qu'ils soient décarbonés. Le camion électrique est la solution ». Car la France a fait le choix d'une électricité décarbonée.
Et M. Valère de fixer le cap : « En 2030 il faut arriver à 50 % de camions décarbonés, dont 12 % de camions électriques ». Pour amorcer ce marché encore embryonnaire, l’Etat le subventionne, par les appels à projets (AAP) de l’Agence pour la maîtrise de l’énergie (Ademe). L’enveloppe budgétaire s’élevait à 60 M€ en 2023, et sera de 130 m€ en 2024. « L'année dernière l'Allemagne faisait mieux mais cette année on fait mieux que L'Allemagne », concluait Xavier-Yves Valère.
« Si on ne ralentit pas très vite... » « Si on ne ralentit pas très vite, la planète va arriver à un réchauffement de 4°C d'ici à 2100 », expliquait ensuite Fabrice Bonnifet, président du C3D, un collège réunissant plus de 300 directeurs du développement durable de grandes entreprises. Lui-même officie chez Bouygues. « La France est le neuvième pays le plus émetteur de GES. L'économie française est dépendante du pétrole, que l'on importe, et l’industrie du transport est encore plus dépendante du pétrole : c'est celle qui en consomme le plus ».
Fabrice Bonnifet prône : « L'économie circulaire. Non pas le recyclage, mais une économie du réemploi et de la fonctionnalité. Il s’agit de faire en sorte que le camion dure plus longtemps ». Et le président du C3D d'être favorable à la location : « Que les constructeurs restent propriétaires du produit et en gèrent l'usage. Il s’agit d’améliorer l’intensité d'usage : les camions sont structurellement sous-utilisés ». Une idée quelque peu tempérée par la suite par Jean-Yves Kerbrat : « Prolonger l'utilisation des camions, ce ne sera pas le cas dans l'immédiat car nous commençons juste à exploiter ces véhicules à propulsion électrique et il y aura des améliorations à faire ».
« Décarboner d'ici à 2050 ». Le directeur Recherche et développement de MAN Truck & Bus, l’allemand Frederik Zohm, a ensuite posé les jalons de la décarbonation chez ce constructeur : « Nous prenons l’engagement de décarboner d’ici à 2050. Entre 2015 et 2024, nous avons réduit de moitié les émissions de CO2 du groupe ».
Cela explique le cap fixé sur l'électromobilité à court terme : la marque se positionne en leader européen des autobus électriques en volume, avec 1 000 unités livrées, et a lancé la commercialisation de sa gamme de camions en novembre dernier en France, avec l’objectif qu’un véhicule sur deux soit électrique en 2030.
Le tracteur MAN eTruck 44 t, fleuron de la gamme électrique, en est le fer de lance. « Un transporteur qui le commande maintenant sera livré en milieu d'année 2025 », annonçait Jean-Yves Kerbrat.
Carburant hydrogène. A long terme, Frederik Zohm voit le camion électrique à pile à combustible alimentée en hydrogène s’imposer. Celui de MAN sera lancé en fin d’année 2025, a-t-il annoncé, précisant que MAN travaillait aussi sur un moteur à combustion D38 alimenté à l’hydrogène.
Comment recharger les camions ? Qui dit camion électrique, dit installation de recharge. C’est vécu comme un problème par les transporteurs. « Il y a un sujet sur l'aide au déploiement des infrastructures de recharge dédiées aux poids lourds électriques, concédait Mathieu Soulas, directeur Nouvelles mobilités de TotalEnergies. Nous allons investir 100 M€ en 2024 dans l'installation d'infrastructures de recharge électrique dédiées ».
Cependant, les énergéticiens incitent les transporteurs à s’équiper en propre. « Il existe trois solutions de recharge : soit on équipe son dépôt, soit on profite d’une station chez un chargeur, soit on utilise une borne publique identifiée sur l’itinéraire, expliquait Christelle Vives, DG d'Izivia, filiale d'EDF qui fournit des solutions de recharge. Pour équiper un dépôt, la puissance à installer peut se limiter à 22 kW, avec un coût de 7 000 € maxi. Mais c’est une recharge lente, en une nuit. Une borne d’une puissance de 200 à 400 kW pour recharge rapide coûte dix fois plus cher, environ 80 000 €, auxquels il faut ajouter 80 000 € pour le transformateur ». Izivia propose à ses clients un accompagnement pour candidater à l’AAP de l’Ademe.
Mathieu Soulas soulevait un autre point, la fiabilité des stations : « Il ne faut pas négliger, dans le choix d’un fournisseur, l’engagement sur l’entretien des bornes. Une borne qui n'aurait pas fonctionné durant la nuit pour la recharge d'un camion, c'est catastrophique. L'objectif de TotalEnergies est d'aller vers un taux de fonctionnement de 98 % ».
« Se faire accompagner par le constructeur ». Pour profiter des aides à l’acquisition des camions électriques et des recharges, Marie Defrance, adjointe déléguée VI à la présidence de la Chambre syndicale des importateurs (CSIAM), préconisait de : « Se faire accompagner par le constructeur. 2 000 camions électriques seront mis à la route en France en 2024 , par l’intermédiaire des 130 M€ d'aides de l’Etat, via l’appel à projets de l’Ademe ».
« Le moment est venu ». « Le moment est venu, concluait Jean-Yves Kerbrat. Les grandes entreprises, qui ont majoritairement candidaté aux AAP Ademe, sont les locomotives, mais les PME vont y venir ». Se tournant vers les transporteurs : « Le critère n°1 est la quantité de tonnes de CO2 que vous allez économiser. Vous êtes aussi en droit de demander aux chargeurs, afin d'allonger la durée d'utilisation du véhicule, d’allonger la durée du contrat de transport ».