Il n’a pas d’odeur et ses fournisseurs le font même goûter, afin de prouver sa naturalité : carburant à base de colza, le B100 séduit de nombreux transporteurs, d’autant que les véhicules l’utilisant à titre exclusif obtiennent la vignette Crit’Air 1. Il vient en outre de bénéficier d’un assouplissement réglementaire : bien qu’il reste réservé aux flottes captives, un arrêté gouvernemental paru fin juin a autorisé les utilisateurs à se ravitailler dans plusieurs cuves et à avoir recours, dans certains cas, à une alimentation en bord à bord par un camion-citerne.
N’impliquant pas de nouvelle technologie lourde, ce biocarburant est considéré par beaucoup comme une bonne solution de transition. Le groupe STEF en a ainsi fait la première étape du volet véhicules de sa feuille de route « Moving green », lancée en 2019, avec une priorité sur les tracteurs d’ici 2026. Sa flotte en compte déjà 300 (contre 30 porteurs), l’objectif étant d’atteindre un tiers du parc global d’ici 2030. « Nous laissons la liberté aux agences d’en acquérir, mais nous avons fait le choix général d’une utilisation exclusive, afin de pouvoir rouler avec une vignette Crit’Air 1 », explique Sébastien Dortignac, directeur technique véhicules. Il appelle cependant de ses vœux la fin de la réservation du B100 aux flottes captives, « pour pouvoir le revendre à nos sous-traitants comme nous le faisons pour le diesel », explique-t-il.
De leur côté, les Transports Simon (Ardennes) ont cherché, eux aussi à partir de 2019-2020, par quelle solution alternative commencer. Après divers tests, l’entreprise a acquis, début 2021, ses premiers véhicules « bloqués » au B100. « Le gaz manquait d’autonomie et, à l’époque, le réseau de stations n’était pas assez développé, explique Gilles Simon, directeur. Mais nous avons aussi choisi le B100 parce que cela a du sens pour nous : le fournisseur est à moins de 200 km de notre siège, utilise du colza cultivé en France et l’huile n’est pas estérifiée très loin de chez nous également. »
Les conducteurs, au début, se sont montrés un peu réticents, par crainte d’une perte de puissance. Des appréhensions vite balayées par l’usage, assure Gilles Simon, qui constate qu’ils sont même « plutôt fiers » de participer à réduire les émissions de leur entreprise. Aujourd’hui, près de 130 véhicules sur 260 sont au B100 et l’objectif est d’atteindre 80 % du parc fin 2025. Pour rester libre par rapport à son fournisseur de biocarburant, les Transports Simon ont acheté leurs propres cuves, l’une pour le siège de Rethel, l’autre pour l’agence de Reims, qu’ils remplissent en envoyant leurs propres citernes chercher le produit sur le site où il est produit. Plus 8 % de consommation, « ce n’est pas rien ». Une contrainte du B100, cependant, est qu’il encrasse davantage les filtres que le diesel, témoigne Gilles Simon, qui se félicite d’avoir des ateliers en interne afin de limiter les immobilisations pour vidange. Une gêne que confirme Emmanuel Millet, responsable du parc de TVE Logistique (Allier). En 2021, cette société, elle aussi, a acheté 19 premiers tracteurs pouvant utiliser ce biocarburant, « sans les bloquer, dans un premier temps, explique-t-il, pour se laisser la possibilité de rebasculer vers le gasoil ». Mais en 2024, une nouvelle commande a prévu deux tracteurs bloqués, « pour pouvoir, à terme, continuer à livrer en ZFE ». De cette expérience, le responsable de parc rapporte une consommation supérieure de 8 % à ce qu’elle est avec le diesel. « Même si cela varie selon les mois, ce n’est pas rien, commente-t-il. Cette surconsommation est même exponentielle en fonction du poids transporté. »
Entre janvier 2022 et mars 2024, la flotte gasoil de TVE Logistique a consommé en moyenne 30,58 l/100 km, contre 33,11 l/100 km pour les véhicules au B100 et jusqu’à 35 l/100 km pour les plus chargés. Autre point : l’indexation du prix du litre de B100 sur les variations de celui du gasoil. « Si l’on cherche un gain économique, on n’y va pas », admet Emmanuel Millet. Cependant, il témoigne que le B100 « a sauvé » l’entreprise, en 2022, en permettant aux conducteurs de rouler malgré les grèves de raffineries. « Alors que nous n’utilisions le B100 que pour le régional, rapporte-t-il, sous la contrainte, nous y avons eu aussi recours pour le national et, grâce à la position centrale de notre dépôt où se trouve la cuve, à Lapalisse, ça s’est bien passé. » Cependant, si TVE Logistique a réussi à convaincre les clients réticents du fait que ce carburant au colza ne « concurrence » pas l’alimentation humaine, elle peine encore à en faire un argument commercial décisif, faute de pouvoir certifier la quantité de B100 utilisée pour chacun. « Cet effort de décarbonation n’est encore pas valorisé dans les tarifs, hormis chez de très gros chargeurs, regrette Emmanuel Millet. Il va falloir que ce soit pris en compte. »